Article extrait du magazine Les Sportives n°24, été 2023.
À l’approche de grandes compétitions, en premier lieu des Jeux de Paris 2024, la féminisation des stades et l’accueil des supportrices est un enjeu prioritaire pour assurer la mixité de ces lieux et un maximum de sécurité.
510 000 personnes sur cinq jours cumulés : c’est le nombre de spectateurs et spectatrices du Festival international sports extrêmes en mai 2023 (FISE), la grandmesse des sports urbains. « Sur la deuxième journée cette année, l’affluence augmente de 10,5 % par rapport à 2022 », précise Thibaut Bertolini, responsable de la sécurité sur place. L’accueil et la gestion des flux sont primordiaux sur le troisième événement sportif gratuit en France. Ils le seront tout autant lors du mondial de rugby à l’automne 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dont la cérémonie d’ouverture, le long de la Seine, pourrait rassembler près de 600 000 spectateurs.
Malheureusement, ces foules représentent un danger pour nombre d’entre nous. Mains aux fesses, baisers forcés, attouchements, le soir de la victoire des footballeurs à la Coupe du monde en 2018, des femmes ont dénoncé les agressions sexuelles subies. Après le fiasco de la finale de la Ligue des Champions 2022 au Stade de France et le rapport de l’UEFA qui accablait la mauvaise gestion de la police française, la sécurisation du public féminin se pose. Et si une partie de la solution pour éradiquer la violence, mais aussi que les femmes se sentent plus à l’aise dans les stades, consistait à œuvrer pour accroître leur présence dans les gradins et aux alentours ?
Le RC Strasbourg, précurseur en la matière
Sur le sujet, le Racing Club de Strasbourg montre l’exemple. L’équipe alsacienne évolue régulièrement à guichets fermés, devant un public particulièrement varié. D’après une étude de l’Institut Nielsen et de la Ligue de football professionnel publiée en février 2023, 26 % des spectateurs de la Meinau sont des femmes, un record en Ligue 1. « On est les premiers sur l’augmentation de la présence des femmes et sur le nombre d’étudiantes », développe Sabryna Keller. Partie du principe qu’inviter des femmes pour la journée du 8 mars était « du pipeau intégral », la compagne de Marc Keller, président du club alsacien et ancien joueur, a lancé il y a dix ans Femmes de Foot, dont elle est aujourd’hui la présidente.
L’association vise à amener de nouvelles supportrices vers le club fondé en 1906. « Toutes celles qui disent que leur père, leur frère ou leur meilleur ami vont voir les matchs… je voulais les faire entrer à leur tour dans le stade. » Pour cela, Sabryna Keller a d’abord refusé d’établir la gratuité qui, selon elle, ne fidélise pas, ne favorise pas une réelle implication. « Je préfère leur faire payer quelque chose, ne serait-ce que deux euros, et qu’elles reviennent à plusieurs reprises. » La fondatrice de Femmes de Foot a aussi préféré planifier des événements fin avril plutôt qu’autour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, car « à la période des beaux jours, en fin de saison, il y a un réel enjeu sportif ». L’une de ses autres idées phares a été d’ouvrir le stade trois heures avant le match et de proposer des animations, comme la présence d’un DJ. « Ces temps d’animation incitent vraiment les femmes à se déplacer. »
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À la Meinau, une portion de virage dédiée aux supportrices
La première année, elles étaient 200 amatrices. « Et puis, elles ont demandé à la billetterie si ces initiatives seraient renouvelées. Alors, on l’a refait d’année en année. » Résultat : en 2015-2016, lors de son grand retour en Ligue 2, le RC Strasbourg comptait tellement de supportrices qu’il avait de quoi créer un kop. « L’année suivante, nous avons lancé Kop’IN, un abonnement qui leur est dédié. » Les supportrices disposaient ainsi d’un espace réservé, un quart de virage, pour partager une soirée avec leurs enfants, leurs copines ou leurs collègues. Une safe zone appréciée. « Pour avoir discuté avec elles, ça a rassuré les supportrices d’avoir un espace dédié. » Cette non-mixité, qui a perduré pendant trois saisons, était alors perçue comme une porte d’entrée. « Celles qui viennent souvent au stade doivent être à l’aise partout, qu’elles veuillent être avec les ultras ou non. »
Lors de la saison 2022-2023, l’initiative a finalement été stoppée. « On est passé de 6 à 26 % de supportrices, donc on n’est plus obligé de leur créer un espace dédié. » En 2017, le Racing Club de Strasbourg a remporté le prix de la meilleure expérience stade pour la catégorie « femmes ». Désormais, une association officielle des supportrices du RCSA existe aussi. « En 2021-2022, elles ont fait deux ou trois déplacements. Cette année, neuf. Et en 2023-2024, elles projettent de tous les faire. » Pourquoi des initiatives similaires n’existent pas dans d’autres clubs français ? Sabryna Keller est catégorique. « Ils essayent autour du 8 mars mais dans le fond, je pense que cela ne les intéresse pas. » Et pourtant, les clubs auraient tout intérêt à féminiser leurs virages « car elles consomment plus que les hommes ». Pour Sabryna Keller, la question de la féminisation ne se pose donc plus à Strasbourg. « Nous avons mis de la mixité partout. Donc aujourd’hui, tout est naturel. » Mais alors, comment expliquer ces chiffres exemplaires ? « Il y a onze ans, quand mon mari a repris le club, le Racing était en liquidation judiciaire. Nous sommes passés tout près de la fin et les supporters en ont pris conscience. Ils se sont encore plus investis. »
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Un écueil persiste
Le RC Strasbourg assure aussi être vigilant sur les comportements envers les femmes dans le stade, que ce soit auprès du personnel féminin ou des spectatrices. « Un superviseur est disponible sur chaque secteur, abonde Bruno Chapel, responsable de la sécurité les soirs de match, après 17 ans au LOSC (Lille). Nous sommes visibles, tout comme les stadiers, grâce à des chasubles colorées. » En ligne, un formulaire de contact permet à chaque spectateur de remonter tout mauvais comportement. Un processus plébiscité par le public. « Neuf fois sur dix, on identifie la personne et on décide soit d’une interdiction de stade, soit d’une sanction disciplinaire. » Pour autant, un problème persiste quant à la qualité de l’accueil des femmes au stade. « Les palpations à l’entrée doivent être faites par des personnes de même sexe. Sauf que la sécurité n’est pas assez féminisée », regrette Bruno Chapel. Aujourd’hui, la Meinau possède trois entrées et sur les deux principales, le club a besoin de 16 femmes sur les 60 agents chargés de palpation. « En règle générale, nos prestataires nous les fournissent, mais c’est vrai que c’est toujours ric-rac », concède-t-il. Des alternatives ont été envisagées. « On compense par des portiques ou des magnétomètres qui permettent de détecter les métaux. Ce n’est pas intrusif. » Mais cette option n’est par exemple pas envisageable sur certains évènements
comme le FISE, qui se déroule le long du fleuve Lez et auquel un demi-million de spectateurs a pu accéder cette année. « Les agents peuvent détecter les drogues, contrairement aux détecteurs », remarque Thibault Bertolini, qui travaille pour Protection Sécurité Industrie, le premier groupe de sécurité privée en Occitanie.
20 000 À 25 000 agente supplémentaires de sécurité privée pour Paris 2024
Pour assurer la protection durant les Jeux, 20 000 à 25 000 agents de sécurité privée supplémentaires doivent être recrutés pour s’occuper, en théorie, de l’intérieur des enceintes sportives et de l’accès aux sites. Un défi de taille pour Paris 2024, responsable du sujet lors de l’événement, mais aussi pour les collectivités et l’État, qui devront gérer les espaces publics et les zones de célébration. Alors que la filière est en tension – la profession manquerait déjà d’environ 20 000 personnes -, certaines solutions ont été envisagées, comme la revalorisation des salaires. Aujourd’hui, pour exercer le métier d’agent de sécurité dans un stade, il faut suivre une formation de 175 heures : un examen à son terme permet, si la formation est validée, d’obtenir une carte professionnelle. Mais face au manque de bras dans la profession, et de femmes, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), qui s’occupe
de la délivrance du précieux sésame, a assoupli les règles en vue des Jeux. « Une carte professionnelle spécifique à Paris 2024 a été créée pour permettre de pallier le manque d’agents, remarque Thibault Bertolini. Le temps de formation a été réduit à 106 heures. » Pour Bruno Chapel, il faudrait aller plus loin. « Il est compliqué aujourd’hui de suivre une formation quand on travaille déjà. On pourrait proposer une formation continue. » Quoi qu’il en soit, selon Thibault Bertolini, la sécurité ne doit plus être perçue comme un rapport de force. « Un agent doit aussi créer du relationnel, pour savoir communiquer en cas de refus de palpation, donner les bons arguments… Et ça, une femme peut aussi bien le faire. »
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