« Pour le faire connaître, il faut pouvoir le voir » : la difficile professionnalisation du rugby au féminin
L’Elite 1 est le plus haut niveau du rugby féminin. Non diffusé et « complètement amateur », il a encore du mal à exister dans le paysage rugbystique malgré les nombreuses initiatives mises en place.
Il est 20h, les quarante joueuses de l’équipe 1 du Stade Français commencent leur entraînement sur le terrain après une heure de musculation. Grâce à l’investissement du club, elles s’entraînent au quotidien sur le terrain du Stade Français et sont accompagnées par deux coachs, un préparateur physique, et un staff médical pour préparer leur match du week-end. Mais malgré les moyens mis en place, le championnat d’Elite 1 est « complètement amateur » explique Laura Di Muzio, présidente du Stade Villeneuvois Lille Métropole et consultante pour France télévisions. C’est le plus haut niveau du rugby féminin français, il est composé de douze équipes réparties en deux poules.
Une formule qui a beaucoup évolué ces dix dernières années. “Pourtant l’année prochaine, le championnat doit encore changer avec dix équipes et une seule poule” continue la Nordiste. La raison ? Limiter le nombre de clubs pour permettre une homogénéité de niveau, mais aussi protéger les clubs et les joueuses. Car, depuis deux ans, les clubs de l’AS Bayonne et Chilly Mazarin, ont du déclaré forfait au milieu de la saison suite à de trop nombreuses blessures. Les mauvaises conditions d’entraînements et de récupérations des joueuses, les écarts de niveau entre les équipes sont souvent des facteurs de risques de blessures.
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“À l’entraînement, on attaque une deuxième journée”
“À l’entraînement, on attaque une deuxième journée, il y a une grande charge mentale et beaucoup de fatigue”, explique Alexandra Pertus, ancienne joueuse et coach de Villeneuve d’Ascq. Car sans professionnalisation, les joueuses s’entraînent tous les soirs après leur travail ou leurs études Une situation pesante, que partagent toutes les joueuses. Eloise Julien a 27 ans, elle joue depuis six ans avec les couleurs du Stade Français. “J’ai de la chance de pouvoir organiser mes horaires, explique-t-elle. J’arrive plus tôt que mes collègues et je repars plus tôt.” Sa coéquipière et capitaine Esther, elle, ne peut pas vraiment modifier ses horaires. Étudiante à l’UTC Compiègne, elle se réjouit d’avoir réussi à négocier un aménagement de cursus, pour pouvoir consacrer plus de temps au rugby.
Il y a aussi la question des infrastructures sportives, très demandées en soirée. Les joueuses doivent parfois partager leur terrain, ou s’entraîner sur des terrains plus éloignés, avec de moins bonnes conditions. “Pour les matchs, il y a la difficulté des trajets. Lorsque le match est le dimanche après midi, on est obligé de faire le trajet retour dans la nuit et rentrer vers minuit, une heure pour que les filles puissent aller travailler le lundi matin”, ajoute Alexandra Pertus. Si les conditions ne sont pas idéales, toutes les joueuses le reconnaissent : il y a eu de réelles améliorations ces dernières années.
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Une professionnalisation du rugby au féminin lente mais existante
Le symbole de cette évolution : les contrats fédéraux. Des contrats mis en place par la Fédération française de rugby depuis 2018. Aujourd’hui 32 joueuses d’Elite 1 jouant en équipe de France ont signé un contrat à trois quarts temps avec la Fédération. Depuis, la situation ne semble pas avoir beaucoup changé pour Laura Di Muzio : “La situation stagne parce qu’on s’est concentré uniquement sur le très haut niveau avec l’idée que les clubs vont suivre. On a oublié la base, alors que c’est la façon de faire monter les joueuses au très haut niveau. » Elle espère que le plan de développement de la pratique féminine pour 2033 mis en place par la Fédération pourra palier à ces manquements.
Malgré les difficultés auxquelles ils font face, certains clubs proposent de nouveaux modèles. Comme Villeneuve d’Ascq, qui vient de lancer les premiers CDD sportifs dans le rugby au féminin. Cette année, huit joueuses ont pu signer un contrat avec leur club. Si les 600 euros par mois ne permettent pas aux sportives d’être professionnelles, cela peut encourager les étudiantes souligne la présidente. Camille Favre, 22 ans, est une de ces joueuses, étudiante en ébénisterie, elle est heureuse de pouvoir arrêter les petits boulots qu’elle faisait en plus de ses études et du rugby. “Je commençais à me demander si je ne devais pas arrêter mes études pour travailler en plus du rugby, avec ce CDD la question se pose différemment”, raconte-t-elle. Le Stade Toulousain a également pu proposé des entraînements en journée pour les joueuses disponibles permettant de réduire les « doubles journées ». Une initiative que Yohanne Penot, directeur sportif de l’association Stade Français, rêve de mettre en place.
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Gagner en visibilité
La professionnalisation semble donc s’approcher un peu plus chaque saison. “Le nerf de la guerre, c’est la partie financière,observe Yohanne Penot. Et pour cela, il faut de la visibilité, donc une diffusion ». La saison dernière, seule la finale du championnat était diffusée sur France 4. “Pour faire connaître un sport, il faut pouvoir le voir. Les garçons [lle Top 14] sont diffusés donc ils ont des moyens”, note Camille Favre, qui voit au quotidien la différence avec son frère, joueur de rugby à La Rochelle en Top 14.
Une structuration financière qui doit permettre d’accompagner le développement des clubs. « Aujourd’hui les clubs se débrouillent un peu comme ils peuvent”, explique Laura di Muzio, le championnat anglais est à regarder”. En 2019, la fédération d’outre-Manche a accompagné financièrement, mais aussi administrativement et sportivement, dix clubs. Cet accompagnement a permis le développement des clubs pour permettre la mise en place d’un championnat professionnel. Celui-ci attire aujourd’hui de plus en plus de public, encouragé par les bons résultats de l’équipe nationale : le dernier crunch (rencontre entre l’Angleterre et la France) a rassemblé 53 000 spectateurs. Un exemple qui pourrait permettre à Yohanne Penot de signer quarante contrats pour les quarante joueuses de l’équipe du Stade Français, comme il le souhaite.
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