Ancienne championne d’Europe de BMX, Karine Chambonneau n’a pas délaissé le vélo après sa retraite sportive. Depuis 2016, c’est sur son modèle favori qu’elle escalade les cols les plus durs d’Europe. Un défi pour elle mais aussi pour mettre en avant sa discipline et le sport féminin. Rencontre.
Pour nos lectrices et lecteurs, pouvez-vous retracer le fil de votre carrière ?
J’ai commencé le BMX dans un petit club de l’Allier à la fin des années 1980, quand j’avais 8-9 ans. Les résultats sont venus assez rapidement avec des titres en junior. J’ai intégré l’équipe de France pendant sept ans, puis il y a eu ce titre de championne d’Europe en 2001, deux fois vice-championne du monde… J’ai fait deux saisons en professionnelle aux États-Unis. Je fais partie de la première génération française de pilotes de BMX pros, même si tout est relatif dans ce terme, surtout pour les féminines. Mon parcours était dédié à ce sport, jusqu’à la fin de ma carrière pour des pépins physiques au plus mauvais moment, lors des qualifications pour les premiers Jeux olympiques du BMX à Pékin.
Comment avez-vous digéré cette fin de carrière ?
C’était frustrant d’avoir accompagné l’évolution de ma discipline jusque-là, d’être aussi proche du but, d’avoir participé à tester du matériel et des exercices… et de ne pas y aller. Chaque olympiade c’est un peu compliqué, ça reste une pilule difficile à avaler. J’ai gardé un pied dans le vélo en tant qu’entraîneuse, j’ai passé mes examens d’éducatrice. Et puis en 2016, Jean-Jérôme Sol, qui est devenu mon compagnon par la suite, m’a lancé le défi de monter le Ventoux, lui-même étant vauclusien. Ça m’a permis de revenir à un état motivationnel qu’on a sur les compétitions.
Vous avez donc escaladé le Mont Ventoux… en BMX ?
Oui, on a préparé le vélo en fonction, on est sur des BMX de série donc on change un peu le développement, on descend d’une ou deux dents. Il faut savoir que sur un tour complet de pédalier, on avance de 3 mètres 70 avec un BMX ; c’est un mètre de plus que pour un vélo classique. Donc sur une route de montagne à 10 %, c’est un peu plus dur.
Cette montée a été un déclic. Le but au départ était d’arriver en haut, mais chaque mètre que je faisais, je me disais : « Tiens, je n’ai pas encore mis le pied par terre. » Au bout de 20 minutes c’est devenu mon objectif : monter sans m’arrêter. Et j’y suis arrivée. Dans la douleur, car on pédale débout, il faut être solide sur les jambes, au niveau des bras et du dos, il n’y a pas de changement de vitesse… Donc il faut tenir, on est parfois presque à l’arrêt. Mais au final, j’y suis arrivée.
Et donc, vous avez voulu recommencer ?
Cette première montée a été immortalisée par un ami photographe, ça m’a permis de visualiser ce défi et mon attitude. J’ai eu envie d’en faire d’autres. Après le géant de Provence, quoi de plus haut ? On a commencé par le Tourmalet, 2115 mètres, le plus haut des Pyrénées à l’époque. Ensuite direction les Alpes, avec la cime de la Bonette. Le dénivelé n’est pas le même qu’au Tourmalet mais la fin est à 15 % et l’arrivée à 2802 mètres d’altitude. C’est horrible.
Quels sont les autres cols que vous avez escaladé ?
J’ai été sollicitée pour un stage à la Réunion, on en a profité pour faire le Maïdo (2178 mètres). Ensuite, comme on avait fait des cols en France, on a regardé ce qu’il y avait de haut en Europe, donc on a fait la Torre au Portugal (1993 mètres). Entre temps, le Tour de France a fait ouvrir le col de Portet dans les Pyrénées (2215 mètres), qu’on a fait cette année. Et puis on a décidé de faire le plus haut d’Europe, c’est le Pico Veleta (3398 mètres) en Espagne, près de Grenade, qu’on avait en tête depuis longtemps.
À titre personnel, que vous apportent ces défis ?
Ça met en condition le reste de l’année, on sait pourquoi on va faire du vélo, de la musculation, faire attention à notre alimentation. Et ça me met dans la condition d’une compétition, de me dire qu’il faut que je réussisse. Psychologiquement ça fait énormément de bien de se fixer un défi et de le relever. En plus on y arrive à deux, c’est un moment partagé très agréable. C’est un soulagement d’arriver en haut quand c’est dur, c’est ce moment unique que je recherche. Quand on a gagné une compétition sportive, il y cet instant unique où vous vous sentez la reine, comme Kate Winslet sur le Titanic ! Vous vous sentez forte, physiquement et mentalement. Quand on a vécu ça en compétition, il y a une véritable fracture après, on est seule à avoir expérimenté ce sentiment qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Comment vous préparez-vous pour ces défis ?
Dans l’année, il y a un peu de musculation, beaucoup de sorties hivernales en VTT et quelques sorties sur le BMX. Après c’est surtout une certaine hygiène de vie, au niveau alimentaire notamment, pour rester en forme et ne pas être trop vite dans le rouge. On se prépare ensemble avec mon compagnon, il n’y a pas de besoin particulier de kiné ou autre. Je me sers aussi de mon expérience du haut-niveau pour cette préparation, je me connais. Sur place, on se rapproche au plus du point de départ en camping-car, on étudie le parcours en amont, et il faut s’appuyer sur les données météo pour choisir le bon jour, car en montagne, les températures ou le brouillard évoluent rapidement. On y va en général en fin de printemps ou début d’été, hors vacances scolaires pour réduire le risque routier, donc c’est une petite fenêtre.
Ces cols, vous ne faites pas que les monter en BMX, vous les descendez ensuite…
Oui justement, la descente du col de Portet était infernale. On y s’est pris un peu plus tôt que d’habitude, il faisait hyper froid et je n’étais pas très bien. La gestion de cette descente est importante, il faut se couvrir en haut car on transpire, et bien penser qu’on a qu’un seul frein. Donc on est casqué et très vigilant à la circulation. Mais le plus sympa c’est l’attitude des autres, dans ces cols empruntés. Parfois on se fait doubler, les gens sont étonnés. « Quoi, vous allez monter avec ça ? Bien sûr. » Arrivée en haut, c’est l’heure des félicitations. L’objectif est d’autant plus rempli, les gens nous posent des questions.
Justement, quel est l’objectif derrière ces défis ?
Il y a deux choses, depuis la première montée. D’abord, mettre en avant mon sport, le BMX, un outil que je trouve essentiel à l’apprentissage du vélo. Le second objectif qui me tient à cœur, c’est l’aspect sport féminin. Montrer que sur un défi, sur quelque chose de très difficile, une fille peut y arriver. Toutes ces montées, je suis la seule à les avoir faites. À plus de 40 ans, avec une alimentation qui suit et une certaine hygiène de vie, on peut arriver au sommet. Alors qu’en tant que femme, il y a des barrières qu’on se met parfois nous-mêmes, qui sont culturelles. C’est une démarche qui s’inscrit dans la vie quotidienne. Si je l’ai fait, d’autres peuvent le faire, il faut juste rendre cet accès au sport possible, notamment dans les clubs.
C’est une facette inhabituelle du BMX que vous explorez, ce n’est pas vraiment un vélo taillé pour la route…
Le BMX est un outil très intéressant pour l’apprentissage, avec un centre de gravité beaucoup plus bas, des roues plus petites, c’est un vélo très maniable. De ce fait, c’est beaucoup plus simple pour les enfants d’apprendre sur un BMX, où ils peuvent être mobiles et relativement bas, donc avec moins d’appréhension, et ensuite passer sur un vélo de route. À l’inverse, apprendre sur un vélo de route puis passer sur d’autres types de vélo, c’est plus compliqué. Dans cette période où on parle de mobilité active, de plan vélo, de moyens de locomotion décarbonés, c’est essentiel que les enfants apprennent à faire du vélo. Autant qu’ils le fassent dans les bonnes conditions, avec les bons outils.
Pour retrouver les défis de Karine Chambonneau, vous pouvez consulter son site internet et ses réseaux sociaux.
Crédit photo : Karine Chambonneau
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