Gaelle Mignot en préparation avant la Coupe de monde de rugby ©Fédération Française de Rugby
À la rencontre des sportives

Gaëlle Mignot, quand le rugby devient une affaire de femmes

Assia Hamdi
04.05.2023

Médaillée de bronze au Mondial de rugby pour la deuxième fois, Gaëlle Mignot est de retour à Montpellier, à son poste de talonneur. A 30 ans, la capitaine des Bleues et éducatrice sportive se réjouit d’avoir vu évoluer la pratique féminine de son sport et de l’engouement croissant pour l’équipe de France. Pour elle, cependant, le rugby au féminin a encore un bout de chemin à parcourir.

Les Sportives : Gaëlle, elle est où en ce moment, cette médaille de bronze ?

Gaëlle Mignot : Elle est chez moi à Montpellier ! Ma mère garde mes médailles et mes trophées, mais je ne l’ai pas encore descendue dans ma famille. On risque d’avoir quelques célébrations au club, donc je la garde pour le moment.

 

Êtes-vous descendue de votre nuage depuis la fin de ce Mondial ?

Ce n’est pas évident de passer d’un groupe à la solitude mais depuis que je suis rentrée, j’ai eu le temps de décompresser. Ca fait du bien de revoir sa famille et de reprendre le travail. On a l’habitude de participer à des évènements et de reprendre le quotidien.

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Quand on est jeune et qu’on joue au rugby, à partir de quel âge rêve t-on de faire une Coupe du monde ?

L’équipe de France m’a longtemps semblé inaccessible. Puis je suis venue à Montpellier, s’en est suivie ma première sélection avec la réserve nationale, et j’ai été sélectionnée pour la Coupe du Monde 2010. Je n’avais pas fait une longue préparation, j’ai vécu ça comme une chance, sans pression, mais sur le terrain, on a l’impression d’être un enfant au milieu d’un parc à jouets. La Coupe du monde, pour une joueuse de l’équipe de France, c’est magique. C’est fabuleux, de pouvoir y participer.

Vous avez débuté le rugby à sept ans, qu’est-ce qui vous a poussée à essayer ?

Plusieurs membres de ma famille dont mon père et mes deux oncles faisaient du rugby donc je connaissais déjà ce sport. En plus, je suivais mon père au bord des terrains. Puis, un jour, une fille était venue faire un essai dans le club mais ça ne lui avait pas plu. Mon cousin m’a demandé si je voulais tester, j’ai accepté. Et depuis, je n’ai jamais arrêté.

Et votre poste de talonneur, c’est arrivé progressivement ?

Au début, j’étais plutôt derrière, au centre. Le niveau n’était pas non plus celui d’aujourd’hui. Et puis, ce n’était pas un poste qui me convenait car j’ai constamment besoin d’être dans le combat. Je suis plus à l’aise dans les tâches obscures. Ensuite, les entraîneurs qui m’ont fait changer de poste. Être talonneur me plaît car j’aime être dans la mêlée, dans le contact.

Une fois que vous avez débuté le rugby, aucun autre sport ne vous intéressait…

Ma mère m’avait mis à l’équitation mais ca me plaisait pas du tout…je m’ennuyais. Ensuite, j’ai pris ma licence de rugby. Ca a été un coup de foudre : dès que j’ai commencé, je me suis donnée à fond. Pour le rugby, je ratais tous les évènements familiaux, jusqu’à la communion de ma sœur. Aujourd’hui, je ne me verrais plus vivre sans ce sport.

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C’est votre cousin qui vous a proposé de tester le rugby. Pensez-vous avoir eu un milieu familial propice au choix du rugby ?

Oui, car je connaissais le rugby par ma famille. Ensuite, mes parents ont accepté que je pratique et ça m’a mise en confiance. Mon père était content que je me mette au rugby car il en faisait, donc il n’avait pas de réticence, il m’y a bien préparée. Par contre, pour lui, si je me lançais dans ce sport, il ne fallait pas faire la petite fille au milieu des garçons et pleurer dès qu’on prend un coup. Il fallait que j’y aille, que j’en sois digne. Ca m’a forgé mon caractère.

Le rugby est un sport où la notion de famille est très forte, qu’est-ce qui l’explique ?

Je pense que l’image qui est ressortie de cette dernière Coupe du Monde est celle d’un groupe fabuleux qui a fait son maximum. On est capables de rester sur le terrain pour nos copines, alors que ce sont des choses qu’on fait d’habitude pour sa famille. Je pense aussi que c’est parce que le rugby est un sport « de combat », que les liens sont si forts, si familiaux, dans une équipe.

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Vous souvenez-vous de ce qui vous plaisait dans le rugby, les premières années ?

Dès le début, j’étais une fille parmi les garçons et j’ai été très bien acceptée. J’étais la petite protégée du groupe, j’ai vraiment tout de suite trouvé ma place et ça m’a aussi aidé à continuer. La notion de dépassement de soi me plaisait aussi. Quand on se fait plaquer, sur un terrain, il faut se relever et aller plaquer quelqu’un d’autre. On dit beaucoup que le rugby est l’école de la vie et c’est vrai, le rugby m’a fait grandir.

Quand on est une petite fille, est-ce plus facile d’assumer que l’on fait du rugby ?

Nous, les filles, avant, on n’osait pas aller en salle de musculation. Alors que le but de la musculation, c’est de nous protéger. En fait, les filles craignaient le regard des gens et les remarques désobligeantes comme « le rugby, c’est pas fait pour vous » ou « c’est pas féminin ». Quand j’ai commencé le rugby et que je faisais des tournois, je rencontrais une ou deux filles au total. Maintenant, il y a des filles dans la plupart des équipes.

Comme le veut le règlement, à l’adolescence, les filles ne jouent plus avec les garçons mais avec les filles à partir de 14 ans. Comment s’est faite votre transition ?

A l’époque où je jouais, il n’y avait pas d’équipe jeunes féminines. Donc j’ai commencé à jouer avec des filles à 16 ans, après avoir été surclassée. C’était une équipe senior et certaines filles avaient 25 voire 30 ans. J’étais contente d’intégrer une équipe de filles mais il n’empêche que tout se passait bien pour moi parmi les garçons. C’est vrai, beaucoup de filles gèrent mal la liaison entre école de rugby et groupe de filles. Mais arrivée à un certain âge, on ne peut plus rivaliser avec les garçons. On n’a plus les mêmes caractéristiques physiques et pour préserver ma sécurité, il fallait faire cette transition.

 

Ensuite, vous avez étudié en STAPS et aujourd’hui, vous avez un diplôme d’état pour entraîner le rugby et vous êtes éducatrice sportive. Est-ce que c’était logique pour vous, de travailler dans le sport ?

Oui, rester dans le sport était une évidence. Être assise derrière un bureau m’ennuie, ce n’est pas moi, j’ai besoin d’être active. Je m’étais donc orientée vers un diplôme de prof d’éducation physique et sportive. Et puis, les sélections sont arrivées et j’ai eu l’opportunité de passer le diplôme d’Etat pour entraîner le rugby. Aujourd’hui, j’aime le fait d’entraîner des filles, des garçons et des jeunes et adultes en situation de handicap. J’ai l’impression de faire découvrir ma passion à différentes populations.

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A partir de quand le rugby est devenu vraiment important pour vous et vous êtes-vous dit « je veux devenir joueuse de rugby » et jouer en bleu ?

C’est venu tôt. Avant même de travailler, mon objectif était déjà de poursuivre dans le rugby. Ensuite, pour les Bleues, ça s’est fait échelon par échelon. J’ai été appelée à Montpellier, qui est l’un des clubs les mieux classés du championnat. Et une fois là-bas, je me suis dit qu’il fallait que j’aille le plus haut possible. Et le plus haut, c’était l’équipe de France. Alors, j’ai travaillé dans ce sens.

Détail intéressant, vous avez débuté à Trélissac… comme Thierry Dusautoir, longtemps capitaine du XV de France ! Etre capitaine, ca apporte quoi en plus, dans une carrière ?

Je n’avais pas pour objectif d’être capitaine, ca s’est fait naturellement. Mais le fait d’être capitaine ouvre la parole. Quand il le faut, j’essaye de faire passer des messages sur ce que je ressens. La différence entre la capitaine et les autres, c’est que dans la rue, les gens me reconnaissent en tant que capitaine, alors que les autres filles sont appelées par leur nom. Je suis un peu plus regardée, ca met une petite pression.

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Et est-ce qu’il y a une recette pour bien faire son job de capitaine ?

Non, il n’y a pas vraiment de recette magique. Mais ça demande de manager en fonction des personnalités. Je suis très perfectionniste, je donne toujours le meilleur et j’ai parfois du accepter que tout le monde n’avait pas la même assiduité ou la même envie. Il faut s’adapter.

Votre discours de capitaine avant la demi-finale a beaucoup plu et a été très relayé. Qu’est-ce que vous avez voulu transmettre comme message aux filles ?

Contrairement aux anciennes, quelques petites jeunes allaient vivre leur première demi-finale de Coupe du Monde et l’idée était de faire positiver tout le monde pour éviter la pression. Je ne prépare pas mes discours, je voulais juste leur dire qu’il fallait donner le meilleur et qu’on ferait le bilan après le match. On n’a pas fait le match parfait, il y a eu des gestes manqués, des touches mal assurées, et de la frustration, mais le groupe avait travaillé dur. On a tout donné donc on n’a rien à regretter.

 

Aujourd’hui, est-ce que les Bleues du rugby sont un peu plus prises au sérieux ?

Les choses ont évolué depuis la Coupe du Monde 2014 qui avait eu lieu à domicile. Les gens nous reconnaissaient déjà comme des sportives de haut-niveau, mais avant, les attentes étaient moindres. Cette année, les gens étaient au courant de la compétition. Certains ont même pris leur vacances pour venir voir nos matches. Avant, ça ne se faisait pas sur nos matchs à l’étranger. Ca fait plaisir de savoir qu’on est reconnues. Aujourd’hui, on a le droit de faire ce sport, on représente notre club, notre pays, et lorsque les gens nous croisent, il y a beaucoup de compliments.

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Le rugby semble lui aussi s’ouvrir aux femmes…

Au tout début, même si des gens nous soutenaient, ça restait mal perçu d’être une fille et de faire du rugby et certaines s’en cachaient. La plupart des gens avaient une image négative de ce sport. Mais les mentalités changent. J’ai entraîné des équipes de garçons, ça ne se faisait pas encore il y a cinq ans. Aujourd’hui, les garçons que j’ai entraîné ou les pros actuels du XV de France et de Montpellier savent ce qu’on a fait et acceptent qu’on puisse pratiquer ce sport.

Lorsque vous parlez à des jeunes filles, que leur dites-vous pour les convaincre de se mettre au rugby ?

Je leur dis que c’est un sport comme un autre et qu’il faut oser faire ce qu’on a envie. Qu’il ne faut pas craindre la blessure car on se prépare pour l’éviter. Le rugby est un sport qui a beaucoup de valeurs et quand tu viens l’essayer, tu l’adoptes. D’ailleurs, les petites filles qui viennent faire un essai abandonnent rarement.

On sait que l’avis des parents est important dans le choix d’un sport. Aujourd’hui, acceptent-ils plus facilement que leurs filles fassent du rugby ?

C’est vrai que souvent, il faut d’abord convaincre les parents. Le contact fait peur, les parents craignent que leur fille soit défigurée. Mon père et ma mère ont tout de suite accepté, ils m’ont amené au rugby dès le début. Et aujourd’hui, les parents osent mettre les petites filles en club. Certains parents trouvent même ça fabuleux, que leur fille veuille faire du rugby, il y a eu du changement.

Qu’est-ce qui explique que ces parents se sentent plus rassurés ?

Lors de nos matchs, on a montré beaucoup de jeu, d’envie, de fraîcheur et d’enthousiasme, et les parents se sont reconnus là-dedans. On a aussi réussi à montrer que même si le rugby était un jeu de contact, on est préparées et qu’il n’y a donc pas d’énormes blessures.

Le Mondial a battu des records d’audience. Selon vous, que devraient faire les médias pour que cette bonne dynamique persiste ?

Quand j’ai commencé le rugby, il ne m’arrivait jamais de faire des interviews comme celle-ci. Mais depuis 2014, ca a évolué. Par exemple, il y a beaucoup plus de journalistes qui nous suivent. Cette dernière saison, on s’intéresse à nous et pas seulement quand il y a des gros événements. Maintenant, il faudrait que ça continue, que ce soit suivi toute l’année.

Et au niveau des instances, comment le monde du rugby doit-il évoluer pour que la pratique féminine se développe ?

Il y a des évolutions dans les instances. A Montpellier, il y a une équipe minimes filles depuis deux ans et je termine ma saison avec 30 joueuses, Aujourd’hui, il y a aussi des sélections pour les filles. Il y a un Pôle France à Marcoussis, elles sont convoquées une fois par mois pour une semaine de stage. Quand j’ai commencé le rugby, je n’ai pas connu tout ça. Mais il y a aussi des choses sur lesquelles il faut évoluer. Certaines filles doivent refuser des sélections car leur employeur ne veut pas les laisser partir. Au Mondial, on affronte les Anglaises et elles sont professionnelles. On a beau se donner à fond…elles passent l’année avec leur équipe, elles ont acquis des autres automatismes, de la vivacité et de la stratégie.

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Mais alors, que faudrait-il faire pour que l’équipe de France aille encore plus loin ?

Les filles se donnent énormément mais on n’a pas forcément le temps de récupération nécessaire. On a aussi des différences de niveau dans la même équipe entre celles qui ont pu s’entraîner ensemble et celles qui n’ont pas pu à cause de leur emploi du temps. Il faut qu’on puisse avoir des emplois du temps aménagés. On ne veut pas être professionnelles car on est conscientes qu’il faudrait que le salaire suive, et à 1200 euros par mois, on ne pourra pas assurer notre avenir. Mais du semi-professionnalisme peut être un bon compromis. Par exemple, une matinée de travail et une après-midi au rugby. En janvier, par exemple, on a eu sept heures par semaine payées à l’employeur. C’était une bonne évolution, on était plus détendues psychologiquement et physiquement.

En parlant de votre emploi, comment utilisez-vous votre expérience dans le rugby pour éduquer les jeunes ?

Dans les écoles, on explique que tout le monde peut trouver sa place au rugby. Il n’y a pas de catégorie de poids ou de taille. Mais il y a des grands, des costauds, des petits, des fins, certains qui courent vite, d’autres qui courent moins vite. Et puis, il y a aussi de l’ambiance dans les tribunes. Pendant 80 minutes, il y a deux clans de supporters qui s’affrontent, mais à la fin, ils vont tous boire un coup ensemble.

 

A propos de votre personnalité sportive préférée, vous citez Tony Estanguet…

Oui, quand j’étais plus jeune, Tony Estanguet m’a remis une récompense dans ma région juste avant les Jeux Olympiques d’Athènes, en 2004. Il racontait tout ce qu’il avait mis en oeuvre pour réussir, son travail jusqu’aux petits détails, comme la reconnaissance du bassin ou le choix de son matériel. J’ai vu en lui un perfectionniste, quelqu’un qui travaille dur et qui se donne les moyens. J’ai compris que pour y arriver, j’allais devoir beaucoup travailler.

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La fin de carrière, vous y pensez déjà ?

J’ai eu la chance de gagner des titres et le seul qui me manque c’est la Coupe du Monde. J’aurais pu arrêter après ce Mondial, d’autant que j’ai 30 ans et qu’une Coupe du Monde demande beaucoup d’investissement. On met aussi de côté notre entourage qu’à un moment on pense lâcher prise. Mais le résultat ne me satisfait pas. Je me suis arrêtée trois fois en demi finales, mais il n’y aura pas d’arrêt cette année. J’ai envie de continuer à travailler et à transmettre.

Quelle trace aimeriez-vous laisser dans le rugby et dans votre métier ?

Je veux montrer aux jeunes que ce n’est pas possible de se lever un matin et de devenir championne du monde sans n’avoir rien fait. Cela demande énormément de boulot, de s’en donner les moyens et de croire en soi. Je veux aussi qu’ils sachent que si on échoue, on doit se relever et aller chercher le meilleur. C’est ce qui s’est passé en Coupe du Monde. Quand on perd une demi- finale et que quatre jours après, on doit aller chercher le bronze, c’est super difficile, mais on le fait. Dans la vie, on vit des moments de doute, des échecs, des blessures… Mais il faut continuer à croire en soi.

Assia Hamdi
04.05.2023

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