Cécile Coulon, autrice hyperactive
La course à pied est un sport que je pratique, que j'adore, que ma famille pratique et adore aussi depuis très longtemps, j'ai été biberonnée à la course.
A seulement 27 ans, Cécile Coulon a sorti son 9ème livre, le 5 janvier 2017, tout en préparant une thèse sur le sport et la littérature. En 2015, son roman Le cœur du Pélican a été salué par la critique et les lecteurs. Un récit rageur et nerveux, où elle transposait parfaitement son expérience de la course à pied, en décryptant avec une rare justesse les émotions et la psychologie du sportif. Rencontre avec une autrice hyperactive.
Qu’est-ce qui a déclenché votre envie d’écrire sur le sport ?
D’une part, l’envie formelle, le défi plutôt, de retranscrire ce que la course à pied provoque dans le corps de l’athlète, je voulais tenter de faire passer par les mots, le rythme, la cadence, le souffle aussi de la course à pied, du mouvement. D’autre part, le sport est un milieu qui me fascine autant qu’il me dégoûte, qui me plaît autant qu’il m’interroge en permanence sur des questions contemporaines.
Le sujet sportif est-il un thème différent des autres ?
Le sport n’est pas un sujet comme les autres dans le sens où pendant toute la seconde partie du XXème siècle, c’était un thème romanesque mis de côté autant par les auteurs que par les critiques ou les universitaires ; cela faisait mauvais genre d’aborder ce thème dans la fiction. Aujourd’hui, ces barrières tombent, et j’ai la sensation qu’à travers le sport contemporain et l’écriture du sport contemporain, les personnages acquièrent une épaisseur supplémentaire, c’est-à-dire qu’ils sont montrés dans leurs extrêmes : de la joie infinie à la hargne violente sur le stade, tout est possible, en un laps de temps très limité.
Pourquoi avez-vous choisi la course à pied et plus particulièrement le 800 mètres ?
La course à pied est un sport que je pratique, que j’adore, que ma famille pratique at adore aussi depuis très longtemps, j’ai été biberonnée à la course. Le 800 mètres, c’est une discipline très particulière, difficile techniquement parce qu’elle demande des stratégies physiques propres au sprinteur comme au coureur de semi-fond. C’est une belle course le 800 mètres, pour moi, de celles qui contiennent le plus de suspense dans leur longueur.
Comment avez-vous travaillé pour ce livre ? Avez-vous utilisé votre expérience de sportive pour écrire et décrire le sacrifice, les efforts ?
Je ne me suis pas immergée dans le milieu sportif car je crois qu’il faut savoir faire parler son imagination, la somme des souvenirs sportifs du corps et de la pensée. J’ai évidemment utilisé mes propres sensations physiques, concernant la douleur notamment, et le rapport ambigu que tout athlète entretient avec celle-ci. J’ai travaillé sur le corps d’Anthime, sur son mental, comme le docteur Frankenstein, en ajoutant petit à petit des éléments piqués à mon imagination et à ma mémoire, et ensuite, je lui ai balancé une bonne dose d’électricité !
Le sport est omniprésent dans la société, les médias, comment la fiction peut redire le sport ?
La fiction ne dit rien ; elle questionne. Lorsqu’un auteur utilise le sport comme sujet, contexte, intrigue, il interroge un phénomène social/médiatique/physique à travers une histoire, mais surtout, il lui donne une autre ampleur, en quelque sorte, il dit : ce sujet est bien trop important pour qu’il fasse seulement partie de la réalité.
En littérature, le sport est souvent représenté dans un milieu scolaire et dans une perspective nostalgique liée à l’enfance. Pourquoi avez-vous opté pour ce cadre ?
C’est difficile de parler de sport sans parler d’enfance, parce que c’est là que tout commence dans la plupart des cas (il y a des exceptions évidemment). L’enfance est modelée par les sports pratiqués, vus, admirés, par les sportifs, les idoles. On a tous une construction mentale sportive, une histoire sportive, volontaire ou non. Pour Anthime, dès l’enfance, le sport est le moyen d’échapper à un milieu géographique et familial qui l’étouffe.
« Le sport féminin, j’y croirais encore plus quand on aura effacé la barrière des genres »
Vous faites une représentation assez féroce du sport à l’école, y compris des éducateurs et des parents d’élèves. Aviez-vous une volonté de dénoncer certaines pratiques ?
Comme je ne me suis pas immergée dans un milieu, il ne m’est pas venu à l’idée de dénoncer quoi que ce soit. En revanche, j’ai voulu montrer un itinéraire particulier, individuel, dire que dans ce contexte, Anthime est entouré d’adultes qui, eux, ont raté le coche à l’adolescence, ils vont essayer de se rattraper avec ce fils prodige, cet élève particulier. Ce qui me gêne, de manière générale, actuellement, dans le sport comme dans la musique, la littérature, ou autre, c’est le rapport malade entretenu avec la jeunesse, ou l’idée de la jeunesse.
Ce magazine défend et valorise le sport au féminin, pouvez-vous nous dire quel est votre intérêt pour le sport au féminin ?
Le sport féminin, j’y croirais encore plus quand on aura effacé la barrière des genres, qu’on parlera de « sport » sans préciser derrière, cela signifiera que les filles ont la même visibilité, les mêmes salaires ! J’ai toujours été très marquée par Paula Radcliffe, Karolina Kluft, je suis les basketteuses françaises, les handballeuses aussi, même si j’ai une petite préférence pour les sports individuels.
A votre avis, pourquoi la fiction s’intéresse peu à la sportive ?
La fiction s’intéresse peu à la sportive parce que la littérature, quelque soit le sujet, prend le sexe masculin comme représentation universelle.
A part Lola Lafon, Maylis de Kérangal et vous, pourquoi les romancières françaises sont si peu nombreuses à écrire sur le sport ?
C’est une excellente question ! Qu’il faudrait poser à celles qui n’écrivent pas sur le sport, je suppose que c’est un sujet qui ne les intéresse pas assez, ou qui n’intéresse pas assez les lecteurs, franchement, je n’en sais rien !
Pour terminer, pouvez-vous nous présenter Trois saisons d’orage, votre 5eme roman ?
Ce roman, Trois saisons d’orage, paraîtra le 5 janvier aux Editions Viviane Hamy ; il s’agit des histoires croisées d’ouvriers dans les carrières de pierre dans la campagne reculée d’après-guerre et du médecin venu s’installer avec eux pour les soigner. C’est une saga familiale sur fond de poussière, de sable et de montagne.
Propos recueillis par Julien Legalle
Cet entretien est paru dans le magazine Les Sportives n°4
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