Chorégraphe de sa propre compagnie Yeah Yellow et athlète de haut niveau en équipe de France de breaking, Camille Regneault dédie sa vie à la danse depuis son adolescence. Sa discipline fera partie pour la première fois du programme des Jeux olympiques à Paris. Portrait de celle qui est surnommée B-girl Kami dans son milieu.
Coiffée d’un chignon et ornée de créoles dorées, Camille Regneault, 37 ans, s’est replongée dans le passé pour revenir sur ses débuts dans le breakdance et évoquer les Jeux de Paris. Benjamine de la famille, elle naît à Saint-Quentin (Picardie), entourée d’un grand frère et d’une grande sœur. « Dans ma famille, tout le monde faisait du sport. Il y avait un petit esprit de compétition qui m’a toujours donné l’envie de me surpasser, se souvient-elle. Si on s’amusait à sauter les marches, j’essayais toujours d’en passer plus. »
Guidée par ses parents, elle quitte le nid familial pour se consacrer pleinement au sport à seulement 11 ans. « Mes parents m’ont inscrit à la gymnastique. Là-bas, ils ont repéré que j’avais de bonnes aptitudes et que je pouvais aller en sport-études. » Elle passe alors les trois années suivantes en famille d’accueil. Lassée de la gymnastique, elle arrête en classe de seconde.
Tout ce qu’elle a alors en tête, c’est la danse, qu’elle découvre grâce à son frère, Johann. Après avoir obtenu son bac à 17 ans, elle quitte sa région pour s’installer à Paris afin de suivre un DEUG de biologie. « Même si j’avais de bonnes notes, je détestais l’école. Mes parents m’ont poussé à faire des études alors que cela ne m’intéressait pas. » Elle continue de danser, à l’abri des regards. « Je n’ai jamais dit à mes parents que je voulais devenir professionnelle. » Elle enchaîne avec une licence de sociologie, avec cette fois, un but précis. « J’étais persuadée que la sociologie pourrait m’aider à faire des interventions par la danse, auprès des autres », explique-t-elle.
Un break avec la gym pour la danse
Baignée par la culture rap, elle souhaite pratiquer le breakdance, surtout qu’elle y voit « une ressemblance avec la gymnastique, dans le côté créatif d’avoir son propre personnage et de réussir des figures. Il y a une vraie sensation de liberté. » Elle s’inscrit dans des stages de danse et s’inspire de mouvements qu’elle voit dans des reportages. Seulement, à chaque fois, ce n’est pas du breakdance mais du popping, qui se pratique uniquement debout.
En octobre 2008, à 22 ans, fini les bancs de l’école, place aux parquets de danse. Après plusieurs auditions, elle arrête sa licence car elle intègre la Compagnie de la Dernière Minute en tant que poppeuse professionnelle. La jeune femme fait « le tour du monde », grâce au spectacle Asphalte. Le groupe mêle des danseurs de styles différents : le popping, le krump (danse aux mouvements rapides et saccadés), le hip hop freestyle et le breaking.
Dans la compagnie, il n’y a qu’un breakeur : « Bee D, Julien Saint Maximin de son vrai nom (rires). » « Mon rêve, c’était de faire du break. À force d’être toujours avec lui, je ne voulais pas vivre plus longtemps avec des regrets », détaille-t-elle. À 26 ans, elle se donne « un an pour s’entraîner au break », grandement aidée par Bee D, qui deviendra son compagnon. Avec le recul, ses aptitudes en gymnastique telles que « l’équilibre, la musculation et la rigueur » l’ont poussé à réussir et à toujours dépasser ses limites.
Avec ce groupe, elle concrétise un autre rêve : intervenir en milieu carcéral et y transmettre sa passion. Elle le fera à deux reprises dans une prison pour hommes. « Une expérience incroyable », qu’elle aimerait bien retenter car « la danse est un outil qui apporte de la joie et transmet des messages forts ».
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Tout s’accélère
À la fin de l’année 2013, elle participe à ses premières battles et décroche le titre de championne de France. « Cette victoire m’a confortée dans l’idée que j’avais bien fait de me lancer et que souvent, on a tendance à se mettre trop de barrières », avoue-t-elle. Depuis, son palmarès s’est étoffé : triple championne de France en 2013, 2015 et 2016, vice-championne du monde en 2016 et championne du World Championship Breakdance Unbreakable en 2018.
Le breaking, comme dans les films américains, oppose deux danseurs dont la performance est jugée en individuel ou par équipe. « Une personne danse et l’autre répond », indique-t-elle. Mixtes ou non, les adversaires ont deux à trois passages chacun. Certes, « il y a du freestyle mais aussi une partie avec des mouvements préparés en amont, appelés les codes ». Impossible, donc, de connaître leurs durées. D’autant plus que les danseurs ne connaissent pas la musique.
Qui commence ? « Personne ne sait (rires). C’est sur le moment. » Et si personne ne se lance ? « On fait tourner une bouteille au sol et le bouchon détermine le danseur qui démarre », précise-t-elle. Camille Regneault préfère commencer mais c’est une position qui peut être désavantageuse. « Le jury se souvient plus du dernier passage. » À la fin de l’affrontement, il détermine le vainqueur à partir de plusieurs critères : musicalité, originalité, performance physique, dynamisme ou encore utilisation des codes et présence scénique. Un système de notation par pourcentage, pour chaque critère. Attention cependant, interdiction de copier le « mouvement signature » d’un autre breaker. Le sien, c’est l’avancée tête. « Les breakers du monde entier savent que je l’ai inventé et que c’est mon mouvement », se félicite-t-elle.
« En tant que breaker, on ne vit pas que du breaking », affirme la B-girl. Quand elle ne s’entraîne pas pour des compétitions, elle est chorégraphe de sa compagnie de danse, Yeah Yellow, qu’elle crée avec Bee D, en 2012. « Ma passion, c’est la danse. J’ai décidé que mon travail y soit lié. » Une réussite à la renommée internationale et même aux États-Unis, l’épicentre du break-dance. La compétition et les tournées sont complémentaires : « Dans mes spectacles, je place des mouvements que je veux tenter en battle. À force de les répéter, je prends confiance. » Surtout que les deux lui procurent la même « adrénaline ».
Camille Regneault, alias B-girl Kami
Être B-girl, c’est aussi incarner un personnage. « Si les danseurs étaient des ombres, le public devrait pouvoir nous reconnaître », compare-t-elle. Son succès, elle le doit aussi à cette identité qu’elle a façonné autour du breaking, avec notamment des influences qu’elle puise dans la culture manga. « En japonais, Camille signifie Dieu et se dit Kami. Donc quand je donnais des cours de danse, mes élèves m’ont appelé comme ça et je l’ai gardé. » Les surnoms pour les breakers, c’est une vraie particularité. « Tu dois te démarquer », affirme-t-elle.
Un univers qu’elle pousse encore plus loin, avec le célèbre personnage de Pokémon : Pikachu. « Je m’habille souvent en jaune, ma couleur préférée. Une de mes élèves m’a offert un sac Pikachu et c’est devenu ma mascotte. Beaucoup me reconnaissent dans le monde entier grâce à elle. »
Mais derrière la danse se mêlent d’autres passe-temps, comme la méditation et les jeux vidéo. « En ce moment, Final Fantasy 7 (rires). Ils me permettent de décrocher complètement et de ne pas penser qu’au breakdanse. » Une pause physique et mentale.
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Une première à Paris 2024
Le breaking sera de la partie aux Jeux l’été prochain. Bonne nouvelle pour cette discipline « peu visible », devenue un sport de haut niveau seulement en 2019. « Une nouvelle porte qui s’ouvre, selon Camille Regneault. Une économie va se mettre en place et permettra d’aider les danseurs à vivre de leur passion. Jamais je ne l’aurais envisagé », avoue-t-elle. D’autant plus que c’est un sport souvent stigmatisé : « Beaucoup de personnes ont une mauvaise vision du break. À l’annonce de son intégration aux JO, certains médias ont mis en avant qu’il s’agissait d’une discipline de voyous… déplore-t-elle. C’est super bien que ce soit plus démocratisé. Le grand public va découvrir à quel point ce sport est riche, beau à regarder et demande un effort incroyable. »
Pour s’y préparer, elle met en place différentes phases d’entraînements. En plus des cours qu’elle donne avec sa compagnie, des spectacles et des battles, elle s’entraîne 5 heures par jour, et près de cinq fois par semaine. Un travail qu’elle surveille de près. « Je filme tous mes entraînements pour les analyser et me souvenir des mouvements que j’ai pu inventer sur le coup. Il faut se les mettre en mémoire physiquement mais aussi mentalement. » Une des particularités du breaking : les danseurs ne sont pas nécessairement accompagnés par un coach. « Il n’y a pas cette culture d’avoir un entraîneur, c’est une discipline qui s’apprend en autodidacte. Mon entraîneur a seulement un œil critique pour m’aiguiller. »
Finalement, les Jeux olympiques pour Kami sont juste une « nouvelle compétition » mais avec « une petite motivation » en plus. Avant tout, elle « espère d’abord être sélectionnée ». Et si c’est le cas, « c’est sûr que je n’ai pas envie d’y aller juste pour participer » assure-t-elle. Pour cela, elle devra faire partie des deux meilleures B-girls françaises et des seize meilleures mondiales.
Photo : ©Nassir Mokhtari
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