Justine Braisaz-Bouchet, biathlon, Les Sportives
À la rencontre des sportives

Biathlon – Justine Braisaz-Bouchet : « La mass-start, ce n’était pas un coup de chance »

Constance Vignaud
14.03.2022

Le 18 février 2022, Justine Braisaz-Bouchet est entrée dans l’histoire du biathlon français. Première tricolore à monter sur le podium de la mass-start, elle n’est que la deuxième à devenir championne olympique. La dernière en date, Florence Baverel, c’était en 2006 : une éternité. Un mois après son sacre, elle est déjà tournée vers l’avenir, tout en continuant de savourer son titre. Rencontre.

Pour celles et ceux qui ne regardent le biathlon que lors des grands événements, la victoire de Justine Braisaz-Bouchet à Pékin a pu surprendre. Seulement 40e de l’individuel et 48e du sprint, elle n’avait pas pris part à la poursuite. Depuis son arrivée en équipe de France A, en décembre 2014, à seulement 18 ans, la biathlète des Saisies (Savoie) était annoncée comme la meilleure de sa génération. Sa vitesse à ski lui a permis, deux saisons plus tard, d’intégrer le top 10 de la coupe du monde. Mais sa détresse sur le pas de tir l’a empêchée de viser plus haut. Lorsque les étoiles sont alignées et que les balles blanchissent les cibles sans trop attendre, Justine Braisaz-Bouchet est imbattable. À Zhangjiakou, elle a trouvé la solution et nous a tou·te·s laissé·e·s bouche-bée. Incapables de mesurer ce que cette championne venait de réaliser. La biathlète au grand cœur ne compte pas s’arrêter là.

« Ce lâcher-prise qui est si difficile à aller chercher, tellement plus facile à dire qu’à faire. »

Les Sportives : La mass-start de Pékin est une des courses les plus abouties de votre carrière. Qu’est-ce qui vous fait monter sur le podium ce jour-là ?

Justine Braisaz-Bouchet : Je pense que j’ai simplement réussi à être moi-même sur cette course et à faire parler des qualités qui, dans des conditions difficiles, ont fait la différence avec les 29 autres participantes. J’étais très calme et j’ai pris beaucoup de plaisir à courir. En coupe du monde, sur de nombreuses courses où j’avais de l’ambition, de l’énergie pour aller chercher des résultats, ça n’a pas toujours fonctionné. Alors que ce jour-là c’était plus le sentiment de plaisir qui a dominé cette course. Et vraiment ce lâcher-prise qui est si difficile à aller chercher, tellement plus facile à dire qu’à faire.

⏩ À lire aussi : Biathlon – IBU Cup : Lou Jeanmonnot remporte le globe du général

Justine Braisaz-Bouchet, biathlon, Les Sportives

Tiril Eckhoff, Justine Braisaz-Bouchet et Marte Olsbu Røiseland

Ce jour-là, votre tir a été l’un des plus rapides de votre carrière. Que s’est-il passé ?

Absolument pas. Ce tir est dans les temps que je fais habituellement sur n’importe quelle coupe du monde. Je pense surtout que ce jour-là ce sont les concurrentes qui ont été plus lentes, dû parfois au vent, aux rafales. Donc forcément quand on est dans une rafale, on s’adapte et on patiente, parce que c’est difficile d’aller mettre la balle dans le visuel. Je pense qu’il y a eu ça, des faits de course, mais qui ont tourné complètement en ma faveur. J’ai pu gagner du temps là où les filles en ont beaucoup perdu. Ça fait partie intégrante de la course et des conditions du jour, c’était totalement tirable.

 Je crois que j’étais en mesure de sortir un tir totalement à l’instinct et décomplexé par rapport au vent qu’il y avait, alors que celles qui étaient sur le pas de tir en même temps que moi ont été plus en difficulté. C’est difficile d’expliquer ce qui s’est passé pour les autres. J’ai eu ma chance, mon opportunité. J’ai posé mon cerveau, j’ai stoppé mes pensées et mes réflexions, j’étais dans l’action.

À l’arrivée, vous sembliez ne pas vraiment avoir conscience de ce que vous veniez de réaliser. Quand avez-vous vraiment pris conscience que vous étiez championne olympique ?

[Rires] Ça a pris du temps ! En fait, sur le coup j’étais juste émerveillée et soulagée. Je ne réalisais absolument pas. Encore aujourd’hui quand je revis ces moment-là, quand j’y repense, j’ai un énorme sourire en me disant : « C’est quand même incroyable ! » J’ai rêvé plein de fois de décrocher un titre aux Jeux olympiques, je l’ai surtout imaginé cette saison parce que c’était mon objectif principal. Et même en imaginant ça dans ma tête, j’avais les larmes aux yeux. J’imaginais de l’euphorie, des émotions tellement fortes que quand c’est arrivé, j’étais plus soulagée. Je crois que beaucoup de choses se sont passées à l’intérieur car je ne suis pas quelqu’un d’extraverti à outrance, au contraire. Je pense simplement l’avoir vécu comme une enfant qui est émerveillée et très calme.

À une époque où la santé mentale des athlètes est de plus en plus évoquée, la préparation mentale a-t-elle été un atout clé ?

Je suis totalement débutante et novice dans la préparation mentale. Je n’ai pas de remède miracle. Je ne suis pas une très bonne élève dans ce domaine-là. Par contre je pense que c’est bien qu’aujourd’hui on prenne conscience de la santé mentale des athlètes, qu’elle soit mise sur le devant de la scène. Les qualités physiques, c’est une certitude, c’est une info. Il faut un moteur dans notre corps. Par contre, je pense qu’un·e athlète qui se connaît vraiment bien, qui a un entourage qui l’écoute et la valorise, qui valorise ses traits de caractères et son bien-être, je pense que ce sont des choses primordiales.

⏩ À lire aussi : Marie Martinod, de la médaille olympique au commentaire sportif

Que représente ce titre pour vous ? Est-ce l’aboutissement de quelque chose ? Le début d’un nouveau chapitre ?

Je le vois plus comme le début d’un nouveau chapitre. Je me suis sentie soulagée, en me disant : « Ok, c’est fait. » Mais l’objectif principal qui m’a toujours fait rêver dans ma carrière, c’est le général de la coupe du monde. Cela voudrait dire qu’il y a de la régularité, cela montre absolument toute la valeur sportive de l’athlète et je trouve que c’est très fort de le remporter.

« Pour moi, c’est le meilleur biathlète du monde qui gagne le général alors que ce n’est pas forcément le meilleur biathlète qui gagne une course olympique. »

J’ai énormément d’ambitions par rapport à ma carrière. Aujourd’hui, j’ai conscience que cette course sur la mass-start ce n’était pas un coup de chance. Loin de là. J’ai mis en place tout ce que je savais faire, avec les qualités avec lesquelles j’ai débuté et avec celles que j’ai travaillées et améliorées. Je me rends compte qu’il y avait des faits de course et des conditions difficiles, mais j’ai saisi les opportunités sur la deuxième partie de course. J’ai gardé la tête froide en étant en tête avant le dernier tir. C’est quelque chose de marquant pour moi, c’est des situations que j’ai déjà vécues mais là la façon dont ça s’est passé, c’était assez choquant mais dans le bon sens. Parce que habituellement, je manque de confiance sur le pas de tir.

« J’ai toujours la volonté de trop bien faire, et je suis tellement déçue par l’irrégularité que j’ai produite sur le biathlon depuis plusieurs saisons. »

J’espère valoir beaucoup mieux que ça, je rêve de beaucoup mieux. Et je sens que ce titre, c’est quand même quelque chose de grand. Et même si je rêvais de Jeux olympiques, ce qui m’a toujours animé dans ce sport c’est de montrer le meilleur de ce que je peux faire. Quelle que soit la course, j’ai envie de jouer devant. Oui, c’est clair que ce titre marquera ma carrière. Il y a eu des moments de travail, de doute. L’engagement personnel et familial dans ce projet était très très fort. C’est un aboutissement et un soulagement. 

Justine Braisaz-Bouchet, biathlon, Les Sportives

Justine Braisaz-Bouchet

Pensez-vous pouvoir jouer le général dès la saison prochaine ?

Honnêtement, je vais tout faire pour, travailler sur cette régularité. J’ai balayé beaucoup de secteurs techniques et stratégiques. J’essaye d’apprendre à me connaître et j’apprends un peu plus après chaque course, chaque saison. Mettre le doigt sur mes besoins, ce sera la première priorité, le premier vrai objectif pour atteindre ces ambitions-là. Ce serait vraiment mon rêve de carrière en tant que biathlète.

⏩ À lire aussi : Tess Ledeux, l’argent du big air lui va si bien

Après votre titre, c’est toute une fin de saison à assurer. Le week-end dernier, en Finlande, les résultats n’ont peut-être pas été à la hauteur de vos espérances pour confirmer la médaille olympique, notamment avec la disqualification en relais. Comment fait-on pour se remobiliser après de telles émotions ?

Mon objectif c’est d’être performante sur toutes les courses et j’étais très motivée après les Jeux. Chaque bon résultat me remotive pour la suite, je ne me lave pas les mains du reste. Cette médaille d’or, elle m’a motivée. On reprenait par le relais à Kontiolahti (Finlande) et on était en tête du classement. Je le répète depuis bien avant les Jeux, c’est un objectif qui me tenait vraiment à cœur.

« Il y a eu un fait de course, j’ai fait une boulette que j’assume mais qui a coûté très cher. C’est fait. Et je pense que c’est une erreur de rester là-dessus. »

J’y pense mais je n’ai pas envie de traîner ça, je veux en tirer des leçons. J’ai aussi beaucoup appris de la poursuite. J’ai mis beaucoup d’énergie sur le pas de tir et ça n’a pas payé, c’était des tirs catastrophiques. C’est énormément frustrant pour une athlète. Mes résultats du week-end dernier, ce n’est pas du tout ce que j’ambitionnais. Mais je reste totalement mobilisée pour être prête à faire les courses, à aller chercher ce que je veux. Surtout en termes de manière sur le pas de tir. 

Propos recueillis par Constance Vignaud

Crédits photos : CNOSF/KMPS

⏩ À lire aussi : Léna Brocard, l’envie et la motivation, même sans combiné nordique aux Jeux olympiques

Constance Vignaud
14.03.2022

Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ?
Proposez une correction à notre rédaction.