Astrid Guyart, le couteau suisse à l’emploi du temps très cadré
Peu de points communs regroupent l’escrime, l’espace et la bande-dessinée. Trois domaines dans lesquels Astrid Guyart, vice-championne olympique 2021 de fleuret, s’est investie. Au milieu d’un emploi du temps parfaitement organisé, l’actuelle secrétaire générale du CNOSF affiche un parcours garni de multiples expériences. Rencontre avec une fine lame du sport français.
L’escrime. Un sport dans lequel la famille Guyart n’a pas d’antécédent, jusqu’à Brice, de deux ans frère ainé d’Astrid, qui se lance le premier. « Je fais mes premiers pas en allant chercher mon frère à la salle d’arme avec ma mère, j’y trainais un peu mes guêtres », lance Astrid Guyart. À 5 ans, l’âge minimum requis pour pratiquer, le maître d’arme lui met un fleuret dans les mains. Historiquement, cette arme plus légère et plus technique servait à s’entrainer. C’est également avec elle que de nombreux escrimeurs commencent la discipline, avant parfois de bifurquer vers le sabre ou l’épée. De son côté la Tricolore gardera cette arme, notamment car son club de l’US Vesinet ne propose pas encore les deux autres options. Qu’importe, ce sport lui plait, lui qui « allie très bien le corps et l’esprit », la stratégie au côté « très cardio et explosif ».
Le sport n’est pourtant qu’un loisir pour la native de Suresnes. Il faut attendre la fête des jeunes de la halle Carpentier, sorte de championnats de France minimes, pour imaginer des horizons plus lointains. « J’ai eu la chance de gagner cette compétition. Si au départ on fait de l’escrime pour le plaisir, pour le lien social, à partir de là, ça a basculé », avoue l’escrimeuse. Entre l’ambiance du public et ses résultats, elle comprend qu’elle peut « vivre de belles émotions avec des objectifs plus élevés ». Encore junior, elle intègre le pôle France sénior à Châtenay-Malabry dans les Hauts-de-Seine où elle continue de progresser fleuret en main, face à des athlètes parfois âgées de 10 ans de plus qu’elle.
De là, Astrid Guyart enchainera les médailles. La première en 2005, avec le bronze par équipe aux championnats du Monde de Leipzig en Allemagne, puis deux titres de championnes de France en 2009 et 2010, ou encore deux médailles d’or en Coupe du monde. Parmi sa trentaine de breloques internationales, sa plus belle médaille obtenue sera la dernière : l’argent en équipe aux JO de Tokyo, avec Anita Blaze, Ysaora Thibus et Pauline Ranvier, qu’elles « ont été chercher », et qui lui a permis d’évacuer la frustration de sa 4eme place individuelle de Londres, neuf ans plus tôt.
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L’espace, depuis toujours
Cette belle carrière sportive n’est pourtant qu’une facette du parcours d’Astrid Guyart. « Il y a vingt ans, on était des amateurs, très peu d’athlètes avait des contrats, les professionnels se comptaient sur les doigts d’une main. » Consciente des limites et de la précarité de son sport, elle suit des études poussées. Son domaine de prédilection, c’est l’espace. Depuis petite, elle aime la cosmologie, « la création de l’univers, le comment, le pourquoi ». L’aspect philosophique l’intéresse presque plus que le technologique, il « pousse l’humain à une certaine humilité », notamment dans notre quête de réponses. « On explore un champ des possibles infini. » L’escrimeuse est habitée par le sentiment de vouloir contribuer à cette exploration spatiale. Après le lycée, elle intègre une prépa en parallèle du pôle France, puis suit un cycle d’ingénieur de quatre ans chez l’EPF Ingenering School, avec comme spécialité « l’aéronautique et l’aérospatial ». Les nuits sont courtes, l’organisation de son emploi du temps « au couteau ». Pour réussir son parcours, chaque minute est comptée.
Sortie ingénieure de cette formation, la fleurettiste débute chez EADS, devenu Airbus Defence and Space, en tant qu’architecte de véhicules spatiaux. Un secteur qui conçoit et dimensionne les futurs véhicules comme des chasseurs de débris spatiaux, des modules de service (notamment celui de la capsule Orion) et bien évidemment les lanceurs (comme Ariane 6). Aujourd’hui, elle manage les consultants internes d’Arianegroup. Un emploi transverse dont l’objectif consiste à booster les performances de l’entreprise et à améliorer ses processus d’ingénierie ou de production, à l’image du lanceur Ariane 6 sur lequel ses équipes travaillent à réduire les cycles ou les coûts de production. « C’est un métier très riche, qui me ressemble, très multidisciplinaire et au contact du terrain. » Régulièrement engagée en mi-temps ou détachée lors de sa carrière sportive, Astrid exerce maintenant cet emploi en temps partiel, en 4/5ème, puisqu’un autre aspect de sa vie lui tient à cœur : l’investissement au sein de plusieurs institutions sportives.
So proud of our new french astronaut 🇫🇷🧑🚀 @ESA_fr ! We need inspiring women for our childrens and you are one of them @Soph_astro 💫 Please make true the dream I had when I was kid, on my side I’ll continue to build the rocket you may need for the #Moon @ArianeGroup 🚀 #SUSIE https://t.co/FATZ6cGCru
— Astrid Guyart (@AGuyart) November 26, 2022
Un engagement institutionnel inné
Pour s’engager dans les instances sportives, l’escrimeuse n’a pas attendu la fin de sa carrière. Dès 2017, elle est élue à la commission des athlètes de haut niveau (CAHN) dont le but est de représenter les athlètes et de faire entendre leur voix au sein du Comité national olympique sportif français. « Aimer le sport, c’est aussi voir ses imperfections et voies de progression » et « plutôt que de râler de l’extérieur, autant y contribuer de l’intérieur ».
Une année plus tard, elle est contactée par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui cherche une personne « de confiance » pour intégrer ses rangs et le rôle de co-président. Elle, qui n’a jamais été mis en doute sur ses test anti-dopage ou son passeport biologique, prend son premier rôle de co-présidente. En 2022, elle entrera même l’échelon supérieur, à l’agence mondiale antidopage.
En 2021, elle est élue co-présidente de la CAHN et décide d’arrêter son rôle auprès de l’AFLD afin de prioriser ses engagements et son emploi du temps très chargé. Dans la foulée, une nouvelle opportunité se propose à l’ancienne internationale. Astrid Guyart intègre le CNOSF avec un rôle de secrétaire générale adjointe puis de secrétaire générale, lui permettant de siéger au comité exécutif. Un rôle de « garant du bon fonctionnement de l’institution et de relais avec les élus » au cœur des décisions. Longtemps dans la lumière pour ses exploits sportifs, le rôle d’Astrid Guyart se trouve majoritairement dans l’ombre, et surtout, au cœur des décisions du système sportif français.
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Des histoires à raconter
Alors qu’elle perdait le fil du sport de haut niveau, avec « une concurrence purement individuelle et une ambiance plutôt mauvaise en l’absence d’épreuve par équipes aux Jeux de Rio », Astrid Guyart avait besoin de se reconnecter aux raisons de son investissement dans l’escrime depuis ses 5 ans. Au même moment, elle apprend une heureuse nouvelle et devient tata. Hélas, elle ne trouve pas en librairie d’histoires de sports à raconter à sa jeune nièce. En dépit de ce constat, elle se lance en écrivant elle-même une histoire. Soutenue pour les remarques positives de son entourage dans cette initiative, l’escrimeuse voit germer une nouvelle idée, celle de développer des histoires de sport pour la jeunesse au travers de l’angle du développement personnel.
Avec Olivier Loyen, son cousin éloigné et illustrateur, elle lance Les Incroyables Rencontres de Jo. Loin du sport performance, il s’agit d’aventures dans lesquels le héros découvre un sport et ses valeurs. Plus remarquable encore, chacun des cinq tomes est accompagné d’un sportif français de la discipline, comme Nathalie Péchalat pour le patinage où le duo Thierry Omeyer-Daniel Narcisse pour le handball. Un projet qui s’est fait naturellement, comme « une opportunité de vie », sans que cela soit un objectif prémédité pour Astrid Guyart. Peut-être une motivation venue de sa grand-mère institutrice, qui lui a donné le goût de l’écriture et du bon mot. « Cette expérience m’a fait beaucoup de bien, et encore plus de voir les livres dans les mains des jeunes lecteurs », se réjouit l’autrice.
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Le défi de la maternité
À propos de l’enfance, en fin de carrière, l’escrimeuse s’est retrouvée face à un « choix cornélien » à l’approche des JO de Tokyo 2021, entre projet olympique et maternité. Pour ne pas renoncer à l’une de ces options difficilement conciliables, elle décide de faire congeler ses ovocytes. Une solution pour de nombreuses athlètes de haut-niveau, encore peu sensibilisée à ce sujet, qui est pourtant une véritable opportunité pour les femmes d’être « maitre de leur planning familial et de leur corps ».
Aujourd’hui, la jeune maman, toujours licenciée au cercle d’escrime de Melun, a rangé ses fleurets et son matériel au placard. Elle ne souhaite pas de se sentir « mauvaise dans un sport où j’étais championne ». La frustration serait trop grande de ne pas retrouver le niveau de pratique qu’elle a connu. Ses envies se tournent donc vers d’autres sports, la découverte de nouvelles disciplines comme le surf ou le tennis. Si le temps de l’escrime est derrière elle, celui de son investissement dans le sport français est loin d’être terminé.
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Cet article fait partie de la série lancée par LES SPORTIVES et Les Expertes pour donner de la visibilité aux sportives . Anciennes sportives de haut-niveau, expertes de leurs disciplines sportives, mais aussi femmes de médias, elles sont devenues des interlocutrices et expertes de choix sur des sujets variés : olympisme, sport, compétition, politique sportive, sexisme, maternité, discriminations, gestion mentale, etc.
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