Clémentine Sarlat : « J’ai participé à la libération de la parole »
Elle était présente chaque jour sur Amazon Prime, dans la quinzaine de Roland-Garros. Clémentine Sarlat, journaliste télé passée par le service des sports de France Télévisions, TF1 lors de la coupe du Monde 2019 de rugby et beIN SPORTS, raconte sa nouvelle vie en tant que réalisatrice de podcasts et professeure de yoga. Rencontre.
Diplômée d’un master de journalisme à l’IPJ de Paris Dauphine, vous avez passé sept ans au sein de la rédaction des sports de France Télévisions. Quelles étaient les relations avec vos collègues journalistes ?
Le monde de la télévision est assez particulier. Il faut apprendre à gérer l’égo des personnes, car c’est un média qui peut rendre fou. Certaines sont formidables, d’autres m’ont beaucoup aidé, apporté et ont été à l’écoute. Mais forcément, lorsque l’on est exposée, cela génère beaucoup de jalousie et de frustration. Il faut réussir à s’accrocher et en à comprendre les codes. La vie de famille est également compliquée. Lorsque je suis revenue de mon congé maternité, en janvier 2018, je savais concrètement qu’en juin, j’aurais peut-être eu du mal à rester.
En avril 2020, vous décidez de témoigner à cœur ouvert, dans les colonnes de L’Équipe, du sexisme dont vous avez fait l’objet à Stade 2. Peurs, pleurs, congé maternité, harcèlement moral… Que faudrait-il pour que ce genre de situation ne se reproduise plus ?
Le seul mot d’ordre, c’est l’éducation. J’étais censée co-présenter Stade 2. Lorsque je suis rentrée de mon congé maternité, on m’a fait comprendre qu’avec les lumières et les caméras ce n’était pas possible d’être à côté du présentateur. Et ce genre de discrimination, malheureusement, il y en a encore. Il va falloir que ça change et pour que cela change, les hommes doivent prendre leur congé paternité.
Quel a été le déclic pour avoir eu le courage de raconter ce qu’il se passait ?
J’ai regardé une série, The Morning Show, qui traite des problèmes de sexisme et de la difficulté d’en comprendre les contours. Deux présentatrices témoignent de leur mal-être au sein de la rédaction. Cette scène m’a vraiment marquée. Et je me suis dit : mais pourquoi est-ce que je n’ai jamais parlé pour changer les choses. J’ai ressenti de la culpabilité et quelques semaines plus tard, j’ai décidé de les dénoncer. C’était une décision difficile à prendre, car je savais qu’il y aurait beaucoup de conséquences, mais je me suis lancée. Je ne dois rien à personne. J’ai le droit de parler donc je l’ai fait.
À la suite de votre prise de parole, certaines journalistes se sont exprimées. Avez-vous reçu beaucoup de soutien ?
Eh bien pas énormément. Certaines journalistes ont pu se livrer et c’est tant mieux. Mais quelques personnes n’étaient pas en accord avec ma démarche et il est souvent compliqué de s’ouvrir. J’ai eu néanmoins des soutiens importants qui m’ont fait du bien. J’ai participé à la libération de la parole. Je ne suis plus dans les rédactions, mais je continue à discuter avec certaines de mes anciennes consœurs et collègues. Je pense qu’il y a une prise de conscience mais qu’une grande partie dans le milieu est dans le déni. Certains ont été sanctionnés et ce n’est pas par rapport à moi, mais par rapport à une enquête externe sur 114 personnes.
Depuis votre départ, qu’est-ce qui a changé ?
J’ai par la suite travaillé pour TF1 et beIN SPORTS, c’était génial. Les rédactions m’ont fait confiance, c’était un autre rapport. Mais aujourd’hui, je me suis envolée vers d’autres projets. D’autres ambitions. Et je suis heureuse. Lorsque j’ai débuté, j’étais pleine d’envie, j’avais des paillettes dans les yeux. Et je me suis rendu compte que le monde du travail était complètement différent.
Avez-vous trouvé votre bonheur et un certain épanouissement ?
Je sais que je ne veux plus travailler dans une rédaction à plein temps. Cet esprit m’a trop pesé. Désormais, je suis indépendante. Je m’organise comme je le souhaite et je n’ai plus à subir les avis des responsables qui ne sont jamais d’accord. Il faut qu’il y ait un vrai changement de culture dans la rédaction. Aujourd’hui, j’ai réussi à trouver mon équilibre en tant que freelance.
Vous êtes productrice, fondatrice et collaboratrice des podcasts La Matrescence, Le Spotlight, Immo Tape ou encore 36 chandelles. 4 millions d’auditeur·trice·s sont à votre écoute. Aviez-vous déjà posé votre voix en radio ?
Je n’avais jamais fait de radio. Je trouve qu’à travers ce média, je peux m’exprimer différemment et répondre à des questions que je me pose. On ne me juge plus sur mon physique, mais sur le fond de ce que je dis. C’est agréable et ça fait du bien.
Et vous êtes également devenue professeure de yoga pré et postnatal ?
Depuis que j’ai 18 ans, j’ai toujours évolué dans ce domaine. Lorsque j’ai quitté France Télévisions, j’ai souhaité me former afin de mieux comprendre les particularités de ce sport. Cela m’a beaucoup aidée. Aussi, le fait d’être maman de deux enfants est une épreuve transformatrice. Il faut être préparée et avoir les bons outils.
Vous avez dans le même temps participé au documentaire de Marie Portolano et Guillaume Priou, « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ». Que diriez-vous à la nouvelle génération ?
Il ne faut plus avoir peur de se taire lorsque ça ne va pas. Le documentaire était un gros soulagement. Je n’étais pas responsable de quoi que ce soit, on ressent toutes la même chose. Dans mon entourage, j’ai eu des retours sur le film. Dans le milieu, ce n’était pas le cas.
Propos recueillis par Solène Anson
Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ?
Proposez une correction à notre rédaction.
Vous avez aimé cet article ?
Retrouvez tous nos articles de fond dans le magazine
S’abonner au magazine