Voici la chronique d’Isaline Sager-Weider, joueuse professionnelle de volley-ball depuis 2007. Elle évolue au poste de contreuse centrale pour les Neptunes de Nantes. Joueuse de l’équipe de France depuis 2012 et vainqueur de la Golden League en Juin 2022, elle a remporté la médaille de bronze au championnat du monde militaire en juin 2018. Elle a également été vice-championne de France avec l’ASPTT Mulhouse volley de 2009 à 2012 et trois fois championnes de France espoir de 2007 à 2009. Elle est membre du syndicat des joueurs Prosmash et est engagée en faveur du volley santé.
Je souris, je saute partout après chaque point sur le terrain, mes attaques percutent le sol à chaque fois que je reçois une passe et quelles que soient les conditions, je fais les bons choix pour aller bloquer le ballon adverse. Mes services sont percutants, le son du public monte, l’ambiance est dingue, la musique se déploie autour de moi mais je n’entends rien, je suis dans ma bulle. Je crie, j’extériorise tout ce qui est bloqué en moi, et c’est normal, cela fait partie du spectacle, je peux crier sans retenue. Je prends dans mes bras mes coéquipières à chaque action, la tension monte, mais qu’est-ce que c’est bon. Je rassure les filles et les motive à chaque point, je sais qu’aujourd’hui je suis dans le « flow » et qu’il ne peut rien m’arriver. Je me sens indestructible. La victoire au bout de la bataille, l’adrénaline est toujours là, les embrassades, les sourires, mon corps qui tremble et l’excitation qui continue encore et encore.
Des sensations contradictoires
Puis l’arbitre siffle la fin de la rencontre. Une jolie photo d’équipe pour célébrer et se souvenir de cette victoire. Une photo de plus dans mon téléphone et qui servira à alimenter les réseaux pour exister. Je cours avec mes coéquipières devant les spectateurs pour taper dans les mains de ces derniers. Ils sont si heureux de nous « toucher ». Je ne comprends pas trop, je ne suis personne pourtant. Je les remercie d’être venus et leur souris. Nous faisons le tour du gymnase. Puis, nous nous étirons en cercle sur le sol. Personne n’a réellement envie de s’étirer et n’est concentré par ses mouvements, mais nous devons le faire. On débriefe le match, on se rappelle quelques actions, on est contentes ensemble. Quelques journalistes me sollicitent avant de rejoindre le vestiaire, car le protocole « après match » commence et il faut se dépêcher. Ma famille et mes amis sont venus, enfin ! Mais je n’ai que trois minutes pour échanger avec eux. Cela ne me rend pas triste, je m’interdis d’être triste car cela fait partie du job. Mais au fond de moi cela me dévaste. Je vis loin de ma famille et amis, car à force de changer de club, on sillonne la France, voire le monde.
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« Je me sens vivante, j’ai l’impression d’exister quelque part, d’être reconnue. »
Devant les journalistes, il faut être positif, parfois mentir même, je parle comme un robot et il me semble qu’avec le temps je fais même cela plutôt bien. Je suis à l’aise devant le micro ; puis une douche rapide (ou pas d’ailleurs), quelques sourires dans le vestiaire (ou pas), et vite il faut partir voir les sponsors. Faire le tour, discuter avec les personnes qui ont « investi » dans notre équipe. Aujourd’hui, je suis dans le « flow » alors je pourrais parler avec la terre entière (surtout que j’aime parler). Je fais des blagues, je discute ouvertement avec ces personnes qui sont ravies de m’avoir à leur table. Je me sens vivante, j’ai l’impression d’exister quelque part, d’être reconnue. Mais je répète toujours à peu près la même chose, samedi après samedi et ce depuis seize ans. Je parle mécaniquement en souriant. Mais c’est ok, je m’y suis habituée et parfois je fais même de belles rencontres qui m’ouvrent d’autres horizons et sujets de conversation. Fin de la soirée. Une victoire de plus vers ce titre derrière lequel je cours depuis seize ans.
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S’ancrer dans le temps
Je rentre chez moi, ou à l’hôtel si notre match est à l’extérieur. Je me sens vide, seule. L’adrénaline est en chute libre. Je regarde les murs de mon salon avec le sentiment de satisfaction, mais de questionnement. À quoi je sers ? Parfois, je sors (quand j’ai le droit, la possibilité et l’envie) pour prolonger cet effet, pour célébrer et surfer un peu plus longtemps sur cette vague, mais le réveil du dimanche matin est toujours le même, simplement décalé dans le temps.
Lundi, l’entraînement biquotidien reprendra et on continuera à déployer nos corps et nos têtes jusqu’au prochain match de samedi, en espérant vivre le même flow mais, à force d’expérience, on sait très bien que ce ne sera pas possible. Cela se produit environ deux fois par an. Et pourtant, ce sont ces ressentis qui me donnent la force et l’envie de continuer. J’aime profondément le volley, c’est ma passion. Mais le sport professionnel, pour une femme, de plus de 30 ans, est loin d’être magique.
Je m’appelle Isaline Sager-Weider, j’ai 34 ans et depuis mes quinze ans, je joue au volley-ball dans une structure de haut-niveau. Je suis une personne entière, spontanée et très émotive.
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