FDJ-Suez-Futuroscope – Flavien Soenen : « Toutes les filles pouvaient envisager d’être sur le Tour de France »
Aujourd’hui commence le Tour de France Femmes avec Zwift 2022, où la solide équipe française FDJ-Suez-Futuroscope sera en première ligne. La professionnalisation et les avancées du cyclisme féminin permettent à l’équipe de croire en leur réussite sur le plus gros évènement du calendrier. Rencontre avec Flavien Soenen.
Flavien Soenen, responsable de la performance dans l’équipe FDJ-Suez-Futuroscope, a répondu à nos questions à la veille du départ du Tour de France Femmes avec Zwift. Arrivé à l’intersaison après deux années dans l’équipe masculine d’Arkéa Samsic, il est au plus proche des athlètes. Il gère l’entraînement et la préparation physique. Mais également les points de performance liés aux mécanicien·ne·s, aux assistant·e·s ou aux entraîneur·euse·s extérieur·e·s. Déjà passé dans l’équipe en 2019, il se sert de ses expériences passées dont celle chez les hommes pour puiser ce qui a marché et l’appliquer à l’armada tricolore.
Les Sportives : Venant d’une équipe masculine, avez-vous l’impression que les femmes s’orientent de plus en plus vers ce que font les hommes à l’échelle de la professionnalisation ?
Flavien Soenen : C’est certain, il y a un vrai gap. En 2019 ce n’était pas du tout la même équipe. Et il y a un vrai engouement global des gens, du grand public. Ce qui a amené les entreprises à plus s’intéresser au cyclisme féminin, à plus investir. De ce fait avec les investissements disponibles, il y a forcément plus de choses qui sont faisables. Les filles peuvent se projeter et à 22 ou 23 ans, se dire : « Je peux faire carrière donc je peux envisager ma vie en tant qu’athlète professionnelle », alors qu’avant c’était compliqué.
« Il fallait vraiment avoir quelque chose sous le coude pour la plupart. »
Peut-être que les toutes meilleures pouvaient en vivre mais c’était vraiment un nombre restreint. Maintenant, une athlète à 20 ans a un contrat pro avec un salaire minimum, des protections sociales. Ce qui paraît logique ailleurs, mais qui jusqu’alors dans le sport ne l’était pas autant, comme le congé maternité. Donc il y a beaucoup d’améliorations de tous les côtés, qui permettent effectivement d’envisager le métier de cycliste de la même manière que chez les hommes actuellement. À l’intérieur même des équipes, des changements sont effectués. Par exemple, cette année nous avons recruté une diététicienne pour tout ce qui concerne les courses par étapes mais aussi au quotidien.
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Est-ce que vous pensez que l’annonce du Tour de France Femmes avec Zwift a tout accéléré ?
Bien sûr, même si ça a commencé un petit peu avant avec le premier Paris-Roubaix féminin en 2021. Mon point de vue c’est que ça fonctionne comme dans tout : s’il y a de l’attrait, les sociétés et les investisseurs vont venir.
« Au football, s’il y a des sommes mirobolantes qui existent aujourd’hui sur les transferts, c’est parce qu’il y a beaucoup de retombées et de gains pour les sociétés. »
Avant il y avait peu de visibilité pour le cyclisme féminin, peu de courses retransmises, pas forcément les plus gros monuments. Il a donc profité d’organisateurs fiables et qui duraient dans le temps pour se construire. Et dernièrement sont arrivés les grands organisateurs comme ASO (Amaury Sport Organisation, organisateur notamment du Tour de France) qui ont permis un Paris-Roubaix, aujourd’hui un Tour de France, et entraîné une médiatisation supplémentaire. Aujourd’hui vous allez regarder sur France TV, sur Eurosport, sur GCN, sur Sporza (chaîne belge flamande) ou RAI (chaîne italienne) dans les autres pays. De plus en plus de courses sont retransmises à la télévision aujourd’hui, c’est un bon coup de pouce et je pense que le Tour de France va être un accélérateur supplémentaire pour cet enthousiasme.
Justement, cet accélérateur que va être le Tour de France a-t-il compliqué la composition de votre équipe, sachant que certaines filles resteraient sur le carreau ?
Nous, on réfléchit en terme d’équipe, d’avoir le collectif le plus performant sur le Tour avec des rôles bien précis pour chaque athlète. On n’a pas ressenti cette pression-là pour nos choix. On a pris des décisions logiques du fait de leaders désignées qui ont pour objectif la gagne. Deux tiers de l’équipe connaissait son calendrier jusqu’au Tour depuis cet hiver. Il y en avait quatre qui étaient déjà sélectionnées, qui avaient l’info depuis cet hiver (Cecilie Uttrup Ludwig, Marta Cavalli, Grace Brown et Évita Muzic). Et on s’est laissé le temps pour les deux dernières places (Vittoria Guazzini et Marie Le Net). Voir aussi comment évoluait la saison, voir comment chacune travaillait auprès des autres, etc.
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Allez-vous arriver avec des co-leaders, ou une seule leader et d’autres qui essayeront de jouer la victoire d’étape ?
Cecilie Uttrup Ludwig a été identifiée comme notre leader depuis cet hiver, c’était clair depuis longtemps. On va dans l’objectif de jouer le général et parfois il faut aussi savoir ne pas trop se disperser. Nous saisirons donc les opportunités qui se présentent tout en gardant en tête de courir pour le général. On a des athlètes très fortes, comme Marta Cavalli, qui a eu le leadership sur le Giro (2e). Et quand on a une athlète de ce niveau qui peut et veut aider l’équipe, ça ne peut qu’être positif. Puis on a des athlètes comme Évita Muzic qui a déjà montré tout son talent en montagne. Grace Brown est quant à elle une excellente capitaine de route, avec beaucoup d’expérience et un niveau physique extrêmement élevé.
« On avait un effectif complet avec toutes les filles qui pouvaient envisager d’être sur le Tour du fait de leur niveau, on appelle ça des problèmes de riches dans le jargon. »
Vittoria Guazzini et Marie Le Net sont des filles très performantes depuis le début de la saison. Elles sont physiquement très très solides. On n’a pas six filles qui sont identifiées directement parce qu’aujourd’hui toutes les filles ont un niveau très haut. On est forcément obligés de laisser de côté des athlètes qui méritent aussi mais il y a des choix à faire.
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Vous alignez une équipe assez jeune aux côtés d’une Grace Brown plus expérimentée, est-ce que cela apporte un plus à l’équipe ?
Tous les profils peuvent apporter à l’équipe, chaque fille a une personnalité, une expérience différente. Aujourd’hui on a par exemple une Évita qui est beaucoup plus jeune. Mais elle a déjà gagné, et ce a peu près tous les ans depuis qu’elle est chez les pros. Cet aspect de tranquillité, d’être posée, elle a vraiment ce côté-là, très appréciable pour nos leaders. Elle ne peuvent qu’être sereines de courir à ses côtés. C’est un capital confiance qui est hyper intéressant d’avoir avec soi. Que ce soit pour être capable de retourner la situation dans une mauvaise passe ou bien pour faire pencher la balance si on fait une décision tactique de prendre la course en main. J’insiste vraiment sur l’équipe en tant que telle, les six athlètes forment vraiment une équipe.
« Chacune a des particularités intéressantes à apporter au groupe et surtout une force physique individuelle et collective qui sera sûrement notre point fort. »
Est-ce que l’équipe aborde le Tour de France avec un peu de pression comme un grand Tour l’impose ?
Bien sûr qu’on a de la pression, mais c’est positif. Ça permet d’être concentrés jusqu’au bout, de cibler les objectifs, de ne pas se disperser. Mais aussi de bien rester focus sur ce qu’on est venus faire sur ce Tour de France Femmes là. On peut toujours dire : « Une équipe française au premier Tour de France, en France, il y a beaucoup de sollicitations », mais c’est une gestion interne qu’on met en place. Pour moi c’est une pression positive, qui pour l’instant n’est pas dérangeante.
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Ce Tour de France va-t-il ouvrir de nouvelles perspectives pour l’équipe, pour les mois ou années à venir ?
Il y a des personnes qui nous font confiance avant ce Tour de France Femmes et qui y seront présentes (Suez est juste devenu co-sponsor aux côtés de la FDJ). On peut donc espérer que ça permette le développement, qu’on montre qu’on mérite cet investissement-là. On doit leur rendre la pareille en les représentant de belle manière, en montrant une belle image du cyclisme féminin, de l’équipe. Aujourd’hui, on a un capital sourire dans le collectif qui est assez élevé et qui donne de bonnes images. Mais il ne faut pas oublier que les filles ont un très bon comportement en course. On se doit de montrer des beaux résultats, de bonnes choses sur et en dehors du vélo, et forcément il en découlera du positif pour la suite.
Propos recueillis par Constance Vignaud
Crédit photo : Thomas Maheux
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