Liv Sansoz : « En Alpinisme, les cordées féminines ont une toute autre saveur »
Liv Sansoz, grimpeuse et alpiniste, passe sa vie à escalader les plus hauts sommets d’Europe. Elle fait partie de ces femmes qui s’imposent dans un milieu qui a toujours été plus masculin. Née dans les montagnes, elle est aussi une témoin du changement climatique qui impacte directement sa passion. Rencontre.
Liv Sansoz aime ses Alpes plus que n’importe quel massif, y compris ceux qui s’élèvent plus haut, comme l’Himalaya ou les Andes. Née en 1977 à Bourg-Saint-Maurice, elle commence par l’escalade et participe à des grandes compétitions dès ses 16 ans. Elle devient double championne du monde dans l’épreuve de difficulté. Aujourd’hui la Savoyarde se concentre principalement sur l’alpinisme, où elle est devenue une référence.
En 2017, vous commencez une expédition de 18 mois pour l’ascension des 82 sommets des Alpes à plus de 4 000 m. Comment est né ce projet ?
L’idée était là depuis un petit moment. Quand on est dans la montagne on en entend parler souvent. Puis j’ai connu une période de blessures pendant 5-6 avec une à deux fractures par an. Vers la fin je me suis dit que je devais sortir de cette mauvaise spirale. Faire un projet qui me tienne à cœur, qui soit ambitieux à la maison, c’était aussi l’occasion de montrer qu’on peut vivre une aventure incroyable sans aller à l’autre bout du monde. Je me suis dit que je devais me lancer un beau challenge et j’ai pensé à ces 4 000 m. Donc pendant 9 mois, j’ai préparé ce projet (le plus long de sa carrière, NDLR), physiquement avec un coach sportif, logistiquement le choix des amis qui allaient m’accompagner. L’année venue je me suis lancée. Je suis satisfaite d’avoir réussi cette expédition mais surtout transformée, comme sur chaque projet de longue durée.
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Les Alpes ont une place particulière pour vous, même si ce ne sont pas les montagnes les plus hautes. Pourquoi ?
Les Alpes restent des montagnes magnifiques, très accessibles. Je rentre juste du Népal et c’est vrai que là-bas il faut déjà une semaine de trek pour arriver aux camps de base. Alors qu’ici on est très vite au cœur des glaciers, de belles montagnes et on peut faire de l’alpinisme à la journée ou sur deux journées. C’est une chance incroyable. Et on a quand même des faces techniques, d’autres plus faciles. Il y a une variété qui fait que les Alpes restent un terrain magique, incroyable et presque illimité.
Vous êtes une figure de l’alpinisme, mais on a encore l’impression qu’il y a peu de femmes dans ce domaine…
On voit de plus en plus de femmes. Je pense juste que l’accès à la montagne est plus compliqué pour elles. D’abord, celles qui sont mamans ont souvent du mal à laisser leurs enfants, et ça demande de l’organisation. Et parfois les femmes peuvent avoir souvent plus de problèmes pour trouver un ou une compagnon de cordée. Puis un homme va se lancer tout de suite dans quelque chose de difficile alors que nous on va y aller petit à petit. On va se dire que c’est trop dur alors qu’on a dix fois le niveau. Il y a une sorte d’autocensure. Elles se mettent plus facilement des barrières et doutent plus vite de leurs capacités. Mais j’aime beaucoup les cordées féminines, ça a une toute autre saveur !
Il y a un réseau d’alpinistes féminines ?
Je vis à Chamonix, qui est un peu la capitale mondiale de l’alpinisme donc ça rassemble beaucoup de femmes. Il y a aussi un certain nombre de femmes guides. On a un groupe WhatsApp, on s’entend bien. C’est une belle communauté de femmes avec des belles valeurs et un vrai soutien entre nous. Moi j’adore partager des ascensions ou des descentes à ski avec d’autres femmes. C’est super enrichissant et émotionnellement c’est vraiment différent, ça a une autre texture.
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Est-ce que certaines se sentent plus décomplexées et moins jugées sur des cordées féminines ?
Complètement, c’est pour ça que les groupes 100 % féminins marchent très bien. Dans un groupe qui part en ascension, elles vont se soutenir, elles ne vont pas se juger sur le rythme ou sur la capacité à grimper ou à avancer sur la voie. Ils aident à prendre confiance. S’il y a un problème on est là les unes pour les autres. C’est la même chose avec une cordée mixte : si un des deux va moins bien ou a un doute, l’autre prend le relais. Mais les groupes 100 % féminins sont souvent plus légers, plus simples pour la plupart. Même si je pense qu’il ne faut pas les systématiser, la mixité apporte beaucoup à tout le monde. Moi-même quand je suis dans un groupe avec des hommes ça me booste, ils sont plus agressifs, plus incisifs. Ils y vont d’une autre façon que nous. Un peu plus au combat, alors que nous on va faire attention, on va calculer.
Une autre cause vous tient à cœur, l’écologie, avec notamment votre engagement à POW (association Protect Our Winters).
On est dans un moment-clé parce qu’il y a une plus grande prise de conscience de tout le monde, notamment avec les réseaux sociaux. Et puis avec tout ce qui se passe, les bouleversements climatiques sont visibles par tout le monde. Tout s’accélère depuis longtemps. Ça fait bien plus de dix ans que je me dis qu’il faut qu’on fasse plus attention à nos déplacements, à comment on mange, acheter plus intelligemment. Mais je pense que maintenant il y a besoin de décisions radicales qui soient prises au niveau mondial, du gouvernement, des grosses entreprises pour qu’on ralentisse les bouleversements climatiques qu’on connaît. On ne va pas à arriver à inverser la tendance, mais il faut déjà la ralentir. On va dans une direction qui n’est pas la bonne, et on y va de plus en plus vite…
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Vous êtes au contact de la montagne en permanence, le dérèglement climatique y est vraiment visible ?
Les changements sont juste évidents. En montagne l’évolution est visible depuis longtemps. Les Alpes sont très sensibles au réchauffement. Le plus marquant ce sont les glaciers qui fondent à vue d’œil. En une dizaine d’année, la Mer de Glace (plus grand glacier de France) s’est déjà tellement transformée, elle a tellement diminué. On voit aussi des hivers beaucoup plus secs et des étés plus caniculaires. Se retrouver en haut du Mont Blanc, à 4 800m d’altitude avec 0 °C, ce n’est pas possible. Avant on y était tout le temps avec des vêtements chauds. On a aussi tous ces problèmes d’éboulements massifs. Comme il fait plus chaud, le permafrost fond, il n’y a plus de cohésion entre deux feuilles de granite et il y a des pans entiers de montagne qui se détachent et qui tombent.
Justement, avez-vous changé votre manière de faire de l’alpinisme pour ne pas contribuer davantage au changement climatique par votre pratique ?
Je me limite vraiment dans mes déplacements. Cet automne je suis partie au Népal, c’est la première fois. Je n’ai pas du tout pris l’avion pendant trois ou quatre ans. Et on va s’adapter, on est déjà en train de le faire. Il y a des ascensions qu’on faisait en septembre avant et maintenant elles deviennent trop dangereuses à partir du 15 juillet. Donc on part plutôt en juin. Des ascensions qui étaient plutôt d’été, maintenant on va les faire en hiver quand il a pas neigé depuis longtemps et que le ski est trop compliqué en haute altitude. Et on va sûrement proposer plus d’escalade, plus bas, au mois d’août quand toutes les faces s’écroulent.
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