Série [2/3] L’histoire de la place des femmes aux Jeux olympiques et paralympiques : du VIIIe siècle avant J.C à nos jours
Des Jeux antiques interdits aux femmes, en passant par des mouvances misogynes des hommes de l’époque et des politiques controversées des États… Le combat pour l’intégration des femmes aux Jeux olympiques a été long et semé d’embûches. À l’été 2024, les Jeux de Paris devraient être paritaires, une première. Analyse avec l’historien du sport, spécialisé dans les Jeux olympiques, Pierre Lagrue. Ce deuxième épisode de la série s’étend du combat d’Alice Milliat, dans les années 1920, à la mandature de Samaranch dans les années 1980.
Même si la Première Guerre mondiale a constitué une période tragique, elle sera bénéfique pour les femmes. « Elles vont assurer l’essentiel de la production, ce qui leur fait prendre conscience qu’elles existent » et qu’elles aussi sont capables de faire ces activités. Dès 1915, elles organisaient notamment des compétitions sportives inter usines. Une fois la guerre terminée, les rôles se sont de nouveau échangés. Des mouvements de contestation « pour promouvoir l’activité professionnelle féminine », mais aussi pour le sport, ont commencé à prendre de l’ampleur.
Alice Milliat en sera la figure et fera, de l’accession des femmes aux Jeux olympiques, son plus grand combat. « Elle était fédératrice et représentait le féminisme sportif », soutient Pierre Lagrue. Pratiquante d’aviron, elle a fondé la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France en 1917 puis la Fédération sportive féminine internationale en 1921. Une de ses plus grandes actions : la création des Jeux mondiaux féminins, avec une première édition en 1922, à Paris. « Les éditions suivantes vont connaître un grand succès. Les gradins seront remplis pour voir les épreuves féminines. » Grâce à ces Jeux, les femmes ont progressivement intégré les épreuves olympiques, mettant fin aux Jeux mondiaux féminins d’Alice Milliat.
Inclure les femmes aux Jeux olympiques, vraiment ?
De 4,4 % d’athlètes féminines aux Jeux olympiques de Paris en 1924, elles représentaient 9,6 % à Amsterdam en 1928. À ces Jeux, les femmes accédèrent à l’athlétisme : lancer du disque, saut en hauteur, 100 mètres, 4×100 mètres et 800 mètres. « Ça se passe bien sauf sur le 800 mètres ». L’Allemande Lina Radke remporta la course en 2 minutes et 16 secondes, avec une vitesse moyenne de 21,18 kilomètres par heure. Certaines femmes s’allongèrent au sol après la course. Les hommes virent donc cet effort comme un danger. « C’est un sommet de mauvaise foi. Les comptes-rendus sportifs insistent plus sur les défaillances des concurrentes que sur la performance de celles qui gagnent », insiste Pierre Lagrue. Aucune course féminine supérieure à 200 mètres ne leur fut possible jusqu’aux Jeux de Rome, en 1960. Pour le marathon, distance mythique des Jeux olympiques, les femmes n’eurent leur épreuve qu’en 1984, soit 90 ans après les hommes. Et ce grâce à Kathrine Switzer qui participa illégalement au marathon de Boston, en 1967.
« À partir de la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont leur place aux Jeux mais toujours pas la même que les hommes ». En 1952, à Helsinki (Finlande) elles étaient 10,4 % : c’est la première fois que le taux est si élevé. Cette hausse n’est pas due à des actions délibérées des États mais à une stratégie de soft power, en période de guerre froide. La domination d’un pays se jouait aussi sur les terrains sportifs en rapportant le plus de médailles aux Jeux olympiques. L’URSS s’est ainsi engagée dans cette brèche. « Les Soviétiques se sont dit que sur les épreuves féminines, ils étaient sûrs de gagner parce qu’il n’y avait pas de concurrence. En Occident, personne ne s’intéressait au sport féminin, détaille l’historien. L’URSS a gagné quasiment autant de médailles que les États-Unis. » Tous les pays ont fait de même. La participation féminine aux différents Jeux ne sera que plus importante : 11,3 % en 1956 à Melbourne (Australie), 11,4 % en 1960 à Rome, 13,2 % en 1964 à Tokyo et jusqu’à 15 % en 1968, à Mexico.
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Le dopage des femmes : la gangrène
« Autre événement, moins glorieux : la politique de dopage de l’Allemagne de l’Est », à Munich, en 1972. Si les hommes étaient dopés, les femmes l’étaient encore plus. Elles étaient contraintes d’ingérer des pilules vitaminées, mais en réalité, des stéroïdes anabolisants androgéniques, des hormones mâles. De nombreuses athlètes ont fini stériles. « Il y avait nettement plus horrible. Les femmes sont plus performantes au début de leur grossesse. Leurs entraîneurs les mettaient enceinte pour qu’elles soient plus compétitives au moment des Jeux », ajoute-t-il. L’Allemagne de l’Est prend la troisième place, et finit même devant les États-Unis en 1976 à Montréal. 20,7% en 1976, une année marquante donc pour les femmes.
Arrivé à la tête du CIO le 16 juillet 1980, la mandature de l’Espagnol Antonio Samaranch a représenté un tournant dans l’intégration des femmes aux Jeux olympiques. Mais la raison n’est pas glorieuse non plus puisqu’il souhaitait augmenter le nombre d’épreuves pour ramener plus d’argent au CIO. « Les femmes sont alors autorisées à participer à de nouvelles disciplines. » Le tir sportif, exclusivement masculin avant les Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, s’ouvre aux femmes et la gymnastique rythmique, est exclusivement féminine. Les femmes accèdent également aux institutions. « En 1981, pour la première fois, deux femmes, Pirjo Haggman et Flor Isava-Fonseca, sont élues au Comité International Olympique », plus de 85 ans après sa création.
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