Paris 2024 : La safe zone du Club France, un espace d’écoute et de parole au coeur de la fête olympique
Au Club France, on ne met pas le sujet des violences sur le banc de touche. À proximité de la scène centrale, une safe zone et une zone refuge sont ouvertes tous les soirs de 18h à 2h du matin. Dans la Grande Halle de la Villette, transformée en lieu de fêtes et de célébrations tous les soirs, c’est l’association Act Right et les bénévoles du Club France qui veillent au grain.
Il est 18h, l’ambiance est déjà chaude dans la Grande Halle de la Villette, cœur battant du Club France et lieu de célébrations des athlètes tricolores médaillés des Jeux olympiques de Paris 2024. À droite de la grande estrade, des bénévoles parés d’un même gilet argenté floqué « safe zone » s’organisent dans la bonne humeur. Juste à côté d’eux, un stand et déjà des personnes qui s’approchent, posent des questions, consultent ou récupèrent de la documentation à libre disposition. Sur la table : des brochures, violentomètres, préservatifs, ou encore des bouchons d’oreille. En fait, un peu de tout ce qui permet de se protéger, y compris de l’information.
La safe zone du Club France vient d’ouvrir. Assis au point d’accueil, Nathan, bénévole du Club France, nous la présente en deux mots : « Ici, c’est avant tout un endroit où des filles ou des garçons qui ne se sentiraient pas en sécurité peuvent venir nous parler. Mais on fait aussi de l’information et de la protection, qu’elle soit auditive ou concernant tout ce qui est droit ». Il nous explique encore que ce n’est que l’une des deux safe zones déployées sur le site de la Villette (l’une dans la Halle, l’autre dans le Parc), à l’initiative du CNOSF (Comité national olympique et sportif français) pour veiller à ce que les festivités olympiques se tiennent dans le respect et la sécurité de tous les publics. C’est l’association Act Right, spécialisée dans la prévention sexuelle dans le monde de la musique et les milieux festifs, qui a été chargée de la mise en place de cet « espace sûr » dans ce spot stratégique de la Halle.
« On fait de la vigilance »
Nathan n’est pas membre d’Act Right, mais bénévole au Club France. Il nous décrit comment le travail s’organise concrètement sur le stand, où vous trouverez toujours au moins un volontaire des JO et un membre d’Act Right : « En gros, ce qu’il se passe en général, c’est que les gens viennent spontanément nous poser des questions […] mais on fait des maraudes aussi. L’idée, poursuit-t-il, c’est que l’on va parler aux gens, les sensibiliser […] mais aussi regarder s’il n’y a pas des gestes qui seraient déplacés. »
« En fait, on fait de la vigilance » résume Nathan. En cas de gestes effectivement déplacés, ou de rencontre avec une personne qui simplement se sentirait mal, lui ou les autres volontaires en maraude vont pouvoir la rediriger vers une zone refuge, « une zone tranquille » située juste derrière la safe zone, « où les personnes peuvent se mettre au calme, avec une personne qui est là aussi pour prendre leur témoignage si elles le souhaitent ». Cette oreille, c’est Sylvie, co-fondatrice de l’association les Établi·e·s, à Tours, avec laquelle elle fait du recueil de témoignages et de l’accompagnement de victimes.
La zone refuge : un espace d’écoute et de repos
Sylvie m’explique que c’est Act Right qui a fait appel à elle et à son expérience longue comme écoutante, notamment sur la question des violences sexuelles, pour mener les entretiens avec les victimes éventuelles. On la retrouve le plus souvent au point d’accueil, là où elle peut échanger avec les gens, et « éventuellement proposer à certaines personnes un entretien si elles en ont besoin ». Elle nous fait traverser un couloir et nous ouvre grand la porte sur une pièce assez spacieuse, bien fournie en canapés, et surtout bien isolée du bruit et de la chaleur du grand pavillon : « Ici, c’est c’est la zone refuge. Si quelqu’un m’appelle parce que la personne ne peut pas se déplacer jusqu’à la safe zone, je vais aller la voir et l’amener dans la salle. On l’a aménagée avec des coussins pour pouvoir faire les entretiens au calme. »
L’idée, c’est vraiment la mise à disposition d’un espace de parole et d’écoute, à disposition de toute victime de violences, quelles qu’elles soient – gestes déplacés, discriminations, etc. – mais plus largement de toute personne qui pourrait avoir besoin de parler : « On a aussi eu quelques personnes qui sont venues au stand en disant ‘Je me sens un peu anxieuse, je me sens un peu seule, etc.’ Ça m’a permis de faire des petits entretiens de réassurance, de sonder l’état de ces personnes. C’est important aussi ». Dans l’éventualité où une personne agressée voudrait porter plainte, Sylvie est aussi formée pour la diriger. Dans tous les cas, « on s’adapte à la victime : on écoute son récit et on respecte ses besoins ».
« N’importe qui peut venir »
Jeanne-Sophie, chargée de communication d’Act Right, explique que « n’importe qui peut venir dans la zone refuge : athlètes, professionnels du sport ou simplement publics […] si elles ont été victimes de violences ou de discriminations, ou simplement si elles éprouvent le besoin d’un moment de calme, par exemple parce qu’elles font de l’agoraphobie. En fait, on englobe vraiment toutes les actions qui demandent un accompagnement », et cela, pour n’importe quelle personne qui serait présente à la Grande Halle de la Villette.
Lorsqu’on lui demande comment l’initiative s’est mise en place, Jeanne-Sophie nous explique que c’est le CNOSF qui a sollicité Act Right : « Ils nous ont clairement dit qu’ils voulaient une safe zone et un espace de recueil de paroles ». Ils ont ensuite mis à disposition de l’association ce dont elle aurait besoin, à commencer par un local. Forte de son expérience de prévention dans le milieu festif, elle a aussi pu faire ses suggestions au Comité : signalétique suffisante, bénévoles repérables, etc. « On a aussi eu carte blanche sur la façon d’aménager notre safe zone. En fait, ils nous ont fait beaucoup confiance ». L’association s’est également souciée de ne faire appel qu’à des personnes formées en bonne et due forme pour mener les entretiens : « C’est important d’avoir des travailleurs sociaux, parce que la manière dont on va accueillir une victime, choisir une posture, tout cela va être décisif pour la victime, sa reconstruction psychologique et sa confiance dans le système d’accompagnement et de prise en charge des violences ».
« C’est vraiment un travail collectif »
Du côté d’Act Right, on voit cette main tendue par le Comité à une structure spécialisée dans la prévention des risques associés au contextes festifs comme un bon signe. « Cela montre d’abord que les institutions s’emparent de la question des violences sexuelles » mais aussi « qu’il y a une prise de conscience collective que les célébrations sportives ne sont pas toujours bon enfant [… ] et que le public des lieux festifs des JO à Paris n’allait pas être simplement des personnes qui regardent du sport, mais font aussi la fête, consomment de l’alcool, etc. », ce qui peut parfois s’accompagner de comportements à risque comme Jeanne-Sophie le rappelle.
Pour procéder à l’élaboration et à la mise en oeuvre logistique de la safe zone, les équipes d’Act Right ont plus globalement fait équipe avec l’ensemble des acteurs et actrices qui allaient être mobilisés au Club France (agents de sécurité, bénévoles, etc.) : « Ce que ça montre, c’est que le travail de réduction des violences sexuelles, c’est vraiment un travail collectif ; ça ne pourra pas se faire sans nous [le secteur associatif], ça ne pourra pas se faire sans le public, ça ne pourra pas se faire sans les institutions. Donc c’est bien de voir que tout le monde commence à mettre la main à la pâte. »
« Une grande première dans un événement sportif d’envergure internationale »
Cindie, la présidente d’Act Right, nous explique ce que cette initiative a d’inédit : « Le simple fait d’avoir mis en place cette safe zone, c’est une preuve que l’on est en train d’avancer énormément sur ces questions car c’est la première fois dans un événement sportif d’envergure internationale ». C’est un engagement concret contre les violences sexistes et sexuelles et « la preuve d’une prise de conscience des violences sexuelles qui touche énormément de domaines différents, dont le sport ».
Si elle reconnaît que l’« on est encore sur des dispositifs qui ne sont pas encore très connus du grand public et que l’on a eu du mal au début à nous faire connaître de tous et toutes au Club France », l’essentiel n’est pas là : « ce qui compte, c’est que ça existe, que ça nous permette de continuer à démocratiser et à faire connaître ces dispositifs du grand public ». Car l’enjeu, c’est aussi d’essayer de visibiliser et diffuser ce nouvel outil de prévention. Jeanne-Sophie conclut sur une note positive : « Peut-être qu’on va parvenir petit à petit, année après année, brique par brique, à réduire au maximum les violences sexuelles. Ou du moins, déjà à prendre beaucoup plus en compte la parole des victimes. »
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