Chloé Warry autrice« Saison des Roses » aux éditions FLBLB
À la rencontre des sportives

Entretien avec Chloé Wary, autrice de la BD « Saison des Roses »

« J’ai choisi de traiter le football car il me passionne depuis toute petite. »

Julien Legalle
05.10.2019

Marquée par l’esthétique urbaine et la culture populaire, Chloé Wary a pour principale inspiration les faits de société. Avec « Saison des Roses » aux éditions FLBLB, elle nous propose de découvrir l’univers du football, sa deuxième passion. Avec Chloé Wary, l’émancipation féminine est au cœur du terrain !

 

Quel est le point de départ de « Saison de Roses » ?

Après mon premier album « Conduite interdite », consacré au combat des saoudiennes pour le droit de conduire, je voulais continuer à travailler sur des personnages féminins en quête d’émancipation. J’ai choisi de traiter le football car il me passionne depuis toute petite. J’avais aussi envie de parler de ma banlieue, de l’environnement dans lequel j’avais grandi. « Saison des Roses » est un mélange entre mon expérience personnelle, mon envie de jouer au foot et le besoin d’en parler.

 

On peut dire que la BD vous a amenée à jouer au foot ?

Oui ! J’ai mis du temps à me sentir légitime de m’inscrire en club. J’ai commencé le foot en même temps que l’écriture de cette BD. J’avais 20 ans et je pensais qu’il était trop tard pour commencer ce sport, qu’il serait difficile de m’intégrer dans un collectif. La BD m’a donnée la force de passer le cap. Pour créer le personnage de Barbara, capitaine de l’équipe U19 des Roses de Rosigny, je devais connaitre le football en tant que joueuse, vivre intensément cette passion pour construire le récit. La rencontre avec l‘équipe et la coach a été incroyable, ce fut un déclic et une vraie source d’inspiration pour les dialogues et les sensations.

 

« Saison des Roses » aux éditions FLBLB de Chloé Warry

Couverture ouvrage « Saison des Roses » aux éditions FLBLB de Chloé Warry

Pourquoi avez-vous attendu 20 ans pour vous inscrire ?

Je viens d’une famille plutôt traditionnelle, et l’éducation qui va avec. C’est pourquoi j’ai fait de la danse classique et du moderne jazz plutôt que du foot. Ça ne me plaisait pas vraiment et je n’étais pas douée. Mes parents nous ont toujours dit, à ma sœur et moi, que nous ne ferions pas de sport, car le week-end, ils n’auraient pas le temps de nous emmener aux compétitions. Comme ce n’était pas dans mon éducation, j’ai mis du temps à m’imaginer dans un sport collectif. Aujourd’hui, c’est évident et nécessaire de faire partie d’une équipe. Je n’abandonnerais pour rien au monde. Ça fait partie de ma vie. La section féminine est au début de son histoire, et nous avons une grande envie de la développer et la pérenniser D’ailleurs, aujourd’hui on m’a confié la tâche de gérer la communication des réseaux sociaux de la section, on peut maintenant nous suivre sur instagram @section_feminine_fcwissous. La BD se termine mais l’histoire avec mon équipe de foot ne fait que commencer !

 

Dans « Saison des Roses », on retrouve parfaitement le monde du foot amateur et sa fonction sociale.

Oui tout à fait ! C’était très important pour moi que les joueurs et joueuses se retrouvent dans cet album. Je voulais mettre en avant le côté collectif et social du football, que l’on on retrouve au niveau amateur. Qu’est-ce qui pousse des individus à venir le soir en semaine, dans le froid, sous la pluie, à venir s’entrainer ? Les gens viennent chercher quelque chose de différent, une convivialité, une solidarité, une dynamique de groupe. J’adore l’idée du petit club qui fédère la ville, les quartiers, les commerçants, les parents… Dans un club, on se mélange, on célèbre notre savoir vivre ensemble. Il y a un aspect familial que je voulais retranscrire au mieux. J’ai voulu aborder l’aspect social à travers le parcours de Barbara, dans sa banlieue, mais aussi de sa relation complexe avec sa mère.

 

Pouvez-vous nous expliquer le choix d’une langue de la rue ?

Même si Rosigny n’existe pas, j’ai voulu encrer cette histoire dans la banlieue proche de celle de mon enfance. Je me suis inspirée de deux villes, Chilly-Mazarin et Savigny-sur-Orge. J’ai choisi de retranscrire le langage que j’entends tous les jours autour de moi, et que j’utilise aussi selon les contextes [rire]. C’était assez naturel pour moi. En revanche, je ne voulais pas être dans la caricature donc j’ai évité des tics de langage trop connotés, pour ne pas desservir le propos. Je voulais que ça soit brut, donner du caractère.

 

Concernant votre style, pouvez-vous nous expliquer ce choix de couleurs vives qui saisissent le lecteur dès les premières pages ?

Ma première bande dessinée était en noir et blanc donc j’ai eu envie de faire l’opposé cette fois-ci. Ce fut un pur plaisir d’avoir toutes les couleurs à ma disposition. J’avais envie de donner de la couleur à ma banlieue, car c’est un lieu vivant, joyeux, et loin des clichés gris, terne et triste qu’on a l’habitude de voir. Sur le dessin, j’ai tout fait au feutre, c’est un travail fastidieux car il y a beaucoup de détails. Je voulais transmettre quelque chose de dynamique, de spontanée, en évitant d’être uniquement dans le ressenti. Je suis toujours dans un entre-deux. J’aime trouver l’équilibre. L’univers du foot se prêtait très bien à l’exercice avec les maillots, les chasubles et le terrain.

 

Barbara dit « On nous prend pas au sérieux, nous, les meufs ». « Personne ne s’intéresse à nous ». Est-ce également votre sentiment ?

Cette phrase-là est un condensé global de ce que je peux ressentir au quotidien, au-delà du foot. Dans la vie de tous les jours, certains réflexes verbaux polluent le quotidien. Dans la vie professionnelle également. Pour jouer au foot, on acceptera plus vite un garçon avec un niveau médiocre qu’une fille qui joue bien. Quand on est une fille, il faut toujours faire un double effort pour être reconnu. On a une double pression. 

 

Votre album parle d’un club qui n’a pas assez d’argent pour maintenir l’équipe masculine et féminine. Est-ce une expérience vécue ?

A Wissous notre coach a créé la section féminine car son précédent club avait supprimé l’équipe féminine. Il y a quelques semaines, j’ai également rencontré une joueuse de basket qui m’a confiée que son équipe avait été dissoute par le club, faute d’argent… Je suis donc partie de faits réels que j’ai romancé. 

 

Dans cette BD, les femmes ne soutiennent pas vraiment l’équipe féminine. Les hommes sont-ils les seuls obstacles à cette équipe ?

A travers les personnages de Chantal, la Présidente, et de la mère de Barbara, je voulais montrer que les femmes pouvaient s’autocensurer à la pratique sportive… Personnellement, ma mère ne comprenait pas mon intérêt pour le foot, car ça ne correspondait pas à l’image qu’elle se faisait et à la place de la femme dans la société. Il y a des conflits de génération. A part Serena Williams, Il y a encore trop peu de modèles féminins dans le sport pour que les petites filles rêvent de leur ressembler, pour ensuite se projeter dans un monde sportif au féminin. Malgré tout, j’observe une progression, certaines joueuses tendent à être plus médiatisées, même si elles n’ont pas encore la même couverture médiatique que celle des hommes. Je voulais retranscrire un autre aspect que je vis dans mon club. Dans les vestiaires, je côtoie des filles fortes, elles parlent fort, il y a des grandes gueules, ça chambre. Elles ont de forts caractères sans pour autant que leur féminité soit dissimulée. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un nouveau modèle de féminité hyper puissante, très incarnée. J’ai l’impression qu’on se réapproprie la virilité et cette puissance qui se dégageaient du foot, pour la modifier.

 

Pour terminer, votre BD s’est inscrite dans cette année de Coupe du monde. Quel bilan faites-vous de cet événement ?

On a vu tout l’intérêt que la coupe du monde féminine a suscité en France, à travers les médias et dans les familles. J’ai été agréablement surprise de voir des proches se sensibiliser à l’évènement. Ça fait plaisir, ça a marqué les esprits, c’est important. Bon les médias n’ont pas intérêt à se relâcher maintenant que la coupe est passée ! On a bien senti le retard qu’on a par rapport aux américains, eux, ils sont au taquets, les supporters et supportrices étaient en nombre impressionnant dans les stades cet été. Ce n’est pas la même culture. Là-bas, le football soccer à la côte au féminin. En Europe, ça commence à venir, mais il y a du boulot. Ce qui était génial, c’était de voir tout l’engouement que ça a déclenché. Une effervescence de projets ! J’ai rencontré des collectifs et artistes  investi.e.s et animé.e.s par ce thème (le collectif « meufsmeufsmeufs » par exemple) j’ai également pu participer à l’exposition collective « Beyond the Balls » qui interrogeait la relation qu’on a au corps féminin, ce qu’il symbolise et donc les barrières rencontrées dans la pratique sportive, et le podcast « championne du monde » qui proposait une table ronde spéciale coupe du monde, qui a été le fruit de discussions passionnantes sur le rôle des modèles féminins dans le foot, et le poids d’une culture patriarcale qui compose l’ADN de ce sport, aussi une exposition de maillot (même le maillot de Wissous a été exposé!) au COPA 90 (lieu éphémère ouvert spécialement pendant la coupe du monde) organisée par les Cacahuètes Sluts, équipe de foot féminine parisienne et indépendante, qui cultive une identité alternative, mêlant graphisme et culture sport etc… Bref, un tas de belles rencontres et de beaux projets ont eu lieu cet été en l’honneur du foot féminin. Quand on parle de foot, on voit que ça mobilise pas mal de monde, ça parle de société, ça va au-delà des enjeux sportifs, c’est bien connu. Ce qu’on en retire, c’est du positif, des gens qui s’embrassent, d’autres qui s’embrouillent, mais au moins on fait l’effort de communiquer ! On vit ensemble, et c’est cool.

 

Propos recueillis par Julien Legalle

Extrait du numéro 12 Les Sportives 

Julien Legalle
05.10.2019

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