Aziza Nait Sibaha : « Les Marocains découvrent qu’ils ont aussi une identité footballistique féminine »
Les Lionnes de l’Atlas foulent les gazons de la Coupe du monde de football 2023. Une première dans l’histoire du Maroc, une première également pour une équipe féminine au Maghreb. L’ascension rapide de Ghizlane Chebbak et ses coéquipières a inspiré Aziza Nait Sibaha, fondatrice de Taja Sport et réalisatrice du documentaire Lionnes de l’Atlas, entendez les rugir ! Entretien.
Les Sportives : Le Maroc sera le premier pays arabe à présenter une équipe féminine à la Coupe du monde. Quel impact cela peut avoir sur le Maghreb ?
Aziza Nait Sibaha : La qualification des Lionnes de l’Atlas pour la Coupe du monde a été un vrai coup de boost pour toute la région MENA qui inclut l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Tous ces pays se disent aujourd’hui qu’il peuvent y arriver, parce que jusqu’ici, il n’y avait aucun pays de cette région qui était présent dans les phases finales de la Coupe du monde. Le plafond de verre a été pulvérisé. C’est surtout ça l’intérêt aujourd’hui, les Lionnes de l’Atlas ont fait un travail exceptionnel pendant la CAN féminine. Non seulement elles se sont qualifiées, mais elles étaient deuxièmes à se qualifier, car elles étaient finalistes face à l’Afrique du Sud qui jouait sa sixième finale. Elles ont fait sortir le Nigéria, tenante du titre pendant presque une décennie. Donc elles ont montré que quand on met les moyens on peut y arriver. Pour toutes les footballeuses de ces régions-là, le message c’est qu’elles peuvent passer de spectatrices des Coupes du monde à actrices.
C’est une équipe qui s’est fait une place de manière rapide sur le continent africain mais que l’on connait encore assez peu. Quelle est l’identité de cette équipe ?
Cette équipe marocaine est une équipe hétéroclite. Une grande majorité vient du championnat national, une majorité vient du championnat national et surtout de l’AS SFAR, qui est championne du Maroc depuis plusieurs années. Les filles se connaissent bien entre elles. Et il y a des talents qui ont été invités par Reynald Pedros (sélectionneur de l’équipe marocaine, NDLR) de championnats européens, que ce soit français évidemment, mais aussi italien, anglais, suisse… Il a choisi des pépites de championnes. Et ça a très très bien matché. J’ai tourné mon documentaire pendant la préparation de la CAN féminine. C’était marrant, ça parlait arabe, amazigh, espagnol, italien, français, anglais. Mais en fait quand elles étaient sur le terrain, la langue qu’elles avaient en commun c’était celle du foot. On avait l’impression qu’elles se connaissaient depuis très longtemps.
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Finalement, cela s’inscrit dans l’éclosion du football marocain sur le plan international, que ce soit chez les hommes et chez les femmes. Il y a une vraie bascule…
On découvre aujourd’hui, et c’était même Ronald Pedros qui me l’avait dit quand je tournais mon documentaire, que le Maroc a une identité footballistique. Et puis on l’a vu déjà avec l’exploit des Lions au Qatar. Les Marocains découvrent qu’ils ont aussi une identité féminine footballistique. Le football féminin, au Maroc, existe depuis très longtemps, sauf qu’il n’avait pas la médiatisation qu’il méritait. Grâce aux Lionnes à la CAN, suivi de l’exploit de l’AS SFAR à la Champions Leagues africaine qui a eu lieu au Maroc, tout le monde à commencé à s’intéresser à ce football. Quand les médias s’y intéressent, le public s’y intéresse. Et quand le public s’y intéresse, on aura aussi peut-être des sponsors qui vont s’investir.
Le Maroc, avec l’organisation de la CAN notamment, semble s’investir dans le développement de la pratique féminine du football..
Le Maroc a commencé à investir avant la CAN, puisqu’en 2019-2020 il y a eu un plan Marshall pour le football, avec un investissement de 6 millions d’euros de la part de la Fédération de football pour développer le football féminin au Maroc. On a vite vu les résultats. L’AS SFAR avant déjà décroché le bronze pendant la première Champions League qui avait eu lieu en Egypte en 2021 et puis finaliste et championne d’Afrique l’année dernière. Et la CAN féminine a été l’apothéose. C’est une chose de dire qu’on investit, mais si rien ne se produit, les gens se lassent.
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L’engouement du peuple marocain est-il aussi retentissant que pour les garçons ?
Il y a eu un record d’audiences avec 45 000 personnes dans les gradins pour le match des Lionnes et il y avait autant dehors. Et les gens se battaient pour pouvoir rentrer et suivre. Et ce qui est exceptionnel, c’est qu’on a vu un nouveau public footballistique. Avant on voyait une grande majorité d’hommes. Maintenant, il y a de plus en plus de femmes dans les gradins, et heureusement. Mais pendant la CAN, il y avait des familles venues avec des petites filles. Et les demandes ensuite dans les clubs ont explosé. Sur le média Taja Sport que j’ai fondé et qui traite du sport féminin dans la région MENA, on n’a pas arrêté de recevoir des demandes pour savoir si on connaissait des clubs qui ouvrent aux filles. Cela pousse tous les clubs à créer des sections féminines, et de plus en plus jeunes. Les petites filles rêvent désormais d’être Ghizlane Chebbak, Nesryne El Chad, Rosella Ayane, et ça c’est magnifique. Les Lionnes ont prouvé qu’il était temps que les filles de la région MENA, et partout dans le monde, quittent le banc de touche pour aller jouer sur le terrain.
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