Depuis 2007, l’égalité est assurée en terme de prize money sur tous les tournois du Grand Chelem. Mais qu’en est-il ailleurs ? Décryptage avec l’économiste du sport Lionel Maltese, pour comprendre que derrière cette question primordiale se cachent de nombreuses ramifications.
Elle a été obtenue après une longue lutte, mais en 2007, Roland-Garros est devenu le dernier tournoi du Grand Chelem à offrir une égalité de genre dans les prize moneys. Seize ans plus tard, pourtant, de nombreuses disparités existent. En juin 2022, un rapport du Financial Times a conclu que le circuit ATP masculin a versé 75 % de plus de primes en tournois que le circuit WTA féminin. Un constat qui a alerté en février dernier la numéro un mondiale Iga Swiatek. Maître de conférence en économie du sport à l’université d’Aix-Marseille et organisateur de l’Open 13, Lionel Maltese décrypte pour Les Sportives les différences en terme de dotations entre les différents tournois, et comment le tennis pourrait se rapprocher de cette égalité.
Les Sportives : On a l’égalité des prize moneys sur les Grand Chelem, mais ce n’est pas encore le cas sur les tournois mineurs, où l’on distingue de grosses disparités…
Lionel Maltese : J’ai dirigé le tournoi WTA 1000 de Bruxelles, donc je vois les différences entre les tournois ATP de catégorie 250, 500, et ceux qui proposent un tableau féminin ou masculin, comme Rome et Madrid. Les prize moneys sont plus élevées dans les tournois ATP, car en Grand Chelem, l’économie est globale. Le doubles dames et le double mixte génèrent peu de sponsors et de diffusion télé. Pourtant, les prize moneys y sont plus élevés que dans certains tournois simples. C’est donc un choix social que de mettre des dotations élevées sur le tournoi handicap ou féminin.
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Côté budget, qu’est-ce qui oppose ces tournois ?
En Grand Chelem, les droits télé sont déjà actés, les sponsors déjà connus, la billetterie quasi sold out, donc la marge est déjà estimée. Seule question en suspens, celle du merchandising. Sur les tournois WTA ou ATP, les sponsors se positionnent à l’avance mais les droits de diffusion sont surtout internationaux. Ces télés achètent les matchs à l’unité, donc les recettes fluctuent. Grâce à la billetterie VIP, les organisateurs peuvent estimer un prize money, mais ce qui motive les meilleurs, ce sont les « fees ».
Pouvez-vous nous expliquer ce système de « fees » ?
Ce sont des garanties. Elles ne marchent pas sur les Masters 1000, obligatoires pour le top 10, hormis en cas de blessure. Mais si vous voulez Iga Swiatek pour votre WTA 500, il faut lui offrir une garantie. Certains très bon joueurs et joueuses sont payés pour venir sur la Hopman Cup 2023 (à Nice, du 19 au 23 juillet, ndlr). À Bruxelles, on investissait des centaines de milliers d’euros pour Maria Sharapova ou les Williams. Cela a apporté de la notoriété, là où Roland-Garros tient sans Rafa. Reste une question : ces tournois sont-ils prêts à investir des sommes supérieures aux dotations ? Autre point : pour l’Open 13, on peut facilement avoir plusieurs top 10. Kyrgios, Tsitsipas, Monfils… Mais côté féminin, seules quatre ou cinq joueuses attirent les télés et sponsors.
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Alors comment Roland-Garros parvient-il à offrir les mêmes prize moneys ?
À Roland-Garros, 50 millions d’euros sont assurés pour les loges et les places VIP de soirée, une économie absente du côté des trois autres Grand Chelem. Mais les droits télévisés domestiques sont moindres à Roland-Garros, qui se rattrape par les droits internationaux et son hospitalité. Aujourd’hui, la grande force de Roland-Garros réside dans leur offre de restauration, leur accueil et leurs hôtesses. Si on réduit cette partie en mettant des places pour les loges, cela ne compensera pas la perte de droits TV qui impacte les dotations. Sur les tournois WTA et ATP, c’est différent. L’économie ne tient pas sur les droits TV mais sur la billetterie. Un autre aspect important, c’est que les exploits des Français en qualification, comme Fiona Ferro et Lucas Pouille, font venir des spectateurs qui consomment du merchandising et de la restauration. Pour monter un tournoi, on doit donc réfléchir aux têtes d’affiches du pays. Sur mon tournoi, Monfils ou Tsonga attirent, même au premier tour. Or, côté féminin, à part Caroline Garcia, il y a peu d’options.
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Comment des tournois ATP et WTA pourraient-ils proposer deux tableaux ?
Quand l’ATP et la WTA combine les matchs, la globalité de l’exposition fait que les médias présents s’intéressent aussi aux femmes. Mais pour accueillir les deux au même moment, il faut de la place. L’Open 13 pourrait se décliner en un tournoi WTA 500 car le tournoi a 32 ans et que l’économie locale peut attirer les filles. Mais le Palais des Sports de Marseille fait 4000 places. Il faudrait donc louer les courts pour que les entraînements aient lieu et on est en déficit. C’est aussi le cas sur le Rolex Paris Masters, où le court 1 est catastrophique. En France, aucune infrastructure ne peut accueillir les deux. Il y a donc ce problème d’infrastructure que n’ont pas les organisateurs étasuniens ou chinois. Là-bas, on investit sur le tennis féminin. À Wuhan, le stade est énorme. Mais c’est l’État qui agit. En revanche, les gros tournois comme Halle, Rome, Madrid, mais aussi Indian Wells, ou au Canada, peuvent combiner. À Monaco, par contre, pas de place, impossible.
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