Gymnastique rythmique, quand les hommes militent pour la mixité
En décembre dernier, le Comité international olympique (CIO) a confirmé que les Jeux de Paris 2024 seraient les premiers à afficher une stricte parité entre les femmes et les hommes, parmi les 10 500 athlètes qualifié·e·s. Pourtant, toutes les disciplines ne seront pas mixtes. Si la tendance est à la féminisation, certain·e·s se battent aussi pour faire exister les hommes dans leur sport.
C’est le cas de la gymnastique rythmique (GR) qui, comme la natation synchronisée, est pour l’heure exclusivement réservée aux femmes. Une discrimination très mal vécue par Peterson Céüs, président de l’association de défense de l’égalité hommes-femmes en gymnastique rythmique GR-ADE, qui milite pour que les athlètes masculins aient les mêmes droits que leurs homologues féminines.
Peterson Céüs a 22 ans. Il pratique la gymnastique rythmique depuis ses 10 ans. Les rubans, les cerceaux, les cordes et autres massues, c’est son truc. En France, comme dans de nombreux pays, il n’existe pas de compétitions exclusivement réservées aux hommes. Ces derniers sont donc contraints de concourir aux côtés des femmes. Au sein de la Fédération française de gymnastique, la catégorie élite ne s’adresse pas aux messieurs. Pour pouvoir pratiquer et s’épanouir, le jeune homme s’est tourné vers la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) et l’Union française des œuvres laïques d’éducation physique (UFOLEP). En 2019, il a été sacré champion national au sein de ces deux fédérations non olympiques et a remporté le championnat masculin espagnol.
Cependant, le Billy Elliott du 21ème siècle voudrait exceller au plus haut niveau international. Il refuse cette situation injuste. « Un garçon ne peut pas entrer dans les structures de haut niveau en GR. Les catégories élites n’existent pas. Il n’y a pas d’aide de l’État ou de reconnaissance dans les établissements scolaires pour envisager des doubles cursus. La promotion est inexistante. Personne n’est au courant que la GR existe pour les garçons », explique l’étudiant en management des organisations sportives.
Le poids des institutions et de l’histoire
C’est au sein de l’URSS que la discipline voit le jour dans les années 1940. En 1948, le premier championnat national soviétique est organisé à Moscou pour les femmes. Dirigée par la Russie entre 1976 et 1996, puis par l’Italie entre 1996 et 2016, la Fédération internationale de gymnastique est depuis présidée par le Japonais Morinari Watanabe. Selon le président de GR-ADE, créée en juillet 2018, le poids de l’histoire et l’archaïsme des institutions expliquent la situation actuelle. « La GR masculine renvoie à l’image traditionnelle de la masculinité. Certains pays n’acceptent pas que les hommes puissent pratiquer ce sport. » Si aucun licencié n’est répertorié au niveau de la Fédération internationale de gymnastique, la Fédération française de gymnastique (FFGym) compte près de 400 licenciés dans ses rangs.
Pour autant, la discipline est présentée comme exclusivement féminine par l’instance. En proposant un championnat exclusivement masculin, la fédération espagnole est l’une des rares à s’être véritablement emparée du sujet et à avoir proposé des évolutions. Interrogée sur la question par Les Sportives, la Fédération française de gymnastique n’a pas souhaité s’exprimer. À l’image de la problématique de féminisation que rencontrent de nombreuses disciplines, c’est tout un cercle vertueux à créer.
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Pour Peterson Céüs, l’immobilisme de la FFGym et des institutions internationales empêche son sport d’éclore. « Ils considèrent que tout doit se faire par le bas. Ce serait d’abord aux garçons ou aux hommes de s’inscrire dans les clubs, de développer des sections, d’appuyer leur volonté au niveau des comités, etc. Mais pour moi, c’est impossible de demander à quelqu’un de s’inscrire dans une discipline qui est promue comme féminine ou qui n’existe pas. »
La GR masculine encore sur la touche des prochaines olympiades
La gymnastique rythmique a intégré le programme des Jeux olympiques pour la première fois en 1984 à Los Angeles. 40 ans plus tard, elle sera présente dans son format originel : sans les hommes. La parité annoncée portera sur le nombre global d’athlètes et non pas sur la répartition par discipline. À Tokyo, 24 sports sur 28 présenteront le même nombre d’athlètes masculins et féminins. Seuls la natation artistique et la gymnastique rythmique (exclusivement féminines), la lutte gréco-romaine et le baseball (exclusivement masculins) ne rempliront pas cet objectif.
Ces exclusions interrogent. « On voulait que le CIO s’inscrive dans cette logique de parité totale, mais nous ne sommes pas décisionnaires sur les orientations sport par sport, explique Aurélie Merle, directrice des compétitions au sein du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024. Ce sont des discussions bilatérales qui ont lieu entre le CIO et les fédérations internationales, basées sur des propositions formulées par ces dernières. Cela a déjà été difficile de travailler avec toutes les fédérations internationales pour réduire le nombre d’athlètes hommes et augmenter la participation des femmes. C’est déjà un changement de mentalité. On a avant tout utilisé Paris 2024 comme coup de projecteur pour promouvoir le sport féminin. »
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Une association pour défendre les droits
Cette mise à l’écart, Peterson Céüs ne veut pas la subir. Bien conscient des enjeux liés au développement de sa discipline, il se mobilise. « Quand on traite de la mixité dans le sport, on ne s’attaque qu’aux femmes. À mon sens, c’est pour cela qu’on ne parle pas du tout de notre problématique », juge t-il. La première campagne d’adhésion de son association a enrôlé 75 licenciés, majoritairement issus de pays étrangers. « On s’est basés là-dessus pour créer un tournoi international à Amsterdam en 2019. Cela nous a permis d’échanger avec le comité organisateur (au Pays-Bas, NDLR) pour comprendre quelles étaient leurs problématiques. » Pour poursuivre son combat et approfondir les raisons de l’absence des hommes dans cette discipline, Peterson Céüs envisage de démarrer une thèse. Mais aussi de créer sa propre marque de justaucorps.
Extrait de l’article « Gymnastique rythmique, quand les hommes militent pour la mixité », issu du magazine n° 18. S’abonner au magazine.
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