Ayodele Ikuesan : « Une athlète qui fait les jeux olympiques doit forcément connaître Alice Milliat »
Les annonces récentes d’une œuvre d’art à la Maison du Sport français et l’appellation de l’Arena 2 « Alice Milliat » ont résonné comme un grand coup de tonnerre dans la cour des barons du sport. Un pas de géant dans la reconnaissance d’une partie de l’histoire du sport, celle du sport féminin, fruit du travail de la Fondation Alice Milliat et de ses partisans, dont l’athlète Ayodele Ikuesan.
Engagée depuis quatre années dans un groupe de travail du CNOSF et la Fondation Alice Milliat , Ayodele Ikuesan fait partie des rares athlètes particulièrement impliqués pour la reconnaissance d’Alice Milliat, pionnière du sport féminin. Et pourtant au départ, le nom d’Alice Milliat, elle ne le connaissait pas : « très sincèrement je ne connaissais pas du tout Alice Milliat avant de m’engager pour la Fondation. J’ai été contactéepar Emmanuelle Bonnet Oulaldj (ndlr. coprésidente de la FSGT et membre de la Fondation) et la Fondation, qui existe depuis 4 ans d’ailleurs, car je fais partie de la commission des athlètes en athlétisme. »
Une prise de conscience du poids de l’histoire
Lors de la sollicitation, Ayodele prend conscience du manque de connaissances même du corps sportif lui-même. « Ca m’a vraiment interpellé quand j’ai pris conscience que c’est grâce à Alice Milliat que je peux participer aux Jeux olympiques. Je suis une athlète, j’ai participé aux jeux olympiques et je ne connaissais même pas le nom d’Alice Milliat ! En tant que femme athlète, j’ai trouvé cela grave. Une athlète qui fait les jeux olympiques doit forcément connaître Alice Milliat.»
Le 26 juin 2020, dans les colonnes du journal Le Monde, la nouvelle retentie : le Comité national olympique prévoit d’ériger, en 2021, dans son siège parisien, un monument pour honorer la mémoire de celle qui fut, entre autres, cofondatrice de la Fédération des sociétés féminines sportives de France. « Une sculpture en hommage à Alice Milliat, verra le jour courant du premier semestre 2021, précise Ayodele. Cette oeuvre d’art permettra d’interpeller et d’informer tous les acteurs et actrices du sport qui viendront au CNOSF. »
Dressée au centre de l’entrée de la Maison du Sport français, la statue en bronze de Pierre de Coubertin, père des Jeux olympiques (JO) modernes, impose par sa seule grandeur. « L’œuvre d’art d’Alice Milliat sera également dans le hall d’entrée, poursuit Ayodele Ikuesan. Elle a sa place, c’est important de lui donner. »
« Parfois on nous voit comme une menace comme si on voulait remplacer les valeurs olympiques, alors que notre démarche c’est justement pour compléter l’histoire. Ce n’est pas une guerre. On ne veut pas réécrire l’histoire »
Il aura fallu attendre 63 ans après la mort d’Alice Milliat pour qu’elle ait son œuvre d’art commémorative. Ayodele, non moins surprise, estime que le poids de la compétition et de l’image de Coubertin ont fait barrière dans l’avancée des projets en faveur de la reconnaissance d’Alice Milliat. « Parfois on nous voit comme une menace comme si on voulait remplacer les valeurs olympiques, alors que notre démarche c’est justement pour compléter l’histoire. Ce n’est pas une guerre. On ne veut pas réécrire l’histoire. »
Un mois après, le 24 juillet 2020, une nouvelle annonce tombe : le conseil de Paris vote l’unanimité que la future Arena 2, enceinte olympique située dans le nord de Paris, portera le nom d’Alice Milliat. Le groupe communiste, représenté par Nicolas Bonnet-Oulaldj, est à l’initiative de ce vœu. Ayodelé en témoigne : « j’ai forcément soutenue très fortement cette initiative. C’est vrai qu’aujourd’hui quand on regarde les enceintes des jeux olympiques désignées pour les JO 2024, aucun, à ma connaissance, n’a le nom d’une femme. C’est un vrai symbole. En plus je pense que de très nombreux athlètes ne connaissent pas Alice Milliat. »
« Ca ne nous ferait pas de mal que davantage d’athlètes masculins parlent aussi d’Alice Milliat. »
Une génération d’athlètes plus engagés
Ayodele aimerait que plus d’athlètes prennent la parole sur ces sujets:« Je pense que d’autres sportives devraient s’emparer du sujet. Comme je suis dans le groupe de travail je prends la parole plus souvent sur ce sujet. Bien sûr il y a des athlètes féminines engagées comme Laurence Fischer, Astrid Guyart, Marie Martinod, Gevrise Emane et Sarah Ourahmoune. Mais ce sont souvent les mêmes sportives qui sont engagées. Ca ne nous ferait pas de mal que davantage d’athlètes masculins parlent aussi d’Alice Milliat. Pourquoi il n’y aurait que les femmes qui en parleraient ? C’est normal qu’il y ait des hommes dans la barque et heureusement il y en a quelques-uns comme Benjamin Lang notamment. »
La nouvelle Alice Milliat du XXIe siècle ? Ayodele répond en riant : « Peut-être que j’ai une énergie supplémentaire pour être sur les mêmes engagements qu’Alice Milliat. C’est bien sur une femme inspirante. J’essaye de faire ce que je peux à mon niveau pour faire avancer les choses.
2021 sera l’année anniversaire d’Alice Milliat puisque c’est en 1921 qu’elle lance le premier meeting féminin international à Monte-Carlo, qui s’accompagne de la création d’une Fédération sportive féminine internationale.« L’inauguration de cette œuvre d’art sera un début. Ca permet d’ouvrir les perspectives sur la place des femmes dans le sport. Toutes ces années d’investissement de Béatrice Barbusse (ndlr. Sociologue) ou Emmanuelle Bonnet-Ouladj, en faveur de l’œuvre d’art, ont payé. Cela me donne encore plus envie de m’investir, c’est encourageant. Je suis plutôt optimiste, mais je reste prudente. Il faut continuer de s’investir. Même si on est une génération de sportives et de sportifs qui s’engagent de plus en plus, on n’est pas à l’abri d’un retour en arrière. Ce qui va changer, c’est qu’on sera toujours là pour veiller à garder ce que l’on a gagné.»
Propos recueillis par Aurélie Bresson
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