« La sportive est quasi absente des écrans de cinéma »
"La sportive est quasi absente des écrans de cinéma"
Julien Camy est journaliste, cinéaste, documentariste et co-auteur de l’encyclopédie Sport & cinéma (2016) aux éditions Du Bailli De Suffren, une véritable bible pour tous les passionnés de sport et du 7e art. L’occasion de parler de la place de la sportive au cinéma et d’avoir quelques bonnes suggestions de films.
L’encyclopédie Sport & cinéma répertorie plus de 1500 titres et 60 disciplines. Comment est né ce projet assez fou ?
Le projet date de 2006, 10 ans avant que le livre ne sorte en librairie. Avec mon père, nous sommes deux passionnés de sport et de cinéma, nous l’avons étudié à l’Université et nous sommes des sportifs amateurs. Depuis toujours, nous étions partagés entre l’idée d’aller au stade ou dans une salle de cinéma. Cette encyclopédie est donc le fruit de la réunion de nos deux passions. Nous nous sommes limités à la fiction car elle permet aux sportifs amateurs que nous sommes, de ressentir et de vivre ce que les professionnels ressentent lors d’un événement. Ce livre avait aussi pour objectif de montrer qu’il existe de très bons films de sports et qu’il est un bon sujet pour le cinéma. Il peut être beau et nous dire des choses sur la société. Pendant trop longtemps, en France, le sport a été déconsidéré par les élites. Il était inenvisageable d’être sportif et intellectuel, car la culture ne pouvait pas transpirer. C’est sans doute ce côté corporel de la transpiration qui devait renvoyer au dégoût… et peut-être aussi le côté primaire de la compétition. C’est typiquement français car aux Etats-Unis, la place du sportif est importante, le sport fait partie de la culture et de l’éducation des élites américaines dans les lycées, universités et grandes écoles… Heureusement, cela a changé depuis une dizaine d’années.
Quelle est la place de la sportive dans l’histoire du cinéma ?
Elle est à l’image de sa présence dans les médias, très faible. Au début du cinéma, elle est même absente. Cela reflète l’époque. Si vous relisez les textes de Pierre de Coubertin ou de Henri Desgrange, une femme ne devrait pas faire de sport, car c’est incongru et disgracieux… Ainsi les premiers personnages féminins sont juste des faire-valoir du sportif, elles sont le trophée à remporter, comme dans les films de Buster Keaton ou Harold Lloyd. Les deux premiers films importants que nous avons retrouvé sur une sportive datent des années 1930. Le premier, Madame et ses partenaires (1930) est l’œuvre de Leo McCarey, grand réalisateur de l’âge d’or hollywoodien notamment de comédies. Il y est question d’une femme, qui, délaissée par son mari, se met au golf et acquiert très vite un niveau professionnel. L’avenir du couple se jouera sur le green. Le deuxième film est plus rare et méconnu, il s’agit de Queen of sports (1934) de Yu Sun, sur une sprinteuse qui devient une star et un objet de propagande… A la fin elle se marie et devient une femme au foyer. Il faut rappeler que ce film date de 1934 et sort en Chine donc…nous ne sommes pas dans la transgression. Des années 30 à 50, il y a quelques films sur des sportives dans le but d’attirer un public plus féminin au cinéma. Je pense à des teenage movies comme 8 Mädels im Boot de Erich Waschneck (1932) sur l’aviron, mais il ne faut pas se voiler la face, l’objectif était aussi d’attirer les hommes en montrant des jeunes filles en maillot de bain. Je pense aussi à Jeu, set et match de la réalisatrice Ida Lupino (1951) sur une tenniswoman jouée par Claire Trevor. Dans les deux cas, les sportives essaient d’atteindre le meilleur niveau de leur sport mais sans velléité d’émancipation ou de revendication de droits.
A quelle période la sportive est un peu plus présente à l’écran ?
A partir des années 80, on trouve à nouveau quelques films de temps en temps mais on ne peut pas parler d’une dynamique, il faut quand même noter la sortie de Personal Best de Robert Town (1982), et d’Une équipe hors du commun de Penny Marshall (1992) avec Tom Hanks, Geena Davis et Madonna. Il faut vraiment attendre les années 2000 pour voir plus de films sur des sportives. Ils se partagent entre le teenage movie, le film historique et le film engagé sur l’émancipation et l’égalité des droits. Je pense notamment à Girlfight de Karyn Kusama (2000), l’un des premiers films sur une boxeuse, de mon point de vue bien plus fort que Million Dollar Baby de Clint Eastwood (2004), car il y a une vision plus féminine et féministe de la boxe sans l’aspect paternaliste. Sur le football, il y a Joue-la comme Beckham de Gurinder Chadha (2002) qui marqua les esprits et une génération, ou encore un film moins connu, Gracie de Davis Guggenheim (2007). Aujourd’hui, les sportives sont plus présentes sur les écrans mais j’ai l’impression qu’en France, les films qui sortent se focalisent beaucoup sur la question des droits. Comme des garçons et Une belle équipe en sont les derniers exemples. On voit peu de films sur la pratique féminine, du sport pour le sport comme en Angleterre avec Fastgirls (2014) ou au Canada avec Sarah préfère la course (2013). Cela me semble assez révélateur de sa place dans notre société. Nous n’avons pas encore dépassé ce stade. C’est bien mais ce n’est pas suffisant. C’est aussi une logique commerciale. En axant sur ces sujets, on dépasse le cadre du sport et les producteurs espèrent attirer un public plus large. Dans d’autres pays, on utilise encore la sportive pour son corps dans le but d’attirer un public masculin, je pense notamment à Beach Spike (2011) un film Hongkongais sur le Beach volley où le réalisateur enchaîne les gros plans sur les sportives en bikini. J’ai l’impression qu’en France, on ne fait pas ce genre de films et tant mieux !
Certains sports sont-ils plus représentés ?
Oui. L’athlétisme, la boxe, le tennis et la gym sont les plus représentés. Dans les années 50, il y a eu une série de films-ballets aquatiques avec Esther Williams, une ancienne championne de natation partie à Hollywood pour devenir actrice.
Quels sont les films à voir absolument ?
Je vais me concentrer sur des films que tout le monde pourra trouver plus facilement que le film chinois de 1934. Mademoiselle Gagne-Tout de George Cukor (1952) car Katharine Hepburn est une grande actrice et qu’elle a toujours revendiqué l’égalité homme-femme dans la société et plus particulièrement à Hollywood. J’ai déjà évoqué Girlfight mais je vous le conseille. La Petite Reine d’Alexis Durand-Brault (2014). Il s’agit d’une adaptation d’histoire vraie qui raconte le parcours d’une cycliste dopée. Un film extraordinaire sur la psychologie de l’athlète qui se dope et sur un corps maltraité. C’est sans doute l’un des meilleurs films sur le dopage. Comme je suis athlète, je vais choisir Personal Best de Robert Towne (1982) pour ses scènes d’athlétisme mais aussi parce qu’il s’agit d’un des rares films à avoir mis en avant une relation amoureuse entre deux sportives. Bliss de Drew Barrymore (2009) est un joli film qui réussit à lier la question de l’adolescence et du roller derby comme parabole de la vie. On prend des coups mais on se relève à chaque fois ! Et pour terminer, le film iranien Hors-jeu de Jafar Panahi (2006) car il évoque le sport sans le montrer. Nous avons parlé de la difficulté d’accès des femmes à la pratique sportive mais la question de l’égalité n’est pas que sur le terrain, elle l’est aussi dans l’accès aux tribunes.
Récemment le cinéma a influencé le sport grâce au mouvement metoo permettant la libération de la parole dans plusieurs milieux.
La libération de la parole était nécessaire et j’espère qu’elle fera changer les choses. Cependant je ne me souviens pas d’un film qui ait osé aborder la question du viol dans le milieu sportif. Soit parce que le sujet n’était pas connu mais ça j’en doute, soit parce qu’il se passait la même chose dans le milieu du cinéma. Mais à mon avis, avec la libération de cette parole, des réalisateurs devraient prochainement s’emparer du sujet.
Propos recueillis par Julien Legalle
Extrait du numéro 15 Les Sportives
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