Entretien avec Kris, auteur de la BD « Violette Morris : à abattre par tous moyens »
"Violette Morris est l’une des plus grandes sportives françaises de tous les temps [...] Or cette femme est totalement oubliée aujourd’hui."
Après l’excellent album « Un maillot pour l’Algérie », Kris et sa bande reviennent pour aborder une nouvelle page complexe de l’histoire du sport : « Violette Morris : à abattre par tous moyens » chez Futuropolis. Premier acte d’un récit en quatre temps.
Dans votre dernier album, vous avez choisi un personnage très controversé.
Après « Un maillot pour l’Algérie », nous cherchions un nouveau projet entre sport et récit documentaire. Violette Morris est l’une des plus grandes sportives françaises de tous les temps. Au sortir de la Grande Guerre et jusqu’en 1929, elle a cumulé vingt-sept titres dans de nombreux sports, dans les championnats de France, d’Europe et du monde : lancers du poids, javelot et disque, cyclisme, courses de moto et auto, football, water-polo, boxe… Or cette femme est totalement oubliée aujourd’hui.
Pourquoi ?
Soupçonnée de collaboration lors de la Deuxième Guerre mondiale, elle a été assassiné par la résistance sur une route normande le 26 avril 1944. Après-guerre, elle s’est vue décernée le titre de « hyène de la Gestapo ». Si sa vie s’était arrêtée en 1940, il y aurait des stades à son nom. De nombreux fantasmes vont naître autour de cette femme. La question qui nous intéresse avec cet album est comment un tel personnage a pu passer de la lumière à l’ombre. Avant 1940, elle a l’image d’un personnage lumineux, en avance sur son époque, l’incarnation de la liberté, elle ouvre la voie au sport féminin dans une époque où le sport devient un vecteur pour le féminisme et l’identité féminine, notamment sous l’impulsion d’Alice Milliat. En boxe et dans les courses automobiles, elle est la seule femme à concourir contre les hommes. En 1928, la fédération lui refuse de renouveler sa licence sportive pour atteintes aux bonnes mœurs. On lui reproche de s’habiller en homme, de fumer, d’être lesbienne et d’avoir subi une mastectomie pour conduire. Son attitude est une vraie provocation pour les autorités traditionnelles qui ont peur qu’elles pervertissent les jeunes filles. Son procès contre la fédération française fût très médiatisé. Elle va perdre à cause d’une loi napoléonienne qui interdit au femme de porter le pantalon. Ce procès a mis fin à sa carrière sportive. Ensuite elle s’est reconvertit comme artiste de cabaret et actrice, notamment dans les pièces de Jean Cocteau, l’un de ses meilleurs amis. D’ailleurs il va écrire plusieurs pièces sur sa péniche.
Souhaitez-vous réhabiliter cette grande championne ?
Nous ne souhaitons pas la réhabiliter car nous savons qu’elle avait un pied dans le milieu de la collaboration. Elle faisait du marché noir, était chauffeur du secrétaire d’Etat de Vichy, et responsable du garage Pershing, réquisitionné par la Luftwaffe. En revanche, ces éléments n’en font pas « la hyène de la Gestapo » comme le prétendait Raymond Ruffin, un historien normand et spécialiste du maquis Surcouf. Il avance des vérités sans preuves et sans sources. A partir de nos recherches et celles de l’historienne Marie-Jo Bonnet, nous avons découvert que beaucoup d’éléments ne collaient pas avec ce livre. Elle n’apparait pas dans leur registre. Issue d’une famille riche, elle s’est appauvrie pendant la Guerre puisqu’elle mourra avec plus d’un million de francs de découvert. Sa légende noire est en partie fausse. Prenons l’exemple de sa mort. Dans la voiture, Violette Morris conduit les époux Bailleul, bouchers de Beuzeville et collaborationnistes. Ils sont accompagnés par le gendre, qui n’a pas de lien avec ces activités, et leurs deux enfants. Tous seront abattus. L’assassinat des enfants fait tâche pour les héros et résistants du maquis Surcouf. Dans leurs archives, on découvre qu’ils ne savaient pas que le couple serait accompagné. Ainsi pour justifier l’attentat, ils vont ternir l’image des victimes, et plus particulièrement celle de Violette Morris. Ce qui m’intéresse aussi c’est la manière dont on fabrique l’histoire de la guerre, de la résistance et de la collaboration. Pour l’instant c’est encore très compliqué de l’aborder.
Propos recueillis par Julien Legalle
>> A retrouver dans le numéro 11 Les Sportives
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