estelle Nze-Minko
Chroniques des ambassadrices

Estelle Nze-Minko « Dans le sport professionnel, peu de place pour les « faibles » »

Aurélie Bresson
03.07.2020

Estelle Nze-Minko handballeuse professionnelle et entrepreneuse, signe une Tribune sur The VBox.

Tribune. J’aimerais vous parler d’un schéma théorique construit très régulièrement autour des sportifs, schéma dans lequel je ne me suis jamais reconnue, et ne me reconnaitrais probablement jamais.

Dans l’imaginaire collectif, le sportif est sans faille. Le meilleur sportif, c’est celui qui s’entraine tout le temps ! Celui qui mange sain, qui ne sort pas, qui se couche très tôt et ne pense qu’à son sport.
Le meilleur sportif, c’est aussi celui qui a un égo fort, une confiance illimitée, et une estime de lui décuplée.
Vous avez aussi adoré la série The Last Dance, sur la carrière de Jordan ? Véritable source d’inspiration, et exemple parfait (bien que disproportionné) de la représentation dont je vous parle.

 De vous à moi, je soupçonne qu’un certain nombre d’athlètes se cachent derrière une image, celle que l’idée du « sportif parfait » leur impose.

NETFLIX VS MA RÉALITÉ

Moi, je fais partie de la team des sensibles, des émotives, loin du schéma de la sportive au « mental » d’acier ultra confiante, de celles dont on ne parle presque jamais, que l’on ignore presque même parfois parce que l’on ne sait pas qu’elles existent, mais qui sont pourtant un peu partout.

Je suis championne du monde, championne d’Europe, vice-championne Olympique, je joue dans le meilleur club du monde.
Mes 4 derniers mois de saison (avant le Covid) ont été mauvais.
Et dans ma tête, c’est retour à la case départ.

J’ai longtemps été considérée comme une « originale », parce que je pouvais parfois arriver à l’entrainement en skate ou encore parce que je m’investissais dans des projets qui n’avaient rien à voir avec le sport.
J’ai même parfois été jugée comme une joueuse peu concentrée, peu impliquée voire négligente. Je l’ai régulièrement senti, au travers de réflexions, de mots, de regards.
Tout cela sous prétexte que j’avais des centres d’intérêt autres, qui selon mes interlocuteurs, me détournaient de mes ambitions sportives, et des leurs.
Paradoxalement, c’est aussi ce grain de folie et cette créativité que mes entraineurs ont toujours recherché dans mon jeu.
L’avantage sans les inconvénients !

J’ai constamment vécu cette étiquette comme une profonde injustice : j’aime mon sport. Passionnément. Je suis dure avec moi-même, continuellement insatisfaite de mes performances, je veux être (la) meilleure tout le temps.
D’autant plus que j’ai toujours été persuadée que mes projets annexes constituaient mon équilibre et me permettaient justement d’être performante.

L’idée que chaque individu à l’intérieur d’un même système aurait les mêmes besoins, n’est-elle pas révolue ?

LA RECHERCHE DE L’ÉQUILIBRE

Avant cette trêve imprévue, j’en étais venue à me convaincre que puisque je n’étais pas bonne sur le terrain, je ne valais RIEN.
Parce que je vis seule en Hongrie depuis 4 ans, loin de ma famille, de mes proches, de mon pays.
Mon environnement social quotidien est essentiellement constitué de relations professionnelles handballisitiques. Et que celles-ci
ne me jugent pas ou peu sur un plan personnel, mais essentiellement en fonction de mes performances sportives.
Je joue bien, je suis une fille géniale. Je joue mal, je le suis beaucoup moins.

Le sport de haut niveau c’est aussi les attentes d’un club qui te paye pour être performante, et qui n’a pas toujours le temps de considérer tes états d’âme, tes angoisses, tes peurs, ta solitude, tes doutes ou tes besoins. Autant de paramètres qui peuvent générer une pression énorme qu’il faut savoir gérer, contrôler, apprivoiser en permanence.

Le milieu du sport est parfois très codé. En fonction des clubs, il peut aussi s’avérer être peu ouvert d’esprit. Ainsi, nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a qu’un seul chemin vers la réussite. Il existe bien entendu des chemins plus propices que d’autres.
Mais très sincèrement, l’idée que chaque individu à l’intérieur d’un même système aurait les mêmes besoins, n’est-elle pas révolue ?

Au cours de ma jeune carrière, toutes personnalités confondues, j’ai identifié 2 facteurs fondamentaux liés au bien-être, et donc à la performance : le sentiment d’appartenance et l’épanouissement personnel.
J’ai l’intime conviction qu’ils s’appliquent à nos vies en général, bien au-delà du sport.

 

Tribune signée par Estelle Nze Minko, handballeuse professionnelle et entrepreneuse. 

Photo : AFP 

A retrouver sur « La représentation du « sportif parfait ». Celle que je ne suis pas. » 

Aurélie Bresson
03.07.2020

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