Marie-Amélie Le Fur : « Les sportives n’existent pas moins avec leur handicap »

Marie-Amélie Le Fur, ancienne championne paralympique d’athlétisme, est présidente du Comité paralympique et sportif français, depuis 2018. À un an des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, elle est revenue sur son rapport au handicap, les problématiques de médiatisation des athlètes féminines invalides et les apports des Jeux pour les personnes en situation de handicap. Entretien.

Les sportives : Qu’est-ce qui vous a amené à prendre la tête de ce comité ?

Marie-Amélie Le Fur : En 2018, Emmanuelle Assmann [ndlr : présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) de 2013 à 2018] souhaitait que je puisse la succéder. J’étais alors présidente du Comité départemental handisport du Loir-et-Cher (41) et j’estimais que ce n’était pas le bon moment dans ma vie personnelle et sportive et que je n’en avais pas les compétences. Finalement, j’ai décidé de me présenter. Cette aventure perdure depuis quatre ans et la même conviction m’anime : celle que le sport est un véritable levier pour les personnes en situation de handicap.

En quoi le sport a été un moteur pour vous ?

Le handicap m’est tombé dessus très jeune [ndlr : accident de scooter à 16 ans]. Le sport m’a aidé à garder confiance en moi, à exister et à rayonner par autre chose que le handicap. Il m’a permis d’appréhender mon nouveau corps et de me sentir libre. Le sport peut aussi être un levier social par les rencontres et les confrontations à l’autre. Il peut contribuer au changement de regard sur la situation de handicap, souvent connotée négativement. Généralement, c’est l’invalidité de l’athlète qui est visible et pas la manière dont le corps et l’esprit se sont adaptés à cette épreuve. Lors des Jeux paralympiques, les gestes techniques et les performances sont aux avant-plans. Le handicap devient une singularité des athlètes.

Qu’en est-il du sport pour les personnes en situation de handicap en France ?

La pratique sportive reste marginale, peu connue et reconnue. C’est un diagnostic qui n’est pas réjouissant, je vous l’accorde, mais il est en grande évolution. Elle a augmenté et s’est mieux structurée ces dix dernières années. Mais, nous sommes encore loin d’une pratique massive des personnes en situation de handicap.

 À lire aussi : Football : Le FASS, club tourangeau finaliste du Prix Sensationnelles

Pour quelles raisons ?

L’énergie communicative de Marie-Amélie Le Fur. ©Marie Lopez-Vivanco

Une personne qui veut se lancer dans le handisport est confrontée à des freins. Beaucoup pensent que sport et handicap ne sont pas conciliables, et le corps médical ne les encourage pas et ne les guide pas toujours vers une pratique sportive. Des freins de mobilité, d’accessibilité, de coûts matériels ou humains peuvent s’ajouter à ces difficultés. Il y a aussi un déficit d’accès à l’information pour ces personnes. Elles ne savent pas quel sport est accessible à leur handicap ni où le pratiquer. Notre tissu associatif est peu structuré. Peu de clubs ont la capacité d’accueillir des personnes en situation de handicap. C’est pourquoi, il y a deux ans, le comité paralympique a lancé une formation à destination des clubs pour déstigmatiser cette peur et leur offrir la possibilité de choisir une activité adaptée et à proximité de chez elles.

N’y a-t-il pas un problème de médiatisation également ?

Totalement. Le sport paralympique n’existe que tous les deux ans : lors des Jeux d’été et des Jeux d’hiver. Mais entre ces périodes-là, les sportifs sont peu visibles, que ce soit leurs entraînements, leurs compétitions ou leurs parcours de vie. Les Français ont peur d’être confrontés au handicap, certains éprouvent même de la pitié.

Comment faire pour y remédier ?

Il y a un travail d’éducation à faire auprès des Français, en association avec les médias pour plus et mieux parler du parasport, avec une ligne éditoriale davantage tournée sur la performance. C’est ce qui parle aux Français. En partenariat avec Paris 2024, le CPSF rassemble les médias, à travers des workshops, pour leur permettre de découvrir et faire découvrir le mouvement paralympique : les disciplines, les classifications et les sportifs.

À lire aussi : Faustine Noël, une vie à organiser pour le parabadminton

Y-a-t-il des parallèles entre médiatisation du sport au féminin et handisport ?

Il y a énormément de parallèles. De nombreuses pistes engagées pour développer le sport féminin peuvent être transposées au handisport. Par exemple, chaque année se déroule une semaine consacrée au sport féminin dans les médias [ndlr : l’opération « Sport féminin toujours »] ; et bien le parasport a la même semaine, « Jouons ensemble ».

Les femmes sont-elles également moins médiatisées que les hommes dans le handisport ?

Il n’y a pas de double peine. Le mouvement paralympique est tellement peu médiatisé, que les femmes n’existent pas moins avec leur handicap. Pour ma part, je ne me suis jamais sentie moins médiatisée que mes homologues masculins paralympiques. Par contre, les femmes sont moins nombreuses. Lors des derniers Jeux d’été, il n’y avait qu’un quart de femmes dans l’équipe de France et sur les Jeux d’hiver, elles n’étaient que 2 sur les 19 athlètes. Vous imaginez, seulement 10 %. Cela entraîne un vrai déficit de la pratique sportive des jeunes filles invalides. Pour les ramener vers le sport, il faut jouer sur la notion de rôle modèle à travers leur médiatisation.

Comment faire pour qu’elles soient plus nombreuses à participer aux prochains Jeux ?

Sur un temps aussi court, c’est compliqué de préparer une athlète. D’autant que le niveau paralympique actuel demande un plus haut degré d’exigence. Le programme « La Relève » permet de détecter les talents paralympiques de demain. Nous avons l’assurance qu’il y aura quelques sportifs de ce programme à Paris 2024. Par exemple, Erika Sauzeau, issue de la première édition du programme en 2019 a été médaillée de bronze en para-aviron à Tokyo. Ce sont des talents que nous pouvons capitaliser pour les jeux de 2026 et de 2028. Avant, le sport paralympique était mis de côté et n’était pas financé par l’État. La France avait donc dégringolé dans ses performances au niveau international. L’accueil des Jeux à Paris incite la réussite de nos athlètes, donc les aides gouvernementales et des fédérations se sont nettement renforcées.

À lire aussi : Annie Fortems, une pionnière engagée témoin de l’évolution du football

En tant que présidente du CPSF, qu’attendez-vous des Jeux de 2024 ?

D’abord, le soutien des Français aux athlètes et le rayonnement de l’équipe de France. C’est absolument essentiel. J’ai envie de voir le même engouement que lors des Jeux de Londres. Le public britannique était connaisseur du mouvement paralympique, des sports et des athlètes, ce qui a offert au monde entier une expérience et des images extraordinaires : un engagement physique hors-norme des athlètes, des émotions, un réel supplément d’âme ! Ensuite, l’accès au sport pour toutes et tous. Lutter contre la sédentarité et l’inactivité physique est un enjeu de santé publique, surtout pour les personnes en situation de handicap. Il faudrait augmenter le nombre de clubs et diminuer le reste à charge pour les familles aussi bien sur l’accompagnement financier que matériel.

En tant que Présidente, quelles sont vos responsabilités dans l’organisation des Jeux ?

Organiser les conditions logistiques autour de la délégation et mettre nos athlètes dans les meilleures conditions de performance, surtout avec l’avantage que les Jeux soient à la maison. Nous travaillons avec Paris 2024 sur la dimension de l’héritage de l’évènement : faire évoluer le regard et la place des personnes en situation de handicap dans notre société.

À lire aussi : Astrid Guyart, le couteau suisse à l’emploi du temps très cadré

Contrairement aux Jeux olympiques, les Jeux paralympiques ne seront pas paritaires. Comment l’expliquer ?

Il ne peut y avoir de parité parce qu’il n’y a pas la densité d’athlètes ni le haut niveau requis. Le Comité paralympique international y veille, étapes par étapes. Il renforce la pratique sportive féminine sur différents sports et une fois qu’une discipline atteint un niveau de maturité suffisant, elle peut entrer aux Jeux paralympiques. Le nombre d’athlètes participant est aussi limité [ndlr : 4 400 à Paris], donc il est difficile de développer de nouvelles disciplines et d’ouvrir de nouvelles catégories. Pour ajouter une catégorie féminine dans une discipline, il faut fermer une catégorie masculine. Il faut ainsi jouer sur cet équilibre pour tendre vers la parité.

Quel regard portez-vous sur le faible nombre de présidentes de fédérations sportives ?

La féminisation des instances sportives est très importante car la part d’hommes est plus que majoritaire. Tout cela prend du temps parce que c’est un modèle durablement ancré. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) travaille sur différents programmes pour amener les femmes dans des fonctions dirigeantes. En effet, elles offrent un regard nouveau. Mais attention, c’est un processus de montée en compétences. L’idée n’est pas de parachuter une femme à la tête d’une de fédération parce que ce serait la mettre en difficulté. Un autre enjeu primordial pour la gouvernance des institutions : avoir plus de personnes en situation de handicap.

Selon vous, comment les Jeux vont être suivis ?

J’ai véritablement envie d’être optimiste parce que les médias ont envie de faire bouger les choses. Il y a de plus en plus de reportages sur le sport paralympique et les Français commencent à mieux le connaître. La première journée paralympique à Bastille [ndlr : le 8 octobre 2022] a eu un très bel engouement. Le public est venu découvrir les disciplines paralympiques et nos sportifs de haut niveau. Ce sont des marqueurs qui nous laissent dire que, petit à petit, les Français apprécient les sports paralympiques. J’espère qu’il y aura cette même ferveur populaire pour 2024. 

À lire aussi : Magda Wiet-Hénin, en forme olympique

Avez-vous hâte de voir la cérémonie d’ouverture sur la Concorde ?

(Rire) Est-ce que j’ai hâte ? Si je dis oui, cela voudrait dire que nous y sommes déjà. Je veux que les sportifs aient le temps de se préparer quand même ! Mais oui, bien évidemment. Tout le monde a hâte. Le concept est exceptionnel. C’est la première fois que les cérémonies olympiques et paralympiques sortent du stade pour aller à la rencontre du grand public.

Les Jeux de 2024 en un mot ?

Difficile comme question ! Un mot ? … Catalyseur. C’est ce que nous vivons au sein du mouvement paralympique. L’accueil des Jeux en 2024 est un catalyseur d’énergie et d’engagement sur la haute performance mais aussi dans l’accès aux sports de toutes et tous, grâce aux différents acteurs. J’ai bon espoir que cet “effet Jeux” ne dure pas qu’un seul mois, mais qu’il s’ancre dans l’ADN des Français. J’espère qu’à l’issue des Jeux, nous pourrons nous dire : « Waouh, quel chemin parcouru. »

À lire aussi : Neptunes de Nantes : une mutualisation pour plus de moyens

Crédit photo : Marie Lopez-Vivenco