Isaline Sager-Weider : « Après 20 ans d’entraînement quotidien, tout va s’arrêter »
Voici la chronique d’Isaline Sager-Weider, joueuse professionnelle de volley-ball depuis 2007. Elle évolue au poste de contreuse centrale. Joueuse de l’équipe de France depuis 2012 et vainqueure de la Golden League en Juin 2022, elle a remporté la médaille de bronze au championnat du monde militaire en juin 2018. Elle est également vice-championne de France avec l’ASPTT Mulhouse volley de 2009 à 2012, et trois fois championne de France espoir de 2007 à 2009. Elle joue actuellement pour le Volley Mulhouse Alsace. Elle est engagée dans le syndicat des joueurs Prosmash et en faveur du volley santé.
Le petit bureau est rempli de cartons, d’affiches, de goodies. Il y a des trophées, posters et affiches d’équipes des années précédentes tout autour de moi. Un sentiment d’oppression m’envahit déjà. J’y suis montée directement après l’entraînement durant lequel je n’ai fait que penser à cet instant. Je suis venue ici des millions de fois et pourtant les murs ne m’ont jamais semblé aussi oppressants. Cela fait une semaine que je me sens suspendue, que j’oublie tout, que ma concentration est ailleurs, car je le pressens, je sais que ces quelques mots vont m’être prononcés très prochainement…
« Faire face à cette petite mort, celle de la sportive »
On rêve tous d’une fin de carrière parfaite, sur un podium, une médaille d’or autour du cou et pourtant pour la majeure partie d’entre nous, cela n’est qu’une douce illusion. J’ai pensé que je pourrais poursuivre encore un peu l’aventure, peut-être une saison de plus, pour préparer une sortie idéale, sans douleur, sans pleurs, arriver calmement au bout du processus, avoir le choix, sentir que c’est LE bon moment, juste quelques mois de plus pour bien s’organiser. Mais organiser quoi au juste ? La fin de cette phase de ma vie d’athlète professionnelle arrivera quoi qu’il advienne. Notre métier porte une date de péremption, c’est indéniable. Cela fait quelques années sportives maintenant que je le dis : après PARIS 2024, c’est fini, mais je n’ai jamais réussi à exprimer clairement que ce serait après cette saison précise 2023/2024. PARIS 2024, échéance faussement idéale ? Partir ? À nouveau changer de club ? Envisager de descendre d’un niveau ? Pour quelques mois de plus ? Pour s’accrocher encore à cette vie ? Non, je n’ai plus le courage.
Je suis bien ici, proche des miens. J’ai retrouvé goût à ce ballon, j’ai retrouvé un équilibre de vie personnel et professionnel, j’ai même démarré des nouveaux projets à côté du volley dans lesquels je m’épanouis pleinement. Poursuivre ici ou ailleurs en tant que joueuse ? J’aime ma vie telle qu’elle est actuellement, alors pourquoi pas quelques mois de sursis ? Avant de faire face à cette petite mort, celle de la sportive. On a beau s’y préparer toute sa carrière, personne n’est réellement prêt, du jour au lendemain, à changer de vie radicalement. Pour la première fois peut-être depuis mon adolescence et le début de cette pratique du haut-niveau, je sens que j’ai le choix et la chance, de faire tout ce dont j’ai envie. La liberté peut aussi être effrayante !
« Il ne veut pas te garder…changement de stratégie financière sur ton poste…quelqu’un de plus jeune… ». J’en perds mes mots mais je reste stoïque. Sur le moment, je leur en veux. Non pas seulement à lui, mais à la terre entière. Et pourtant cette situation n’a rien d’exceptionnel. Elle fait partie de notre vie d’athlète. Chaque saison est un renouveau, un changement d’équipe, de stratégie, de politique. Un staff, un club, chacun souhaite performer, recruter les meilleures joueuses, gagner les plus grands titres. Mais cette fois-ci, c’est plus dur que les autres saisons, car je sais que cette annonce marque un tournant dans ma vie. Même si évidemment, tôt ou tard, cette scène aurait été jouée d’une manière ou d’une autre.
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Une dernière valse
L’hypocrisie de la période du mercato reprend. Continuer de jouer pour quelqu’un qui ne veut plus de toi. S’accrocher à son équipe, à ses ambitions personnelles, à ses objectifs et laisser son égo de côté en acceptant tout simplement et en continuant de rester « professionnelle ». Et vous, ça vous ferait quoi ? Imaginez-vous dans un travail différent, votre responsable des ressources humaines vous dit qu’il/elle souhaiterait se séparer de vous dans les semaines à venir, quelle énergie allez-vous déployer pour votre travail quotidien ? Dans quel état d’esprit allez-vous vous réveiller chaque jour ? Et pourtant, il faut continuer, car nous sommes lié-es par un contrat, par un lien invisible entres partenaires, staff, bénévoles, salarié-es du club, celui d’aller vers un objectif sportif commun, d’aller chercher un titre, un podium, une médaille.
Cette fois-ci, c’est nettement plus difficile que les autres saisons. Dans le passé, savoir qu’à la fin de la saison je partais vers d’autres aventures, me libérait totalement. J’étais relâchée, l’esprit léger, avec l’envie de profiter de chaque instant dans cette ville dans laquelle j’avais évolué quelques mois ou années, avant de passer à un autre contrat, combat, lieu de vie, challenge. Mais demain, la bataille sera tout à fait différente : l’après-carrière. Après 20 ans d’entraînement quotidien, tout va s’arrêter. Ma coéquipière m’a dit aujourd’hui, « Isa, tu es le rayon de soleil de notre équipe, et là tu es triste, fermée, ce n’est pas toi ».
Cela a été comme un électrochoc. Je pensais que je cachais bien mieux que cela mes émotions. Ces derniers jours, je me sens dépourvue de sentiments, alors comment trouver la force naturelle de jouer et de m’entraîner avec mon cœur, en restant authentique ? Et pourtant, cela devrait être si évident en théorie : nous sommes encore en route pour plusieurs titres, et il y a toujours ce 1% de chance de faire les Jeux Olympiques… La belle fin est encore possible, alors vivons l’instant présent pleinement car demain, il sera vraiment trop tard… Promis Léa, demain je redeviendrai moi-même.
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