Annie Fortems, une pionnière engagée témoin de l’évolution du football
Née dans une famille engagée socialement et passionnée de football, Annie Fortems est reconnue aujourd’hui encore comme l’une des pionnières de cette discipline. Au sein du club de l’Étoile Sportive du Juvisy, elle a connu les prémices de la féminisation du football, en parallèle d’une vie professionnelle active et tournée vers le social. Rencontre avec une témoin de l’évolution de football depuis plus de 50 ans.
15 ans. C’est l’âge d’Annie Fortems lorsqu’elle participe à la création de l’équipe féminine de l’E.S Juvisy en 1971, devenue en 2017 le Paris Football Club. Un club pionnier du football féminin dans l’hexagone. En effet, moins d’un an plus tôt, le 29 mars 1970, la Fédération française de football autorise enfin la pratique féminine du football sur le territoire national. À la suite de cette décision, deux femmes de Juvisy-sur-Orge, Florence Marechal et Martine Micalaudis, vont échanger avec le président du club de l’Essonne pour la création d’une section féminine. Peu motivé par l’idée, il promet cependant d’ouvrir une section si ces initiatrices trouvent 11 joueuses. Quelques semaines plus tard, c’est chose faite et il tient parole. Annie Fortems sera même la capitaine de cette équipe, au poste de libero.
Ce groupe commencera à jouer dans une indifférence générale et sous les remarques railleuses de certaines personnes pour qui le football doit rester un bastion masculin. « Le terrain principal sera dans un premier temps réservé à l’équipe masculine évoluant en CFA1équivalent de la Nationale 2 aujourd’hui. », confie Annie Fortems. Les féminines s’entraînent et jouent sur un terrain annexe, devant un public principalement composé des parents et de la famille des joueuses. C’est dans cet état d’esprit que les Juvisiennes réussissent à accéder à la première division en 1976, dans un championnat mis en place deux années auparavant.
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Un goût amer avec l’équipe de France
À cette époque, le championnat de France est régionalisé pour ne pas envoyer des clubs sans moyens financiers à travers la France. Une phase finale avait lieu ensuite, entre les meilleures équipes. Annie Fortems et Juvisy affrontaient donc régulièrement les mêmes clubs comme Hénin-Beaumont où les multiples championnes de France de l’époque, Reims et Étrœungt. Une chose est sûre, l’entraineur de la joueuse remarque qu’elle est une des meilleures à son poste. Il ne sera pas le seul à partager cet avis. « En 1977, je reçois un courrier inhabituel dans ma boite aux lettres, m’indiquant ma présélection en équipe de France », raconte Annie Fortems. Une « véritable fierté » pour elle et pour sa famille bien ancrée dans le monde du football. Ses frères jouent à bon niveau et sa sœur Pascale est également libero et capitaine avec l’équipe B de l’E.S Juvisy.
La libero se rend à l’INSEP de Vincennes, un des lieux où les rassemblements de l’équipe de France féminine se déroulaient. Arrivée avec une grande motivation, elle va rapidement déchanter. « J’ai découvert le manque de sérieux et de rigueur, à l’opposé de ce que je vivais à Juvisy. » Entre « copinage et amateurisme », elle ne peut continuer avec le coach Francis-Pierre Coché, « incompétent » et de surcroit, « au comportement douteux ».
La nouvelle présélectionnée, à qui le sélectionneur avait annoncé qu’il la retenait pour jouer le match suivant contre la Suisse, simule une blessure aux adducteurs, pour ne pas rester et ne plus jamais revenir. Elle se consacrera à l’ascension et au développement de son club qui deviendra l’un des meilleurs clubs de l’hexagone. Longtemps, elle regrettera la radicalité de cette décision, avant que les langues ne se délient et que son point de vue ne soit partagé par d’autres témoins de cette époque. Quelques années plus tard, à la fin de la saison 1983/84, Annie Fortems quittera le football de haut niveau. Elle sera restée fidèle à son club de cœur et y fera son jubilé d’adieu en 1990, après une carrière de près de 20 ans.
« Il reste encore beaucoup à faire notamment la professionnalisation des joueuses »
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Une femme engagée aussi bien dans le football…
Issue d’une famille militante, l’Essonnienne prend part à des actions qu’elle considère justes. Cet idéal de justice la guidera, quand en 1982, elle soutiendra dans une lettre signée par quatre autres coéquipières, la capitaine de l’AS Étrœungt (Nord), triple championne de France, qui avait critiqué publiquement le manque de considération et d’investissements des instances françaises vis-à-vis du football féminin. Tandis que la principale récalcitrante sera suspendue six mois et mettra un terme à sa carrière, Annie Fortems et ses coéquipières ne seront pas inquiétées.
En 2014, la revue politique et culturelle Mouvements délègue cinq pages à la footballeuse qui choisit de traiter du « football féminin face aux institutions : maltraitance et conquêtes sociales ». Un combat pour l’égalité qu’elle prolonge en luttant pour la médiatisation du sport féminin. Ce qu’elle souhaite, c’est « l’égalité des droits », pensant même qu’il faudrait des mesures politiques fortes et disruptives en matière de médiatisation et d’investissement, « tant l’évolution du sport féminin est lente ». À l’instar de la prochaine Coupe du monde, « jamais encore je n’avais entendu que les horaires de diffusion étaient un véritable problème dans le passé pour les compétions internationales », ni pour la coupe du monde du rugby 2011 en Nouvelle-Zélande, ni pour les JO de Pékin en 2008.
Du début à la fin de son parcours à l’E.S Juvisy, de 1971 à 1984, elle retiendra tout de même une belle évolution du football au féminin. Les clubs réticents aux équipes féminines et les pressions familiales se sont affaiblis. Les structures d’accueil se sont également développées. Les joueuses actuelles « ne connaitront probablement plus les seaux d’eau chaude dans les box faisant office de douche », comme Annie Fortems l’a vécu. Pourtant, aujourd’hui, il « reste encore beaucoup à faire, notamment la professionnalisation des joueuses ». Reconnue aujourd’hui comme une pionnière du football au féminin, l’ancienne Juvisienne indique que la création de l’E.S. Juvisy était dénuée de toute « conscience politique », en raison de son jeune âge mais de la simple envie de prendre part à une activité dont elles s’estimaient « injustement exclues ». La conscience politique de son rôle de pionnière viendra quelques années après.
…que dans la vie professionnelle
L’engagement de la libero n‘a pas été que footballistique. Comme toute joueuse de cette génération, le statut professionnel n’existant pas, on peut difficilement parler de reconversion et de post-carrière. Dans le cas d’Annie Fortems, il s’agit plus de l’arrêt d’un sport amateur. Depuis ses 20 ans, elle gérait en parallèle du football « une entreprise productrice et grossiste en fleurs », qu’elle a fondé avec trois de ses frères et sœurs.
En 1988, sur la fin de sa carrière footballistique, elle entreprend une formation de psychanalyse existentielle, son rêve d’enfant. Au début des années 90, elle passera de l’entrepreneuriat à l’insertion professionnelle, notamment auprès de chômeurs et de SDF avec diverses associations et institutions. Elle sera parallèlement praticienne et formatrice en psychanalyse existentielle et diplômée en tant que conseillère en prévention des risques psychosociaux. Ses 40 ans d’engagement dans le champ social et pour le droit des femmes dans le sport et l’entreprise seront récompensées par une légion d’honneur des mains de Myriam El Khomri, alors Ministre du Travail, en 2016. Pour ce qu’elle a apporté au football féminin et aux droits des femmes, Annie Fortems recevra également la médaille Vermeil de la Marie de Paris en 2019. Militante, elle l’est également contre les déserts médicaux. Elle est référente à Paris de l’ACCDN (Association de citoyens contre les déserts médicaux) dont l’objectif est la lutte pour l’égalité d’accès aux soins et la répartition équitable de la présence de médecins sur le territoire français. Bien qu’elle ait vécu toute sa vie en région parisienne, l’ancienne Juvisienne est sensible à ce sujet, auquel sa famille ardennaise a été confrontée.
Si la retraite professionnelle approche pour Annie Fortems, une chose est certaine, elle restera impliquée dans la société comme elle l’est depuis tant d’années. Militante politique pendant près de quinze ans dans les années 2000/2010 à Paris dans le 18ème, elle fut grandement engagée pour l’égalité des droits, notamment pour les femmes et les personnes LGBT.
En 2013, en plein débat sur le mariage pour tous, elle publia un article remarqué en réaction aux propos outranciers tenus par certains psychanalystes. Dès la promulgation de la loi sur le mariage pour tous, elle s’est d’ailleurs mariée avec sa compagne après 25 ans de vie commune, elle-même psychanalyste et pionnière en prévention des risques psychosociaux.
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Cet article fait partie de la série lancée par LES SPORTIVES et Les Expertes pour donner de la visibilité aux sportives . Anciennes sportives de haut-niveau, expertes de leurs disciplines sportives, mais aussi femmes de médias, elles sont devenues des interlocutrices et expertes de choix sur des sujets variés : olympisme, sport, compétition, politique sportive, sexisme, maternité, discriminations, gestion mentale, etc.
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