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Manon Genest : « Je pense que j’ai surpris tout le monde, moi la première »

Ambre Tarin
15.07.2023

Fraîchement médaillée de bronze de saut en longueur aux Championnats du monde de para athlétisme, Manon Genest revient après un long moment consacré à sa grossesse et d’une période de doute. Discussion avec une maman épanouie au cœur de l’évolution du para sport et de la maternité.

Les Sportives : Comment se passent ces derniers jours suite à votre médaille ? 

Manon Genest : C’est un peu la folie, je ne m’y attendais pas du tout. De nombreux médias et partenaires me sollicitent, mais c’est le moment ou jamais pour mettre le para sport en avant.

 

Beaucoup de sollicitations, une couverture assez conséquente, ce tournant doit vous faire plaisir…

En effet, je pense que c’est une occasion unique qu’il ne faut pas louper ! Il faut continuer sur cette lancée jusqu’à Paris 2024 pour amorcer une dynamique. Forcément, ça met un peu plus de pression pour nous, athlètes. Nous sommes regardés. On le voit en ce moment au Stade Charléty, il y a du monde derrière nous. Mais c’est une question de période. Tout au long de l’année, nous avons notre bulle pour nous entraîner, et lors des compétitions, nous savons que nous sommes attendus au tournant désormais. 

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Être en quelque sorte l’étendard du mouvement para sport français suite à cette médaille, ça ne vous fait pas peur ? 

Pour le moment je le vis bien. En septembre, je retrouverai ma bulle et que je pourrai m’entrainer sereinement sans cette course médiatique, en tout cas je l’espère. Je souhaite préparer Paris 2024 comme il se doit. Je ne prépare pas les Jeux paralympiques de la communication. 

Que représente cette médaille de bronze pour vous ? 

Beaucoup de choses… J’étais vraiment heureuse d’être sélectionnée après mon retour de grossesse. En début de concours, on m’annonce cinquième mondiale sur six concurrentes, j’arrive en outsider. Après une maternité, revenir au plus haut niveau n’est pas une évidence. Même pour moi, je ne savais pas si ça allait être possible. Je n’avais donc pas vraiment de repères dans ce concours.

 

D’autant plus que vous êtes la première à vous élancer…

Et je bats tout de suite mon record personnel de 20 cm ! Là, je me suis dit : “c’est parti, on rentre dans la cour des grands”. Je pense que j’ai surpris tout le monde, moi la première. Avec mon coach, (Wilfried Krantz, NDLR) nous savions que j’étais capable de battre ma meilleure marque, mais pas à ce point-là. Je l’améliore encore sur mon dernier saut et je finis le concours à 4,76 mètres. Cette finale, c’était beaucoup d’émotions. 

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Vous avez déclaré que cette médaille était pour votre fille. C’est ce qui vous a motivé ? 

À Tokyo j’étais enceinte d’elle, je termine quatrième et je me suis toujours promis qu’un jour, je lui ramènerai une médaille. Le soir de ma finale aux mondiaux, je l’ai vue à l’hôtel avant de partir à l’échauffement. Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai allaitée une dernière fois, et je lui ai promis de revenir médaillée. C’était la première fois que je lui disais ça. Cette médaille de bronze, elle est aussi pour toutes celles qui veulent devenir maman au cours de leur carrière, pour montrer que c’est possible. 

Aujourd’hui, le sujet de la maternité dans le sport de haut niveau est de moins en moins tabou. Comment cela s’est déroulé pour vous ?

Je souhaitais tomber enceinte après les Jeux olympiques de Tokyo, c’était voulu et cela me permettait de repartir de plus belle par la suite pour Paris 2024. Au départ, j’avais l’ambition de revenir, mais retourner au plus haut niveau après une grossesse, il n’y a aucune certitude que cela fonctionne. Quand j’ai appris, quelques mois après mon annonce de grossesse, que Clarisse (Agbegnenou NDLR) était enceinte, j’étais tellement heureuse. Nous en avons parlé et elle m’a clairement dit “mais moi je reviendrai, c’est sûr”. De voir qu’elle fait championne du monde récemment… Je dis merci Clarisse ! Je reprends confiance grâce à son exemple. Elle prouve que tout est possible. Elle est en train de faire bouger les choses et de faire évoluer le sujet de la maternité dans le haut niveau, il n’y a même plus de sujet avec elle ! (rire)

 

Comment l’adaptation s’est faite pour gérer votre fille et les entraînements ? 

Il y a quelques mois, j’ai rencontré Amélie Oudéa-Castera, la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympique. J’ai eu face à moi une personne très humaine, qui a compris mes doutes et qui m’a dit “nous allons t’aider, travailler avec ta fédération, on s’y engage.” Petit à petit j’ai pu adapter ma situation. Lors des stages avec l’équipe de France, je logeais à part pour être avec ma fille. J’étais la première à demander d’allaiter en plein stage. Je pense que ce petit coup de pouce a fait avancer les choses, et ce n’est pas fini. Sur ces mondiaux, je dormais aussi en dehors de la structure de l’équipe de France avec ma fille et ma mère. Ma médaille de bronze vient aussi confirmer que tout cela n’a pas été fait pour rien, et que ça paie.

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Quel est le programme pour vous dans les semaines qui viennent ?

Du repos ! On va digérer tout cela, puis débriefer car tout n’est pas parfait. Ensuite, il faudra envisager la saison suivante.  

Avec Paris 2024, en ligne de mire… 

J’ai Paris en tête depuis mon accident (de la route en 2015, entrainant son handicap, une hémiplégie NDLR). Je pense que notre génération a la chance d’accueillir les Jeux, c’est le rêve !

Et pour la suite ? 

C’est encore en réflexion. Au début, je souhaitais m’arrêter après Paris. Mais, suite à cette année un peu folle, je me laisse l’option de continuer. C’est comme en compétition, je ne me fixe pas de limite.

Crédit photo : Florent Pervillé

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Ambre Tarin
15.07.2023

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