À la rencontre des sportives

« Le cyclisme théorique et pratique en 1893 » un ouvrage de Jean-Demain Lesay

La place des femmes dans le cyclisme est importante à l'époque, au point que l'auteur lui consacre un chapitre entier.

Julien Legalle
15.09.2018

En 2017, les éditions Chistera sont nées de « l’envie inassouvie de deux passionnés de sport, d’histoire et de livres de disposer d’un fonds éditorial abordant les grandes questions liées au sport des origines à nos jours ». Rencontre avec Jean-Damien Lesay, auteur, journaliste et co-fondateur, pour évoquer la réédition du livre passionnant de Louis Baudry de Saunier Le cyclisme théorique et pratique en 1893.

 

Que représente ce livre pour le sport français ?

Ecrit par Louis Baudry de Saunier, un journaliste passionné de cyclisme et de sports mécaniques, ce livre est un ouvrage-clé dans la littérature sportive. D’un point de vue formel, il est le premier à parler de cyclisme, et non plus de vélocipédie. En effet, un an avant sa publication, on vient d’inventer la bicyclette que nous connaissons aujourd’hui. Auparavant, les gens roulaient sur de drôles d’engins parfois très dangereux, comme le grand-bi. La bicyclette a été une révolution et ce livre est le premier à en rendre compte. Par ailleurs, il a été écrit à une époque où l’univers cycliste se met en place : courses sur route et sur piste, constructions de vélodromes, législation routière propre aux vélos, etc. Nous avons choisi de le rééditer pour rendre compte de l’évolution du vélo après un siècle de développement. En effet, les premiers engins à  deux roues et à  propulsion humaine dataient de la Révolution : célérifère, draisienne, etc. C’est donc un témoignage unique, d’une grande richesse. Seuls quelques exemplaires de l’édition originale circulent encore, à un prix prohibitif. Etant donné qu’il s’agit d’un livre incontournable, il nous a paru intéressant d’en faire profiter le plus grand nombre pour un prix abordable.

Avez-vous publié l’intégralité du texte ?

Nous avons édité environ la moitié de l’édition originale, qui comptait près de six cents pages. Nous avons choisi d’enlever de très longs développements sur la mécanique, les différents matériaux utilisés dans la fabrication des pneumatiques, les types de boulons et écrous employés, etc. Cet ouvrage apporte en effet des éclairages sur tout ce qui concerne le cyclisme de l’époque de près… et parfois de plus loin.

Quels regards portent les hommes de l’époque sur « les femmes en cycle » ?

La place des femmes dans le cyclisme est importante à l’époque, au point que l’auteur lui consacre un chapitre entier. Comme toute activité sportive de cette période, le cyclisme suscite des interrogations quant à la place des femmes. L’approche de l’auteur est assez libérale en la matière. S’il fait état des réticences de certains hommes à l’époque, notamment dans le corps médical, lui se montre tout à fait favorable aux femmes à vélo. Cette position n’en fait tout de même pas un féministe avant l’heure.

Pour l’auteur, la femme a une place bien précise à vélo : celle de compagne de l’homme dans une pratique de loisir. Il ne conseille pas aux femmes de se livrer aux courses. Pourtant, son livre décrit des courses sur piste qui sont alors organisées en France. Celles-ci ne sont pourtant pas prises au sérieux. A de rares exceptions près, les femmes coureuses cyclistes sont plus vues comme des phénomènes de foire, présentes pour distraire les spectateurs entre deux courses masculines.

Contrairement au football, comment expliquez-vous qu’aujourd’hui le cyclisme au féminin ait du mal à exister médiatiquement jusqu’à menacer certaines épreuves ?

Je n’ai pas d’explication ! Je pense toutefois que nous sommes face à un cercle vicieux : manque de grandes épreuves, manque de médiatisation, manque de grandes championnes, manque de pratique féminine à la base… manque de moyens financiers pour créer de grandes épreuves, etc. : tout cela est lié. Où se situe la carence d’origine ? Par quel bout commencer pour entraîner un cercle vertueux ? Je ne le sais pas. Le paradoxe est que des épreuves féminines de plus grande ampleur ont existé jadis. Nos avons donc régressé, et c’est ce qui me paraît le plus problématique. Toutefois, pour en avoir discuté récemment avec certaines entreprises bien placées, comme la FDJ, il y a une réelle volonté de faire progresser le cyclisme féminin de haut niveau. Soyons optimistes… et patients !

« Les sportives ont dans l’édition la place qu’elles ont dans le sport-spectacle en général : une petite part. »

Vous connaissez le monde de l’édition depuis plusieurs années, que pensez-vous de la place des sportives dans le monde éditorial ?

Les sportives ont dans l’édition la place qu’elles ont dans le sport-spectacle en général : une petite part. L’édition de sport est un secteur restreint où l’on concentre ses forces dans les domaines les plus porteurs : football, rugby, cyclisme, formule 1… autant de sports où les hommes se taillent la part du lion. Ce n’est pas un manque de volonté de la part des éditeurs. Certaines championnes, mais aussi des auteures, nous donnent bien évidemment très envie de travailler avec elles !

En tant qu’éditeur, avez-vous prévu de mettre en valeur les sportives dans vos futures publications ?

Chistera prépare la sortie en octobre d’un livre formidable : le témoignage de Marion Delas, une jeune athlète exceptionnelle qui a réinventé sa vie à travers le sport pour se mettre au service des autres. Et bien entendu, la Coupe du monde féminine qui aura lieu en France en 2019 va susciter de nombreuses publications où les femmes seront à l’honneur. Nous sommes en pourparlers actuellement avec deux femmes qui font un super boulot pour faire connaître et aimer le foot au féminin. Nous espérons que cela débouchera sur un très beau livre en 2019 !

 

Propos recueillis par Julien Legalle

Entretien tiré du numéro 9 Les Sportives

Julien Legalle
15.09.2018

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