L’insulte « pédé » est extrêmement fréquente dans les cours de récréation ou sur les terrains de sport. Comment se fait-il que la plupart des enseignants ou éducateurs sportifs n’en parlent pas ? Comment lutter contre l’homophobie à l’école et dans les clubs ? Des chercheurs en « études de genre » nous aident à comprendre.
Pour Nicole Mosconi, chercheuse émérite à l’université de Paris-Ouest Nanterre, « le sexisme est un terme qui a été créé dans les années 60, par analogie avec le terme racisme pour montrer que le sexe constitue pour les femmes, exactement comme le racisme pour les groupes qui en sont victimes, un facteur de discrimination, de subordination et de dévalorisation ». Notre société est construite sur la domination masculine, et cela se traduit dans les rapports individuels et collectifs, mais aussi dans les institutions (famille, école, économie, politique, droit, culture..).
En ce qui concerne l’homophobie, « le terme phobie ajoute une nuance de crainte, une peur irraisonnée ». Cette peur a été entretenue au cours des siècles « principalement par trois institutions : la religion chrétienne a fait de l’homosexualité un péché ; la médecine, un trouble psychique, une perversion ; et le droit un crime, un fléau social, supposé de désordre social. C’est aussi parce qu’il y a domination qu’il y a risque de violence : violence verbale des injures sexistes ou homophobes et violence physique, violence conjugale et viol pour les femmes, violences homophobes ». Une différence cependant à ce sujet : le sexisme repose sur la domination des femmes, tandis que l’homophobie viserait l’extermination des homosexuels. Nicole Mosconi rappelle qu’Hitler les a envoyés en camp de concentration. « De ce point de vue l’homophobie se rapprocherait plus de l’antisémitisme que du sexisme ».
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« Il y a un rapport étroit entre sexisme et homophobie : l’assimilation des gays aux femmes donne le droit de les mépriser et on en veut aux lesbiennes de ne pas se soumettre aux »devoirs » de leur sexe ».
Mais pourquoi cette peur des homosexuels ?
« Pour le sexisme, le masculin et le féminin sont naturels, ils viennent de la biologie. Ce qui permet de dénoncer comme »contre nature » une femme de pouvoir ou une intellectuelle. Ce sont des privilèges masculins que les femmes ne doivent pas usurper, leur »nature » étant d’être séduisantes, de faire des enfants et de s’occuper de la maison. Mais on considère aussi »contre nature » un homme qui refuse de dominer les autres et surtout les femmes ». C’est ainsi que la norme reconnue est l’hétérosexualité, et que l’homosexualité devient contre nature et se trouve considérée comme anormale.
Il y a derrière la même idée : l’infériorité des femmes et des homosexuels. Les gays sont supposés ne pas être de »vrais » hommes et les lesbiennes de »vraies » femmes. Nicole Mosconi insiste donc sur cette même idéologie sous-jacente : « Il y a un rapport étroit entre sexisme et homophobie : l’assimilation des gays aux femmes donne le droit de les mépriser et on en veut aux lesbiennes de ne pas se soumettre aux »devoirs » de leur sexe ». Cette analyse permet de comprendre pourquoi l’homosexualité masculine et l’homosexualité féminine ne provoquent pas le même type de rejet. L’homosexuel masculin renvoie à un homme féminin, soumis, fragile, il remet en cause la société basée sur la domination masculine. L’homosexualité féminine est plutôt frappée d’inexistence, tout comme la sexualité féminine. La figure de la femme homosexuelle remet en question la soumission féminine et l’assimilation de la féminité à la maternité (par la PMA, qui a la prétention de se passer des hommes pour procréer).
« Depuis une vingtaine d’années, nos institutions produisent des conventions, des circulaires pour lutter contre le sexisme et l’homophobie »
Or, comme toutes les normes, celle-ci peut être déconstruite. « Les normes qui régissent les vies humaines sont des créations humaines, elles sont différentes suivant les sociétés et les époques historiques. Dans la Grèce antique par exemple, l’homosexualité était une institution au même titre que le mariage hétérosexuel », explique Nicole Mosconi. Ces règles et ces normes ne sont donc pas immuables, et elles peuvent être transformées. D’autant plus quand elles sont source de discrimination (mise à l’écart, harcèlement, injure, agression physique…) et qu’elles ont des effets dramatiques. Pour l’homophobie, cela se traduit par du mal être, l’isolement, des conduites à risque, un taux de tentatives de suicide supérieur aux autres jeunes.
C’est ainsi que selon la chercheuse : « Aujourd’hui notre ordre social sexué et homophobe est remis en question. » Mais cela est source de conflits parce que « d’un côté, la société affirme l’égalité des sexes et des sexualités par des lois et condamne toute discrimination, et de l’autre, le système de genre comme rapports inégaux entre les sexes et les sexualités, qui produit les normes du masculin et du féminin, existe toujours ».
Cette tension se retrouve dans tous les autres domaines de la société. Les milieux sportif et scolaire n’y échappent pas. Depuis une vingtaine d’années, nos institutions produisent des conventions, des circulaires pour lutter contre le sexisme et l’homophobie[1], mais dans le même temps, la société dans son ensemble apprend toujours aux enfants à devenir des femmes et des hommes conformes aux stéréotypes de genre. L’évolution des mentalités ne peut donc qu’être très lente et nécessite un travail en profondeur.
Sport, sexisme et homophobie
Une autre chercheuse, Christine Mennesson s’est plus particulièrement intéressée aux socialisations des filles sportives. « Le monde sportif reste l’un des univers sociaux où la domination masculine est assez prégnante. Notamment parce que le sport met en jeu le corps et que le corps joue un rôle central dans la construction du genre. En même temps, parler du monde sportif en général ne veut pas dire grand-chose : sport de haut niveau, sport de loisir, sport dans une fédération olympique, sport dans une association d’éducation populaire, il y a une telle variété de contexte de pratiques, qu’on ne peut observer qu’une variété de modèles de genre.
Mais le modèle qui reste le plus valorisé, en termes de nombre de pratiquants ou de médiatisation, est celui des pratiques fortement investies par les hommes et qui valorisent ce que certains appellent une masculinité virile ou une »masculinité hégémonique », c’est-à-dire une masculinité basée sur l’usage de la force, de la puissance, une valorisation de la compétition, et la distance voire le mépris à l’égard du féminin ou des hommes qui ne sont pas conformes ».
Christine Mennesson montre cependant qu’à niveau de pratique égal, le rapport des femmes à l’homosexualité est très différent dans le milieu du foot et de la boxe par exemple. On ne peut donc rien généraliser.
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Il faut former les enseignant.es à être attentifs à des situations qui, jusqu’à présent, paraissent banales et sont souvent négligées.
Faire le pari de l’éducation
Que ce soit pour Nicole Mosconi ou pour Christine Menneson, le développement des recherches et la formation à l’égalité des intervenant.es auprès des jeunes, sont des leviers déterminants pour questionner les normes de genre, faire évoluer les rapports des filles et des garçons, et faire que le sport soit un chemin d’émancipation pour tous.
Pour Nicole Mosconi, il faut former les enseignant.es à être attentifs à des situations qui, jusqu’à présent, paraissent banales et sont souvent négligées. Par exemple, relever systématiquement quand dans la cour de récréation, un garçon joue avec une fille et se fait traiter de « pédé », quand une fille qui veut jouer au foot est traitée de « garçon manqué ». Quand les élèves disent : « le foot, le rugby, c’est masculin, la danse, la gymnastique, c’est féminin », c’est l’occasion de déconstruire ces stéréotypes.
Pour Christine Mennesson, « cela ne dépend pas tant de la discipline que des caractéristiques de l’intervenant.e, de ses pratiques pédagogiques ». Dans une de ses enquêtes, elle a comparé des pratiques associées au masculin, au féminin ou au mixte. « Un des contextes les plus novateurs était un stage d’équitation. Or, l’équitation, très investie par les filles, avec tout un imaginaire féminin, peut être très caricaturale du point de vue du genre. Dans notre observation, en milieu rural, milieu populaire, les intervenantes formées au genre poussaient les filles à dépasser leur peur de l’animal et des obstacles. De même, dans un club de foot, le seul intervenant qui réussissait à garder des filles dans son équipe, à « fabriquer de l’égalité » était un homme sensible à l’égalité femmes-hommes et formé aux questions de genre. Proposer des pratiques égalitaires est donc lié à la formation sur les questions d’égalité. Alors, si l’on veut que tous et toutes apprennent à s’enrichir mutuellement des différences, à promouvoir la diversité, à mettre en avant ce qui est commun tout en valorisant les particularités individuelles, et contribuer à une culture de l’égalité, investissons dans la formation des intervenant.es !
Par Claire Pontais & Bruno Cremonesi SNEP FSU
Article extrait du numéro 9 Les Sportives
Sources : Nicole Mosconi – Site EPS et société – Sexisme-et-homophobie, reproduction de l’ordre sexué et sexuel, 2013
Christine Mennesson – Des femmes, des pratiques, des luttes, EPS et culturalisme, 2018, Ed. EPS
[1] Pour l’école, le rapport Teychennée en 2013
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