Julie Fabre : « La natation synchronisée n’est pas un spectacle, c’est un sport ! »
Entraîneur de l’équipe de France de natation synchronisée, Julie Fabre a coaché des acteurs du film Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, l’histoire d’une bande de quadragénaires qui se mettent à la natation synchronisée pour retrouver le goût de la vie. Une expérience hors du commun.
Quel a été votre rôle dans le cadre du tournage du film ?
J’ai eu un rôle d’entraînement des acteurs qui a duré à peu près cinq mois de façon intensive, de septembre à janvier dernier. En amont, avec les nageuses de l’équipe de France, nous avons aussi créé la chorégraphie du film. L’idée était de permettre au réalisateur, Gilles Lellouche, d’avoir une vision du rendu final et de pouvoir anticiper tous les plans avant de les réaliser. Gilles Lellouche venait à l’INSEP nous faisait des remarques sur la chorégraphie, sur les étapes et sur les formations. Avoir un aperçu progressif de la chorégraphie lui a aussi permis de déterminer quel acteur serait à quelle place au moment du tournage.
Combien de temps a duré la préparation des acteurs ?
On a entraîné les acteurs à l’INSEP pendant ces cinq mois, deux fois par semaine. Ensuite, ils sont allés tourner en province et ils sont revenus à l’INSEP un mois, mi-avril, pour se remettre dans le bain avant le tournage de la scène des Championnats du Monde. Lors de la première séance, les acteurs étaient présents ainsi que toute l’équipe du film. C’était une prise de température. Quand j’ai vu le manque de coordination, les difficultés à mémoriser, je n’ai pas douté qu’on y arriverait, mais je me suis dit que ca n’allait pas être une mince affaire et qu’on allait avoir besoin d’un gros entraînement ! Gilles voulait vraiment que la chorégraphie finale du film soit de l’ordre du haut niveau. S’il avait été question de barboter, ça aurait suffi, mais pour un rendu de haut niveau, il fallait pas mal de compétences et donc les acteurs se sont donc beaucoup entraînés.
« Mais le plus difficile, ça a été d’apprendre les gestes, de les restituer sans se tromper, dans le tempo, et en tenant sa place. »
Certains acteurs étaient-ils plus doués que d’autres ?
La base, c’était d’abord de savoir nager. Ils étaient presque tous capables de se tenir dans l’eau, sauf Thamilchevan Balasingham, qui avait en plus une appréhension de l’eau et qui a pris des cours supplémentaires. Ensuite, il fallait savoir lesquels flottaient, car on avait une séquence de figure en surface. Mais le plus difficile, ça a été d’apprendre les gestes, de les restituer sans se tromper, dans le tempo, et en tenant sa place. Parce que dans l’eau, ça bouge, il faut donc être tonique pour ne pas bouger ! Guillaume Canet est sportif et il était celui qui avait le plus de coordination. C’est la raison pour laquelle je l’ai positionné sur les portés. Il avait plus de travail que les autres mais ça ne l’a pas dérangé car il a ce goût de l’effort, du challenge. Ils ont aussi été entraînés au gainage par le préparateur physique de l’équipe de France, Cyril Vieu. Enfin, comme il y a aussi une scène de plongeon dans le film, Alexandre Rochas, qui était alors entraîneur de l’équipe de France de plongeon, les a aussi préparés à savoir plonger.
Est-ce que certaines figures ont été réalisées par des doublures ?
Oui, les parties où les jambes étaient en dehors de l’eau étaient impossibles à réaliser par les acteurs car cela demande des années de travail. Au départ, Gilles Lellouche voulait qu’on les réalise avec le Paris Aquatique, un club masculin de natation synchronisée. Mais si on voulait du haut-niveau, il aurait fallu les entraîner tout autant. J’ai donc proposé de faire venir plusieurs des meilleurs nageurs synchronisés du monde dont Benoît Beaufils, qui a nagé en double mixte avec Virginie Dedieu. Et en quelques jours, la scène a été tournée.
Les acteurs s’attendaient-ils à un entraînement aussi intense ?
Non ! On voit des filles qui ont le sourire, ça a l’air facile, on ne perçoit pas la difficulté. Mais les acteurs s’en sont vite rendus compt ! C’est difficile de maintenir son buste hors de l’eau, de réaliser des mouvements rapides en étant énergiques et synchronisés. D’ailleurs, certains comme Jean-Hugues Anglade ont demandé à avoir des séances en plus. Il y avait ce besoin de se sentir en maîtrise.
« Cela montre que la natation synchronisée n’est pas un spectacle mais un sport. »
Entraîner des novices, ça ne doit pas être votre habitude ! Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
Je n’ai pas utilisé les mêmes outils que pour l’équipe de France mais sur la forme, j’ai planifié la progression de la même façon. Ca m’a un peu recentré sur les bases de mon sport. A force d’entraîner des athlètes, on ne se demande plus comment on fait certaines choses et on perd aussi cette prise de conscience de la difficulté de ce sport. On en demande beaucoup aux athlètes mais on a tendance à oublier que ce qu’elles font, c’est très difficile ! Ca n’a pas baissé mon niveau d’exigence, mais quand on voit des débutants galérer, on reprend conscience de tout ça !
Est-ce que vous avez déjà l’impression que ce film apporte quelque chose de positif à votre discipline ?
Ce film a déjà eu plusieurs répercussions positives. Des personnes qui n’étaient pas destinées à se confronter à ce genre d’efforts se sont rendues compte de la difficulté de ce sport et l’ont exprimé. Cela montre que la natation synchronisée n’est pas un spectacle mais un sport. En plus, ce sont des personnes publiques et dans ce film, on assiste à la naissance d’une équipe masculine. Cela désacralise l’idée reçue que la natation synchronisée est un sport « pour les filles ». On a 18 000 licenciés en France et parmi eux, seulement 200 hommes. On vise à ce qu’il y ait plus de garçons car le duo mixte pourrait arriver aux JO de Paris 2024. Mais pour cela, il faut que ce soit plus facile pour les petits garçons de pratiquer ce sport.
Propos recueillis par Assia Hamdi
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