Carole Gomez : « On voit une multiplication des prises de position des acteurs du sport autour de la guerre en Ukraine »
Dans la nuit de mercredi à jeudi, Vladimir Poutine a lancé ses troupes en Ukraine et entamé son invasion. À l’approche des Jeux paralympiques, le monde du sport n’aura pas mis longtemps à réagir à cette déclaration de guerre. Le comité exécutif du Comité international olympique (CIO) a exhorté ce vendredi toutes les fédérations sportives internationales à annuler ou à délocaliser tout événement prévu en Russie ou en Biélorussie. Entretien avec Carole Gomez, chercheuse en géopolitique du sport à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Les Sportives : La commission exécutive du Comité international olympique (CIO) a réitéré aujourd’hui sa ferme condamnation de la violation de la trêve olympique par le gouvernement russe et par le gouvernement bélarussien qui l’appuie. La trêve olympique a commencé sept jours avant le début des Jeux olympiques, le 4 février 2022, et se termine sept jours après la clôture des Jeux paralympiques. Quelles peuvent-être les conséquences de cette violation ?
Carole Gomez : Le problème est que la trêve olympique a été adoptée par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a un rôle hautement symbolique, qui repose sur la bonne foi des parties prenantes et des états membres. Du coup, c’est très difficile d’opposer des répliques ou des réponses en cas de violation. C’est la base du droit international public qui repose sur la bonne foi des parties, sur leur volonté de collaborer ensemble.
S’il y a une violation perçue, différents mécanismes pourraient se mettre en œuvre. Mais la Russie faisant partie du conseil de sécurité et étant un membre permanent, ces mécanismes vont être entravés. Il va y avoir des condamnations, des dispositions prises par des personnes physiques et morales, mais on sait qu’au niveau des Nations unies c’est quelque chose qui va être très difficile à faire avancer.
Des sportifs, comme Sebastian Vettel ou Max Verstappen, ont décidé de ne pas aller au Grand Prix de Formule 1 de Sotchi. Ils ont poussé Formula one, l’organisme qui gère les circuits, à l’annuler. Andreï Chevtchenko a quant à lui publié des tribunes sur ses comptes Instagram et Twitter pour faire en sorte que cela interpelle la communité internationale. Ou encore le FC Schalk 04, qui va refuser le sponsor Gazprom sur son maillot. L’idée c’est de mettre la pression sur la Russie.
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À quelques jours des Jeux paralympiques, quelles peuvent être les conséquences de cette invasion à la fois sur les nations et sur les athlètes ? Quel levier d’action le Comité international paralympique peut-il avoir ?
C’est assez étrange. Tout le monde s’est focalisé sur le fait que Vladimir Poutine avait attendu la fin des Jeux olympiques pour mettre en œuvre sa stratégie. Mais les Jeux paralympiques vont commencer le 4 mars. Il y a eu une tribune du Comité international olympique qui appelle au calme mais qui n’appelle pas à des sanctions. Il a condamné la rupture de la trêve olympique sans pour autant apporter de décisions fermes. Mais les choses bougent très vites. Ce qui est vrai maintenant peut ne plus l’être dans quelques heures.
Néanmoins, le Comité international olympique a publié un communiqué officiel qui invitait très fortement l’ensemble des fédérations internationales à déplacer ou à annuler les évènements en Russie ou Biélorussie. Il poussait également à ce que leurs hymnes nationaux ne soient pas joués dans les compétitions où les Russes seraient autorisés à concourir. Ni à dresser leurs drapeaux.
Depuis quelques heures, on voit une multiplication des prises de position des acteurs du sport autour de la guerre en Ukraine. C’est surtout des positions individuelles de sportifs et sportives. Puis les entités internationales. Le deuxième éléments, c’est que cela s’est fait d’une manière dispersée jusqu’à 17 h et la prise de position du CIO. Il est désormais possible que les acteurs se rangent derrière cette ligne, mais cela reste incertain.
Ce seront les athlètes paralympiques qui vont trinquer par rapport à cette situation, mais là encore, c’est difficile d’analyser tout ce qu’il se passe et d’envisager différents scénarii. Tout relève de l’improbable. Je pensais que le Comité international paralympique allait taper du point sur la table car il y avait eu des positions fortes prises ses dernières années, notamment sur le dopage. Mais là, ça n’a pas l’air d’être le cas. Il va falloir voir comment ils réagissent après la déclaration du CIO.
Les étroites relations entre la Chine et la Russie ont étés concrétisées par la prorogation du « Traité d’amitié et de coopération entre la Fédération de Russie et la République populaire de Chine » pour 20 ans supplémentaires à l’automne dernier. Cet événement politico-diplomatique passé inaperçu peut-il impacter, d’une manière ou d’une autre, le bon déroulement de cette paralympiade ?
Je ne sais pas dans quelle mesure cela va être important. Il faudrait creuser les relations bilatérales entre les deux pour comprendre à quel point cela va être déterminant. Mais il faut savoir qu’en parallèle des Jeux olympiques, il y a eu une rencontre entre les dirigeants russe et chinois, largement médiatisée par les deux parties, avec une déclaration commune expliquant qu’il est nécessaire de rentrer dans une nouvelle ère des relations internationales. Mais aussi avec une redéfinition de ce que sont le multilatéralisme, le bilatéralisme et la démocratie.
Je pense qu’il sera extrêmement intéressant de relire et d’analyser ce discours au regard de ce qui est en train de se passer. On l’avait lu dans un contexte de lancement des Jeux, où c’était surtout la Chine qui était en première ligne, en ligne de mire.
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Suite à l’invasion de la Russie en Ukraine, l’une des premières décisions a été de transférer la finale de la League des champions de Saint-Pétersbourg à Paris. Cela veut-il dire que le sport a un poids dans ce genre de conflit international ?
Complétement. Il y a deux façons de voir les choses. Hier, les fédérations polonaise, tchèque et suédoise de football ont appelé la FIFA et l’UEFA a une prise de position, parce qu’elles estimaient qu’elles ne pouvait pas aller jouer en Russie ou contre des équipes russes pour des questions de sécurité. Il n’y avait pas de questions autour de l’indépendance de l’Ukraine. Et désormais, il y a la volonté de l’UEFA de faire passer le message que ce n’est pas quelque chose qui est tolérable.
À ce titre, la position de la France est assez intéressante. On avait pensé que les villes de Londres et Wembley seraient des probables base arrière de cette finale. Finalement, les deux ont été écartées. La raison officielle est que ces deux villes ont déjà reçu un grand nombre d’évènements ces derniers temps et que la France a donc tiré son épingle du jeu. Mais il y a toute une litanie d’arguments qui ont été exposés pour expliquer ce choix-là. Je n’arrive pas à savoir comment cette décision a été prise au sein de l’UEFA. Est-ce que cela a été pris parce qu’il était absolument nécessaire d’en changer ou est-ce que cela est venu des fédérations ?
L’élément que je vois surtout c’est que la relocalisation de cette finale est facile à organiser, ils y sont habitués. En revanche, il y a une problématique autour de Gazprom, qui est l’un des sponsors officiels de l’UEFA depuis plusieurs années. On estime à 40 millions d’euros ce qu’il verse chaque année. Comment l’UEFA va-t-elle gérer cela ?
Y a-t-il eu dans l’histoire des moments où le sport a pu avoir un rôle décisif dans la résolution de conflits armés ? Les athlètes internationaux ont-ils·elles une voix ?
Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu des mobilisations aussi rapides. Il y a un évènement qui peut faire écho à cette situation, même si elle est différente à bien des égards. C’est au moment de la guerre en ex-Yougoslavie. Il y avait eu un certain nombre de décisions, de sanctions prises pour faire passer ce sujet politique sur la scène sportive. Mais là encore, comparaison n’est pas raison et chacun de ces évènements est bien différent. J’ai beaucoup plus de questions que de réponses en réalité. Il y a deux éléments importants : la guerre va-t-elle durer en Ukraine ? Comment les acteurs du sport vont-ils s’organiser, et quel va-être l’écho de la prise de position du CIO ?
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