Amputée, Justine Legrand partage une nouvelle vie avec son cheval
Justine Legrand a été amputée du pied gauche en 2021. Elle a décidé de poursuivre « sa vie d’avant » en continuant à pratiquer l’équitation, son sport de prédilection. Elle s’est même fixé de nouveaux objectifs, comme celui de décrocher une sélection pour les Jeux paralympiques. Après avoir longtemps vécu à Orléans, elle a déménagé à Colmar pour s’entraîner avec ses deux chevaux. « Quelque part, cet accident a vraiment changé ma vie, positivement », affirme-t-elle
Les Sportives : L’équitation a toujours fait partie de votre vie ?
Justine Legrand : J’ai commencé à 4 ans et me suis vite sentie bien avec les chevaux. C’est un privilège d’être sur leur dos, tu y apprends à communiquer en silence, par la gestuelle de ton corps, par ton énergie aussi. C’est une vraie osmose avec ces boules d’amour, de tout ce que tu peux retrouver d’hyper chouette et émouvant chez les animaux. Quand tu arrives à avoir un comportement régi par la bienveillance, la confiance et l’écoute, sans oublier l’observation et la connaissance de leurs besoins, c’est extraordinaire.
Une simple blessure, beaucoup de complications
Quel est cet accident qui fait tout basculer ?
C’est un chien d’une quarantaine de kilos qui m’est rentré dans la jambe. Comme je me suis raidie, ma cheville a tourné quand il a tapé. Sur le coup, tu vas à l’hôpital pour une petite entorse avec un claquage du mollet. On te dit que 2 jours après, tu vas commencer les séances de kiné et qu’après 6 semaines d’attelle, ce sera terminé.
J’ai eu l’accident le 26 mai 2018, j’ai été amputée le 14 janvier 2021, après beaucoup de galères et de complications. Au début, j’attendais, en me disant qu’il y avait une solution pour sauver mon pied, mais rien ne marchait. Après de nombreuses déconvenues à Orléans, je suis allée à Paris, à l’institut national de recherche du pied et de la cheville. J’y ai rencontré un médecin hors pair qui s’est donné un an pour sauver mon pied. Il me savait sportive et remuante, nous avons donc fini par convenir que l’amputation était la meilleure solution.
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De nouvelles ambitions avec l’amputation
Quelle a été votre réaction ?
Soulagée ! Il y a eu un an entre la première discussion et l’amputation, donc j’ai eu le temps d’y penser. Etant sportive, j’ai cherché la meilleure façon de me préparer pour que l’opération et la récupération se passent bien. J’ai été suivie par une psychiatre et une coach mentale, j’ai fait de la musculation 3 fois par semaine pour être prête. Mes parents ont juste été extraordinaires, j’habitais chez eux parce ce que j’avais perdu une grosse partie de mon autonomie, ma vie s’était comme arrêtée. C’est plus pour ma famille que ça a été un choc, sauf pour ma mère qui me suivait partout. Je pense qu’elle s’était faite à l’idée, en plus elle a vu ma réaction. J’avais déjà une petite idée des appareillages, des progrès à envisager, je me faisais confiance.
C’est à ce moment que vous pensez aux Jeux paralympiques ?
Oui, j’en ai même parlé au chirurgien. Je voulais continuer l’équitation et accomplir ce rêve commun à beaucoup de sportifs. Donc je me suis renseignée et ai vu qu’il existait deux disciplines paralympiques, l’attelage et le dressage, pour lequel j’ai opté. Après, je me suis dit qu’avec un pied en moins c’était vraiment jouable.
En para dressage, il y a besoin d’une prothèse ?
Moi j’ai choisi d’en porter une, spécialement conçue pour monter à cheval, avec une cheville mobile. Là je viens de me faire faire des bottes aussi. Avant je mettais une chaussette sur la prothèse mais sur le cuir ça n’allait pas, avec les bottes c’est beaucoup plus cool. Je suis allée les chercher en Allemagne, ils sont super forts. Ils m’ont fait une botte à partir de la prothèse, excellement bien travaillée par mon prothésiste. On ne la voit même pas.
Il doit y avoir un temps d’adaptation ?
C’est vrai que quand tu sors du centre de rééducation, les prothèses sont relativement grosses. Au début, j’avais l’impression de monter avec une chaussure de ski. Après c’est du travail de mise en selle et d’équilibre. En parallèle il y a la musculation et les séances de kiné.
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Toujours le même plaisir
Le plaisir est resté intact ?
Totalement ! C’est une belle victoire sur le handicap, en plus j’ai appris beaucoup sur moi. L’amour des chevaux, lui, ne change pas. Quand tu évolues à côté d’eux, ça change ta vie, ta façon de voir les choses. Ils te font évoluer personnellement, avec tout ce que j’ai appris et surmonté, c’est même encore plus chouette.
Si nous en parlions des chevaux ?
J’ai acheté le premier il y a 2 ans aux écuries du Dachsbuhl, à Colmar, où je m’entraîne. Je l’ai essayé trois semaines après ma sortie du centre de rééducation. Je lui dois tout en fait. C’est un cheval noir, extrêmement sensible. Quand je l’ai essayé, j’ai tout de suite su que c’était lui, il s’appelle Vancouver du Hans, il a 10 ans, il est ma raison de me lever le matin.
J’en ai acheté un autre début février au même endroit. Vancouver du Hans était blessé, je ne voulais pas le solliciter au mépris de son bien-être. Je lui ai trouvé un comparse, Champ In Raid, il a 13 ans.
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Continuer à avancer et partager son expérience
Objectif Paris 2024 ?
Je travaille beaucoup avec mon entraîneur, Damien Dumoulin, pour tenter de décrocher ma sélection. J’ai bouclé ma rééducation assez vite, donc j’avance, sans me poser de question. J’essaie de retrouver ma vie d’avant tout en m’adaptant aux réactions du corps après l’amputation. La transpiration dans le manchon peut déclencher des allergies, les ampoules cicatrisent moins bien du fait d’une jambe mal irriguée….
Bref, j’apprends et je n’abandonne pas, je suis passionnée par ce que je fais au quotidien. Ce projet me fait avancer, mon objectif premier est de faire couple avec mes chevaux, de travailler et de progresser.
Il y a cette notion de partage d’expérience ?
Dans le cadre de la Semaine Paralympique et olympique je suis allée dans une école d’Orléans Saint-Marceau et j’ai adoré. J’ai aussi fait le trajet de Colmar à Orléans pour intervenir à Saint-Charles, c‘était génial. J’ai passé un moment hyper canon avec les enfants, c’était vraiment chouette, leurs questions étaient très pertinentes.
Quand tu es en situation de handicap, je pense que le sport est un bon moyen d’en savoir plus sur toi-même, de réaliser que tu peux faire des choses et les partager. Être en compétition ou faire des entraînements t’offrent le plaisir de retrouver ta vie d’avant et rend l’acceptation plus « facile ». Pour moi, pratiquer l’équitation c’est déjà une victoire. Il y a aussi un facteur d’amélioration sociale et de partage qui est assez fou. J’ai la chance d’être bien soutenue et entourée, c’est très important.
en partenariat avec la Région Centre-Val de Loire
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