L’Euro 2022 vient de s’achever, couronnant les Anglaises. Les Bleues se sont arrêtées en demi-finale, une première sur le vieux continent. Pourtant, dans l’Hexagone, la question de la féminisation du football n’est pas encore résolue. Audrey Gozillon, docteure en STAPS, revient sur les raisons de ce retard et sur le chemin encore à accomplir pour rejoindre les grands du football féminin.
Wendie Renard, Marie-Antoinette Katoto. Aujourd’hui, les grands noms de l’équipe de France féminine font partie du quotidien des Français·e·s. Des milliers se rassemblent devant les écrans pour suivre leurs exploits et épopées lors des grandes compétitions. Un engouement encore récent par rapport aux autres cadors du football européen. Mais son implantation a, partout, été longue et difficile.
Pour le football féminin, un parcours semé d’embuches
Les footballeuses ont toujours été là. Dans tous les pays, ce sont des joueuses qui s’engagent sur les terrains dans les années 1900. « Ces joueuses dérangent, étant donné que l’on considère que la pratique du football ne convient pas aux femmes. Des lois apparaissent, les fédérations impulsent des politiques de restriction pour interdire la pratique du football aux femmes », raconte Audrey Gozillon. Pendant quelques années, elles disparaissent des radars. Puis dans les années 1960, les footballeuses se manifestent à nouveau sur les terrains. « Les institutions internationales (UEFA et FIFA) commencent à s’inquiéter et demandent aux fédérations de prendre en charge le football des femmes », explique-t-elle. De cet encadrement naissent les commissions féminines. Mais les fédérations ne donnent pas toujours leur aval à cette nouvelle pratique.
À lire aussi : Football : Nathalie Portman réinvente le football au féminin avec Angel City FC
L’Europe du Nord et les États-Unis, nations pionnières pour féminiser le ballon rond
Dans les années 1970, les fédérations structurent la pratique en créant des commissions féminines. Certaines impulsent dans la foulée de véritables politiques de développement. A contrario, en France, la commission est tenue à l’écart. En Allemagne de l’ouest, la fédération donne de l’argent à la commission féminine pour organiser des compétitions et tournois sereinement. La commission lance également le plan « donnons une chance aux filles » pour féminiser les équipes. Résultat, le nombre de licenciées augmente. Des pratiques similaires naissent en Suède ou en Angleterre.
Les États-Unis apparaissent aussi comme fondateurs pour le football féminin. Mais le processus de développement est totalement différent. Tout commence dans les universités. « La pratique se développe dans le cadre scolaire et non fédéral. Puis elle est interdite. Une loi promulguée en 1976 demande l’égalité entre les hommes et les femmes dans la pratique et permet aux filles de pratiquer à nouveau à l’université », explique Audrey Gozillon. Pour que la fédération s’en mêle, il faut attendre le début des années 2000 et la victoire à domicile de la Coupe du monde. « En 2000, la Women United Soccer Association est créée juste après leur victoire en Coupe du monde, une des premières juste pour les filles. Elle regroupe des filles et leurs proposent un statut de joueuse professionnelle », raconte la chercheuse. Au même moment, la situation est tout autre en France.
2011, l’année zéro du football féminin français
En France, le football féminin s’est implanté récemment. « Dans les années 1970, toutes les fédérations prennent en charge la pratique par l’instauration de commission féminine. Après, soit les fédérations continuent d’impulser des politiques à destination des femmes pour promouvoir l’activité, soit au contraire elles l’écrasent, comme en France », explique Audrey Gozillon. En 2011, la FFF impulse l’élan décisif pour le football féminin en France avec son plan de féminisation. Ce plan a pour but de féminiser le football à tous les niveaux. Et le résultat est encourageant. Le nombre de licenciées est passé de 90 000 en 2011 à 200 000 en 2020. Le taux de féminisation est passé à 5,4 % en 2018 alors qu’il n’était que de 2 % dans les années 2000. L’apogée de ce projet de féminisation, l’organisation de la coupe du monde en 2019. « Mes résultats montrent que les mega-événements sportifs peuvent encourager les femmes à franchir les barrières et à fouler les pelouses », explique-t-elle. Ce Mondial devait constituer l’élan décisif. Mais la pandémie a mis un coup d’arrêt. « En France, on a accueilli la Coupe du monde en 2019 mais personne n’a pu en mesurer l’impact sur le nombre de licenciées ,parce que juste après on rentre en période de Covid », constate-t-elle.
Les médias, longtemps bourreaux du football féminin en France
Le manque de médiatisation a aussi joué son rôle dans le retard français. « En France, les médias vont se cantonner à un rôle tardif de promotion du football féminin. Jusque dans les années 1980, ils vont invisibiliser les footballeuses. Il faut vraiment attendre les années 2010 pour voir les joueuses françaises bénéficier d’une couverture médiatique », explique Audrey Gozillon. Cette bascule s’opère grâce à des plans politiques. Le CSA lance un plan poussant les médias à donner plus de visibilité aux footballeuses. Aux États-Unis ou en Angleterre, les joueuses de football ont trouvé leur place dans les médias.
Mais en France comme ailleurs, les médias s’attachent plus à leur rôle de femmes qu’à leur métier de footballeuse. Et il n’y a pas que les médias. « Les dernières campagnes de promotion (2009 et 2011) de la fédération que l’on a étudiées mettent en avant une sorte d’hyper féminisation de la pratique. Elles sont parfois représentées toutes nues. La fédération a mis l’accent sur la beauté et la féminité et non sur la joueuse de football », explique la chercheuse. Le chemin à parcourir est encore long pour l’égalité dans le monde du ballon rond. Mais une chose est sûre, la graine du football féminin a bien pris.
Crédit photo : FFF
À lire aussi : Avec Wilma, la pratique du cyclisme est facilitée grâce au cuissard menstruel
Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ?
Proposez une correction à notre rédaction.
Vous avez aimé cet article ?
Retrouvez tous nos articles de fond dans le magazine
S’abonner au magazine