Johanne Defay participe aux JO de Paris 2024 sur la vague de Teahupo’o à Tahiti @CNOSF/KMSP
Dossier

Paris 2024 (surf) – Anne Schmitt : « Les femmes n’ont pas eu le droit de surfer sur Teahupo’o pendant plus de dix ans »

Claire Smagghe
29.07.2024

Dans le surf, les femmes ont longtemps lutté pour pouvoir prendre part aux compétitions sur les grosses vagues. Le site de Teahupo’o a lui aussi été retiré du circuit professionnel en 2006 avant d’être réintégré en 2018 en vue des Jeux olympiques de Paris 2024. Tour d’horizon avec Anne Schmitt, chercheuse en sociologie du sport à l’Université de Paris Saclay et auteure de l’étude Et si le surfeur des plus grosses vagues au monde était une femme ?

 

Les Sportives : Vous avez effectué une recherche sur les femmes, le monde du surf et notamment la lutte pour le droit d’avoir le droit de surfer comme les hommes. À quand remonte les débuts de cette lutte ?

Anne Schmitt : C’est une enquête sur le surf de très grosses vagues, dont les prémices remontent aux années 2000. Les femmes étaient exclues de ces spots-là. Andrea Moller ou Keala Kennelly ont décidé un jour de prendre un jet-ski pour aller surfer sur Jaws (mâchoire en français, ndlr). Les hommes sur le spot faisaient tout pour les empêcher de surfer et d’avoir leur place sur la vague. Puis, au même moment, en Californie du Nord, à côté de San-Francisco, sur la compétition de Mavericks, les organisateurs de la compétition refusaient de faire concourir les filles. Avec comme principaux arguments le niveau requis et des difficultés financières. Et en 2014, il y a une compétition en Oregon sur Nelscott Reef qui a été organisée. Il n’y ont invité que des filles. À ce momentllà, ces filles se disent que c’est vraiment aberrant de ne pas être invitées sur les autres compétitions. De là, un mouvement féministe de lutte est né et qui a mené à la constitution d’un comité qui s’appelle le CEWS (Comité pour l’égalité pour les femmes dans le surf). Et à partir de là, elles se sont battues pour avoir leur place dans les grosses vagues. 

 

Où en est-on désormais de l’intégration des surfeuses aux compétitions sur les grosses vagues ? 

Malgré le fait que ça aille un peu mieux et qu’elles aient désormais leur place, notamment grâce à Justine Dupont et aux surfeuses hawaïennes qui ont fait des performances. Mais il y a toujours une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Si elles chutent, les médias pointent la chute des femmes en remettant en question leur capacité à surfer ce genre de vague alors qu’un homme qui chute est considéré comme un héros. 

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Les performances des femmes sur les grosses vagues ne sont pourtant plus à prouver. Y-a-t-il encore un intérêt à distinguer les compétitions hommes et femmes ?

Dans le surf de grosses vagues, les performances des femmes sont les mêmes que les hommes. Justine Dupont fait partie des meilleurs surfeurs du monde, hommes et femmes confondus. Malgré tout, World Surfing, continuent de récompenser dans beaucoup de catégories les hommes et les femmes séparément. Ce sont simplement des arguments sociaux et culturels qui freinent. 

Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les carrières de ces championnes ?

Les femmes ont moins d’opportunités en surf que les hommes. Cela a été prouvé par beaucoup de chercheurs qui s’intéressent à l’industrie du surf. Les femmes sont bien moins financées que les hommes. Et à cela s’ajoute tout le côté sexualisation qui est très compliqué à gérer pour beaucoup de surfeuses. C’est notamment le cas de Johanne Defay, qui participe actuellement aux JO, et qui est en difficulté sur ce point. Elle a du mal avec l’idée de jouer les filles sexy pour financer sa carrière. L’industrie du surf récompense les surfeuses qui jouent le jeu de la sexualisation plutôt que les performeuses. 

« Je gagnais toujours les compétitions et j’avais des sponsors et j’ai remarqué que même si c’était toujours moi qui gagnais, les filles qui ressemblaient à des mannequins recevaient de meilleures offres. » Bianca Valenti1Extrait de l’étude Et si le surfeur des plus grosses vagues au monde était une femme ? La subversion de la bi-catégorisation sexuée par les pionnières du surf xxl

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Le site de Teahupo’o, site actuel des Jeux olympiques, qui n’est pas considéré comme une grosse vague (sauf en hiver) mais reste tout de même un site dangereux (entre 2 mètres et 2 mètres 50), avait été retiré du circuit professionnel féminin en 2006 par la World Surf League (la ligue professionnelle mondiale). Que s’est-il passé ? 

À la demande de certaines surfeuses mais aussi des organisateurs, la vague de Teahupo’o a été retirée pour des raisons de sécurité. Quand on chute à Teahupo’o, avec les récifs, on peut se couper, se blesser, et donc avoir le corps marqué. Donc, pour certaines surfeuses, pour qui leur gagne-pain est leur corps et leur bronzage, c’était une grosse inquiétude. Mais il y avait des surfeuses comme Keala Kennelly, une des leader du circuit pro qui gagnait tout le temps à Teahupo’o, qui étaient dégoutées. 

« Beaucoup de gens, à cause de la proximité des deux sessions et du fait que je me suis détruit le visage sur le récif, disaient des conneries : “Oh elle n’aurait pas dû être là ! Regardez ! Elle a détruit son visage”. » Keala Kennelly22Extrait de l’étude Et si le surfeur des plus grosses vagues au monde était une femme ? La subversion de la bi-catégorisation sexuée par les pionnières du surf xxl[/mfn]

Finalement, l’arrivée des JO a permis de remettre cette vague dans le circuit féminin…

Oui, avec l’arrivée des JO paritaires, les séries hommes et femmes ne pouvant pas être organisées sur deux spots différents, ils ont été obligés de réintégrer la vague en 2018 au circuit pro pour qu’elles puissent s’y entraîner. Mais, par rapport aux hommes, les femmes n’ont pas eu le droit de surfer sur Teahupo’o pendant plus de dix ans. Dix ans de trou. Pour Vahine Fierro, pour qui c’est son spot, tout va bien. Mais pour d’autres surfeuses, cela été beaucoup plus compliqué. Il a fallu revenir à Teahupo’o. Et aller à Tahiti, c’est à l’autre bout du monde pour beaucoup de personnes. Donc cela élimine et met des bâtons dans les roues à celles qui ont peu de moyens. 

Notes

  • 1
    Extrait de l’étude Et si le surfeur des plus grosses vagues au monde était une femme ? La subversion de la bi-catégorisation sexuée par les pionnières du surf xxl
  • 2
    2Extrait de l’étude Et si le surfeur des plus grosses vagues au monde était une femme ? La subversion de la bi-catégorisation sexuée par les pionnières du surf xxl
Claire Smagghe
29.07.2024

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