Tout comme sa sœur jumelle, Sonia Heckel est atteinte d’un handicap de naissance. Elle enchaîne les phases difficiles au cours de sa jeunesse mais découvre rapidement la boccia, lui permettant de se fixer une ligne directrice. Même si son palmarès n’est encore qu’à ses débuts, elle espère briller aux Jeux de Paris.
Dès ses premiers mots, Sonia Heckel, 33 ans, fait preuve d’humour et de sympathie. Elle naît en Alsace, à Saverne, entourée de cinq frères et sœurs, dont sa jumelle Anaïs. Toutes deux naissent avec une myopathie des ceintures, une maladie musculaire rare d’origine génétique. « La pathologie n’est pas forcément visible car le bébé est valide, explique-t-elle. Au fur et à mesure en grandissant, j’étais plus fatiguée, je marchais sur la pointe des pieds, le dos cambré et je tombais beaucoup. » D’ailleurs, leur médecin pensait qu’elles « grandissaient trop vite ».
À l’école primaire, elle est scolarisée dans une structure valide car elle marche encore et fait même du patin à roulettes. C’est au cours de l’année de 6e qu’elle se dirige vers « un établissement adapté aux personnes en situation de handicap », l’EREA de Flavigny-sur-Moselle (Établissement régional d’enseignement adapté), où elle y suit tout son cursus scolaire. « C’est une maladie évolutive. Même en prenant des précautions, j’allais progressivement perdre ma force. Personne ne peut rien y faire », décrypte-t-elle. À 12 ans, elle perd l’usage de ses jambes. Un drame pour la jeune fille. « D’un coup, je n’ai plus marché ». Les membres supérieurs sont aussi touchés, ce qui impactera sa pratique sportive par la suite.
« Dégourdie et mature »
Au lycée, elle enchaîne un Brevet d’études professionnelles (BEP) secrétariat et une terminale comptabilité. Ces années sont ponctuées par un manque de confiance en elle. « Beaucoup me disaient “tu es handicapée, tu ne feras rien de ta vie”. À force de le rabâcher, c’était compliqué à vivre », assure-t-elle. Assise dans un fauteuil roulant électrique du matin au soir, impossible d’être autonome. Une auxiliaire de vie l’aide dans ses tâches quotidiennes. Toutes ses difficultés, elle les travaille régulièrement avec une préparatrice mentale de l’équipe de France et lors de ses séances de kiné.
Avec sa jumelle, le lien est fort parce qu’elles ont tout affronté ensemble. Le handicap s’étant vite développé, leur maison n’était pas correctement adaptée pour elles dès leurs 15 ans. « Nous ne rentrions plus chez nous le week-end et la semaine, nous devions nous débrouiller toutes seules. » Mais grâce au fait d’être à deux dans la même situation, elles ont pu « s’entraider dans cette galère ». Beaucoup décrivent Sonia Heckel comme « dégourdie et mature ». Une situation loin d’être anodine.
Ce quotidien, elles ont voulu le fuir pour « s’émanciper ». Elles ont emménagé à Nancy, dans leur propre appartement, à quelques pas l’une de l’autre. Mais ce n’est pas le seul point qui les rapproche, il y a aussi le sport. Pourtant, l’histoire avait mal débuté : « Petite, je détestais. Les professeurs d’EPS ne s’adaptaient pas du tout au handicap. Nous faisions la même chose que les autres, c’était très difficile. » Aujourd’hui, elles sont toutes deux championnes de France, en tir à l’arc adapté pour Anaïs et en boccia pour Sonia.
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De la sarbacane à la boccia pour Sonia Heckel
En 2002, en arrivant dans l’établissement adapté, Sonia Heckel découvre le handisport. Du slalom au football fauteuil en passant par le tir à la carabine, elle excellera à la sarbacane, pendant cinq années. « C’est un long tube dans lequel il faut souffler pour que la flèche atteigne la cible. Il était sur un trépied parce que je n’avais pas de force dans les bras. Le sport demande beaucoup de concentration. »
Après l’âge de 20 ans, impossible de continuer la sarbacane en compétition. « Frustrant » pour la jeune fille qui avait « envie d’aller le plus loin possible ». La boccia arrive dans sa vie au détour d’un cours d’EPS, sans réel coup de foudre. « C’était ridicule. Je n’aimais pas du tout. Lancer des balles pour se rapprocher du cochonnet, je n’y voyais pas l’intérêt. » En 2007 est créée la Commission boccia à la Fédération française handisport, avec un besoin de joueurs pour les compétitions internationales. Elle intègre l’équipe de France dans la foulée, en 2009.
La boccia, un sport complet
La boccia, ce n’est pas de la pétanque, mais presque. Seul, par équipe de deux ou de trois, le but est de « rapprocher ses balles le plus près possible du jack, l’équivalent du cochonnet », détaille Sonia Heckel. Rouges d’un côté, bleues de l’autre, plusieurs coups techniques sont possibles, mais « les balles doivent toujours rouler au sol ». Les rouges démarrent. Six balles par équipes. Quatre manches de six minutes. Celui qui marque le plus de points l’emporte. « C’est un sport stratégique », assure la joueuse. Une réflexion qu’elle stimule chez elle avec près d’une « quarantaine de jeux de logique ».
En fonction du handicap, les balles sont lancées à la main, au pied… ou grâce à une rampe maniée par un assistant. C’est le cas de Sonia Heckel depuis qu’elle est passée de la catégorie BC4 à BC3, dû à l’aggravation de sa maladie en 2013. « Mon assistant, c’est mes bras. » Elle donne ses consignes à Florent Brachet, qui n’a pas le droit de parler. « Sur ma rampe, j’ai collé un mètre de ruban sur toute la longueur et je vais lui dire à quel niveau il doit placer la balle pour être le plus précis possible. » Quintuple championne de France BC3 (2015, 2018, 2020, 2022, 2023) et championne d’Europe par équipe en 2019, sa réussite s’explique aussi par le lien qu’ils entretiennent : « Meilleurs amis et colocataires, il me suit depuis longtemps. On se comprend. »
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Objectif Paris après l’échec de Tokyo
Licenciée au Club Handisport de Ludres, elle s’entraîne trois fois par semaine avec pour objectif les Jeux de Paris 2024. Une échéance qu’elle est prête à affronter grâce à son expérience au Japon, en 2021. « J’ai été déçue de ne faire que l’épreuve par équipe. » Le résultat n’a pas aidé : la France est éliminée dès le premier tour.
Son regard est désormais tourné sur 2024. « Je vais rester dans la même lignée : bosser dur. » Si dans un premier temps elle souhaite se qualifier, son objectif à plus long terme est bien plus élevé : « Revenir avec la médaille. »
Le combat s’annonce toutefois déséquilibré : « Les joueurs des pays asiatiques, Corée, Japon, Hong-Kong, s’entraînent 40 heures par semaine, sont rémunérés et ne payent pas leurs compétitions. À côté de moi qui n’en fait que six… », constate Sonia Heckel, réaliste. À cela s’ajoute le manque de médiatisation de ce sport. « Quand j’étais numéro 1 mondial en individuel, il n’y a pas eu un seul article ! », déplore la joueuse de boccia. Pour financer son projet, elle est donc obligée de travailler à côté, à mi-temps, en tant que secrétaire comptable au Vandœuvre Nancy Volley-Ball. Son crédo reste toujours intact. « Je me suis toujours donnée à fond, quelle que soit la compétition. Si on veut quelque chose, il faut se battre constamment. »
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