Fanny Gibert. Copyright : Guillaume Peillon
À la rencontre des sportives

Fanny Gibert, un mental en béton pour une régularité de résultats

Aurélie Bresson
12.03.2020

Grande championne d’escalade, Fanny Gibert fait partie des meilleures au niveau mondial.  sacrée Championne de France de Bloc pour la cinquième fois, son parcours est impressionnant, tant dans le niveau de la performance que dans la régularité des résultats. Pour elle, « le mental c’est autant performer durant la compétition qu’avoir la motivation pour chaque séance d’entraînement, analyser ses entraînements, prendre des décisions, gérer les échecs et la pression. Pour moi on ne peut pas quantifier son importance : il est indispensable et il est derrière chaque action de la journée. » Rencontre.

 

 

Quand tu sens que des émotions ou des doutes te déstabilisent, comment réagis-tu ? 

« Cela dépend des émotions parce qu’il y a des émotions qui peuvent être porteuses et d’autres qui vont nuire à la performance et déstabiliser. Quand je sens que je m’emporte et que je me fais déstabiliser, j’essaie de l’accepter en analysant d’où ça vient, de revenir sur mon objectif, pourquoi je suis là, où je veux aller, puis j’essaie de me rattacher à des aspects pratiques : je cherche ce que je peux faire pour aller vers cet objectif. Souvent, cela se matérialise au travers de petites actions précises et concrètes, comme par exemple respirer pour récupérer plus vite, s’appliquer à s’échauffer point par point, effectuer toutes les gestuelles nécessaires pour que je me sente bien. Mais il y a toujours des mécanismes qui apportent des émotions négatives et qui sont difficiles à contenir. En contexte de compétition en particulier, le combat de chaque instant est de ne pas se projeter dans le résultat ni ce que font les autres. On a beau savoir que cela ne sert à rien car ce sont des choses qu’on ne maîtrise pas, c’est pourtant quelque chose que notre cerveau fait naturellement. Et le fait d’accepter ces émotions et de m’accrocher à des petites routines, comme préparer mes chaussons et les nettoyer etc., ça me permet de recentrer mon attention sur le moment présent et non sur les incertitudes du futur. » 

Le contrôle de soi et de l’environnement (équilibré avec une bonne gestion du lâcher prise) paraît être un facteur clé de réussite à haut niveau : quel est ton point de vue sur le sujet ?

« J’ai toujours été dans le contrôle, à vouloir maîtriser complètement tout ce que j’entreprends. Je pense que c’est une force de vouloir aller vers ce perfectionnisme, d’être rigoureux et pointilleux, et d’aller chercher plus loin, mais finalement peut-être que le plus important, c’est la capacité de réadaptation face à des situations imprévues.

A mes yeux la force mentale c’est à la fois de contrôler ce que l’on peut contrôler, d’accepter de ne pas pouvoir tout contrôler et de s’adapter intelligemment à chaque situation. C’est cette capacité à  trouver des solutions peu importe ce qui arrive ou va arriver. Pour moi c’est cette force de réadaptation permanente qui est la plus grande source de confiance en soi. »

Et comment trouves-tu cet équilibre ?

« Je pense que pour réussir à garder cet équilibre entre contrôle et lâcher prise, c’est plus facile quand on est soi-même équilibré et épanoui dans notre vie en général. Pour ma part j’ai toujours eu mes études dans l’ingénierie, qui est un projet complètement à part et qui me permet de sortir du milieu de l’escalade et du sport de haut niveau. Avoir les deux me donnait un équilibre, cela me permettait de prendre du recul quand j’étudiais, de me rendre compte de ce qui est vraiment important et quand je grimpais de me recentrer sur l’essentiel. Je n’avais pas d’autre choix que de lâcher prise sur certains détails car il n’y a que 24h dans une journée. Ça reste un travail de chaque instant pour moi d’accepter de lâcher prise sur tout sur ce qui n’est pas essentiel car mes objectifs requièrent un investissement total. C’est donc assez paradoxal et c’est pour ça que cet équilibre est si dur à maintenir, mais c’est là qu’on sera le plus performant. »

Fanny Gibert. Copyright : Guillaume Peillon

Copyright : Guillaume Peillon

As-tu une compétition à nous raconter où ton mental a fait toute la différence ?

« Justement, il y a eu les Championnats de France ce week-end, et c’est durant cette compétition que j’ai pu pleinement mettre à profit mon expérience et mon mental. En finale, je pensais qu’il ne me restait qu’un seul essai pour conserver mon titre et il y avait un mouvement particulièrement difficile. Mais j’ai accepté la peur de ne pas y arriver en un essai, j’ai respiré, je me suis concentrée sur l’escalade et ça a marché. J’ai reussi à trouver ce qu’il faut de sérénité dans cette instant de pression intense.

Cette expérience et cette gestion mentale ont fait la différence car nous avions toutes les capacités de faire les blocs. En général sur le moment je n’ai pas l’impression de faire quelque chose d’exceptionnel Je crois que justement ce qui est fort c’est de réussir à grimper normalement. C’est souvent après en voyant les autres que je me rends compte de ma capacité à rester lucide sous la pression et de mon niveau en préparation mentale.

Fanny, une dernière question : comment est-ce que tu te prépares mentalement ?

On m’a toujours considérée comme une compétitrice avec un gros mental. Et je ne comprenais pas trop pourquoi car j’ai toujours eu des pensées très négatives. Je n’ai jamais eu de suivi « prépa mentale » ou fait d’exercice spécifique. Avec le recul je dirais que ça vient du fait que je suis complètement sincère avec moi-même, transparente. Quand je suis triste, en colère ou que j’ai peur, je ne sais pas le cacher, je me fais souvent inonder par mes émotions mais je cherche à les comprendre. J’ai l’immense chance d’avoir toujours était entouré de personnes de totale confiance à qui je pouvais absolument tout dire tout haut. Ensuite le mental est un sujet qui m’a passionnée j’ai croisé pleins de gens qui m’ont apporté des clés. Je me pose des questions et je me remets en question en permanence c’est fatiguant mais passionnant. J’ai réalisé ensuite que je fais ma prépa mentale au quotidien en faisant des choses qui me sont venu assez instinctivement : j’analyse presque tout ce que je fais que ce soit gestuel ou ressentie, par la visualisation, l’analyse vidéo, les retours écrits, des conversations… Globalement, j’essaie d’être heureuse, switcher le plus rapidement possible quand je suis négative et booster chaque seconde de positive. C’est quelque chose que je construis et entretiens tous les jours. J’ai beaucoup progressé et j’espère progresser encore beaucoup.»

 

Propos recueillis par Emmanuel Piquemal.

Aurélie Bresson
12.03.2020

Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ?
Proposez une correction à notre rédaction.