Tableau féminin de Roland-Garros : les diffuseurs entre rentabilité et responsabilité
Si la diffusion de matchs féminins en session de nuit à Roland-Garros est un casse-tête économique, les médias ont une responsabilité sociétale. Celle de rendre davantage visibles les sportives.
Finis ces débuts de soirée où les matchs du court Philippe-Chatrier étaient arrêtés à 20h30 parce qu’on ne voyait plus la balle. Depuis 2021, Roland-Garros possède son toit, ses projecteurs, et les passionnés peuvent y rester jusqu’au dernier métro. Une session « journée », une session soirée, mais une évolution qui a pourtant eu un perdant : le tennis au féminin. Aujourd’hui, hormis France Télévisions, Amazon propose un match en soirée sur Prime Video, son service de streaming payant. Mais en 2022, sur dix sessions de nuit jouées, une seule rencontre du tableau dames avait été programmée le soir sur la quinzaine : celle entre Jelena Ostapenko et Alizé Cornet au deuxième tour.
Alertée, Amélie Mauresmo, la directrice du tournoi, avait répondu que les matchs masculins avaient « plus d’attrait ». Des propos jugés « décevants et surprenants » par Iga Swiatek, numéro 1 mondiale. « Si on continue de traiter les femmes comme des citoyennes de seconde classe, nous resterons des citoyennes de seconde classe », avait abondé Billie Jean King, ancienne joueuse et historique co-fondatrice de la WTA.
Un manque de joueuses charismatiques ?
Relancée fin mai 2023, la seule double vainqueur française de Grand Chelem avait répondu qu’il allait falloir « attendre les tableaux pour savoir quels face-à-face allaient avoir lieu chaque jour et avant de décider du match du jour. » À l’Open d’Australie ou à l’US Open, deux matchs de night session se tiennent par journée. Seul Wimbledon reste le dernier des Mohicans en matière de session nocturne. Grand reporter au service des sports de RTL, Isabelle Langé a couvert tous les tournois du Grand Chelem. Militante de l’égalité, elle estime néanmoins que la Fédération subit le manque de figures charismatiques du tableau féminin. « Avec Maria Sharapova et Serena Williams, on allait au-delà du tennis, au-delà du glamour, au-delà de tout ! » Mais alors, le niveau d’une joueuse n’est-il plus suffisant pour qu’elle soit positionnée en prime time ?
En cette journée de troisième tour, la journaliste juge que la Fédération française de tennis a raté le coche. « Ils auraient du programmer Caroline Garcia en session de nuit au lieu de Jannik Sinner. C’est la numéro 1 française et la numéro 5 mondiale. C’est dommage. » Un coup d’oeil en sa compagnie au tableau féminin nous fait réaliser que les affiches alléchantes s’étiolent. « À la limite, Coco Gauff – Iga Swiatek en session de soirée en quart de finale. Gauff a du charisme, elle rappelle les Williams. En tout cas, il faut plus que du jeu, il faut des personnalités. » Cette nouvelle night session s’avère une aubaine pour l’organisation : désormais, on paie un billet soit pour la journée, soit pour la soirée.
Reste que le partage de la diffusion entre France Télévisions et Amazon suscite l’ire des non-abonnés. En rappel, la polémique de 2022 autour du quart de finale Nadal – Djokovic, chipé par Amazon, et qui avait finalement été diffusé gratuitement. « La seule opinion qui compte pour la FFT est celle d’Amazon », confirme Isabelle Langé. Et c’est parti pour durer : à partir de 2024, Prime Vidéo récupère un match en nocturne supplémentaire, ce qui fera donc 11 sessions nocturnes.
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Le salut du sport au féminin viendra t-il du service public ?
Rosarita Cuccoli est professeure de sociologie du sport à l’Université de Vérone et référente sport et médias au sein du think tank Sport et Citoyenneté. « Prime Video analyse les préférences de ses abonnés et c’est comme cela que le service décide de la programmation. C’est du marketing pur et dur. » Une stratégie pourtant problématique, selon elle. « Quand on fait une étude de marché et que l’aspect marketing domine l’aspect sociologique, on perpétue les préférences du public sans tenter de les influencer. Ce n’est donc pas un bon marketing. »
D’après la chercheuse, les médias ne peuvent pourtant nier la place croissante que la femme prend dans la société. « Amazon divertit, mais France Télévisions informe. Ils ne peuvent donc pas rester sur un souci de rentabilité. » Le salut du sport au féminin viendra t-il du service public ? Alors que France Télévisions a fait le pari d’être diffuseur du Tour de France Femmes et du Paris-Roubaix Femmes, le chef de son service des sports, Laurent-Eric Le Lay, ne s’est pas positionné sur le Mondial féminin de foot. En cause, des « coûts trop élevés » imposés par la FIFA.
Ces coûts sont toujours moins élevés que pour des compétitions masculines. Et en 2022, le Tour de France femmes a attiré 3 millions de téléspectateurs, soit 27,8 % du public. « L’exemple du sport au féminin rappelle celui du handisport, insiste Rosarita Cuccoli. En 2012, Channel 4 avait cartonné avec les Jeux paralympiques. » 2016, 2020… depuis que la chaîne britannique diffuse les éditions successives des Jeux, elle enchaîne des records. « Peut-être qu’un jour, les médias viendront vraiment vers le sport au féminin. Le jour où ils se rendront compte que ça marche… »
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