Maryse Éwanjé-Épée autrice Révolte
À la rencontre des sportives

Maryse Ewanjé-Epée “ J’ai sélectionné les sportives et sportifs qui  m’ont inspirée et m’inspirent encore dans mon engagement !”

Julien Legalle
05.04.2020

Après un précédent livre sur Jesse Owens, Maryse Éwanjé-Épée, ancienne championne de saut en hauteur aujourd’hui journaliste, revient en librairie avec « Révolte ! » chez Hugo Image. Un hommage militant à 29 rebelles du sport qui ont sacrifié leur réussite sportive pour une cause plus grande, la lutte contre la ségrégation, le nazisme et le sexisme ! Entretien.

 

« Révolte » était-il la suite logique de votre livre sur Jesse Owens ?

Pas forcément. C’est une proposition de Mathieu Lauverjat, éditeur chez Hugo et Cie. Nous entendions de plus en plus parler du mouvement « Black Lives Matter », qui se mobilise depuis 2013 contre la violence ainsi que le racisme envers les noirs, et de Peter Norman, le troisième homme sur le podium de Mexico en 1968. J’abordais ces sujets dans les médias et Mathieu voulait un livre sur le rôle des sportifs dans le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Je trouvais le sujet trop restrictif donc j’ai proposé d’élargir au militantisme sportif en mettant en lumière les grandes figures du sport qui se sont battues politiquement. Je voulais montrer que malgré ce que l’on pense en France, le sportif n’est pas qu’une paire de jambes.

Vous avez sélectionné 29 athlètes. Quels ont été vos critères ?  

L’éditeur m’a laissé une totale liberté donc j’ai sélectionné les sportives et sportifs qui  m’ont inspirée et m’inspirent encore dans mon engagement ! Elle est totalement subjective car ce sont mes idoles. J’ai donné une plus grande place aux sportifs moins connus et réduit celle des grandes stars comme Mohamed Ali  ou Jesse Owens, sur lesquels on peut trouver de nombreux livres. J’aurais pu mettre Serena Williams ou Lebron James, mais pour l’instant ils ne m’inspirent pas. Je pense qu’ils ne sont pas encore totalement engagés et pas encore complétement sincères dans leur démarche.

 

« Il y a une infime partie de la population qui s’engage,  donc dans  le monde sportif, il y a un faible pourcentage d’engagés. L’égoïsme n’est pas réservé aux sportifs, il touche toute la société. »

Révolte livre de Maryse Éwanjé-ÉpéeQuelle est la sportive qui vous a le plus inspirée ?

J’admirais les sauteuses en hauteur Sara Simeoni et Ulrike Meyfarth. Ce sont les idoles de mon sport mais pas de mon engagement militant. Lorsque j’étais jeune, ce ne sont pas forcément les femmes qui m’ont inspirée car le sport féminin avait peu de place. Je m’en suis rendue compte plus tard. C’est sans doute pour cela que je suis devenue féministe. Je n’avais pas de modèle féminin. Je me les suis créés au fil de ma vie. Bobbi Gibb m’a fait rêver. Une fille sublime, une « hippie »  de la course à pied… la première femme à courir un marathon. C’était à Boston en 1966, un an avant Kathrine Switzer !  

Quand j’ai découvert l’existence et l’histoire de ces femmes, je me suis dit qu’on avait oublié l’histoire du sport féminin. C’est pourquoi j’ai laissé une grande place aux sportives : Bessie Stringfield, Toni Stone, Alice Coachman, Hassiba Boulmerka… Ces choix ne sont pas vraiment objectifs car il y avait plus de stars masculines que féminines, tout simplement car le sport féminin n’était pas médiatisé, la vie et l’histoire de ces femmes étaient beaucoup moins connues. Elles apparaissent avec l’étiquette « badass woman » car il fallait avoir un sacré culot pour arriver à laisser une trace aussi bien sportivement que dans le militantisme. Elles m’ont beaucoup inspirée. C’est aussi pour les remettre en lumière, car je ne suis pas sûre que leur nom soit connu aujourd’hui… A part Billie Jean King, et encore pas en France. Le combat n’est pas fini, car on voit que les femmes ne sont pas encore assez mises en avant dans l’histoire du sport comme dans les cérémonies de remises de prix mixtes…

On reproche souvent aux sportifs et sportives d’être trop langue de bois afin d’éviter tout scandale médiatique. A votre avis, qu’est-ce qui a déclenché chez ces athlètes cette envie de défendre une cause plus grande que leur carrière sportive ? 

Les sportifs reflètent notre société. Il y a une infime partie de la population qui s’engage,  donc dans  le monde sportif, il y a un faible pourcentage d’engagés. L’égoïsme n’est pas réservé aux sportifs, il touche toute la société. Ils sont tournés vers leur carrière, leur réussite comme un certain nombre de citoyens sont tournés vers leur confort et leur bien-être. La générosité et le regard sur l’autre ne s’acquièrent pas si facilement. L’engagement est à la fois très personnel et très difficile. Il faut un vrai courage et une vraie force.

Au XXème siècle, des athlètes se sont mobilisés à un moment de leur carrière car ils vivaient dans une époque où la discrimination était tellement forte, qu’ils ne pouvaient pas se taire. Malheureusement, j’ai l’impression qu’ actuellement nous revenons à une période similaire. D’où les prises de position de certains athlètes. Il y a des injustices donc on retrouve des clans qui s’opposent.  Ce qui me chagrine, c’est qu’en France, sous prétexte que l’on soit artiste ou sportif, on n’a pas le droit d’être engagé. Sous prétexte que certains sont riches,  on n’est pas légitime ni crédible. D’autant qu’en France, on oppose sans arrêt l’intellect et le physique donc on a tendance à considérer le sportif comme un crétin. On le voit encore trop souvent dans les représentations, qu’elles soient à la télévision, au cinéma ou sur les réseaux sociaux, le prof d’EPS est toujours l’idiot de l’équipe enseignante. Même la classe politique hiérarchise sans arrêt les matières…Pour moi, il est aussi important d’être bien physiquement que d’être à l’aise intellectuellement.

 

« J’encourage donc les sportifs à s’engager.  Que l’on soit sportif ou pas,  l’engagement citoyen est toujours compliqué. »

L’exemple de Colin Kaepernick montre qu’il est toujours aussi difficile pour un sportif d’être dans la contestation sans voir sa carrière s’achever ou se compliquer.

Oui. Je pense aussi à l’engagement de Vikash Dhorasoo à la mairie de Paris. Il est parfois tourné en ridicule, il reçoit des messages haineux et racistes. Pourtant il est engagé depuis plusieurs années dans différents combats. Malheureusement, ce n’est pas le seul, d’autres avant lui ont pu connaitre cette situation, je pense notamment à Lilian Thuram. On tolère que les sportifs s’engagent dans des associations qui luttent contre des maladies, qui encouragent les enfants à faire du sport , mais surtout pas en politique. C’est à la fois compliqué car cela peut écorner leur image et avoir un impact économique sur leur carrière mais on sait aussi qu’une personne médiatique sera plus entendue qu’un citoyen lambda. J’encourage donc les sportifs à s’engager.  Que l’on soit sportif ou pas,  l’engagement citoyen est toujours compliqué.

Paradoxalement on voit aussi que les marques peuvent soutenir les sportifs engagés.

Oui on vient de le voir avec Colin Kaepernick, qui est devenu la nouvelle égérie de Nike. Il vient aussi de recevoir un gros chèque de la NFL par rapport aux préjudices subis depuis 2016, suite à  son geste pendant l’hymne national américain. C’était courageux mais il est aussi plus simple pour un quarterback aux Etats-Unis de s’engager qu’un sportif russe ou chinois. Le prix qu’il a payé n’a rien à voir avec celui que d’autres champions ont subi. Certains ont perdu la vie.

 

« J’étais une merdeuse focalisée sur son sport, avec pour seul but de devenir championne olympique. »

 

Maryse Éwanjé-Épée

Credit Photo : Nicolas Gouhier / ABACAPRESS.COM

Pendant votre carrière de sportive, étiez-vous déjà dans cette volonté de défendre des combats importants et de dénoncer des pratiques ou pensées 

Non pas du tout. J’étais une merdeuse focalisée sur son sport, avec pour seul but de devenir championne olympique. J’ai toujours été une grande gueule mais pas forcément une militante. A 20 ans, on regarde son nombril, c’est pour cela que j’admire tant certains jeunes champions qui se sont engagés très tôt, comme Kareem Abdul-Jabbar.  En revanche, si j’avais eu 20 ans dans les années 40 aux USA, j’aurais probablement regardé autre chose que mon nombril ! J’aurais combattu la ségrégation. J’ai eu la chance de naitre en 1964 en France, d’aller à l’école et d’avoir les mêmes droits et les mêmes chances que les autres. Je n’ai pas souffert de ma condition de femme noire en France.

1968 est une année centrale de la contestation du XXe siècle. 

Il y a deux périodes de contestation : 1936 et 1968. 1936 est une période très forte pour le militantisme, aussi bien contre le nazisme que contre la ségrégation. 1968 est une année de soubresauts mondiaux. De 1968 et 1980, entre la Guerre du Vietnam et les droits civiques aux USA et Mai 68 en France, c’est une période très forte. Les JO de Mexico ont été une caisse de résonnance de la lutte des afro-américains contre la ségrégation. 

C’est pourquoi  on retrouve majoritairement des sportives et sportifs américains dans « Révolte ! » ?

C’est lié à leur histoire. La lutte des droits civiques a été beaucoup plus forte dans ce pays. Aujourd’hui, on voit aussi que les noirs d’Amérique sont beaucoup plus unis. Ils ont combattu ensemble. Les noirs de France sont beaucoup plus divisés. Entre les noirs français, les noirs venant de l’étranger, les caraïbéens, les africains, les métisses, il n’y a pas d’unité. Les Etats-Unis sont un pays d’immigrés. Que l’on soit d’origine asiatique, européenne, africaine, on est américain avant tout. Je n’ai pas l’impression que nous sommes dans cette idée en France. On essaie de nous communautariser. On m’a déjà fait remarquer que je n’écrivais que sur les noirs… Reproche-t-on à un écrivain blanc de n’écrire que sur les blancs ? Jamais.  Je suis française, j’ai les mêmes droits et j’écris sur ce qui me touche.

Dans un entretien au Midi Libre, vous avez dit « Écrire est une nécessité pour moi, mon premier moyen d’expression. »

Oui ! J’ai écrit mon premier roman à 10 ans, heureusement il n’a jamais été publié [Rires]. J’écrivais des pièces de théâtre. En cours de mathématiques, j’écrivais des poèmes, d’ailleurs mon prof était conciliant car il avait compris que j’étais plus à l’aise en littérature qu’en mathématiques ! j’ai toujours aimé écrire et j’aime la langue française, encore plus à l’écrit qu’à l’oral.

« Mon acte militant, c’est d’être chaque jour sur RMC et de faire face à une bande de machos assumés et qui aiment en jouer. »

Et la radio ?

J’ai eu la chance de travailler dans trois médias différents. J’ai commencé par la presse écrite, ensuite la télévision et aujourd’hui la radio. Comme je suis bavarde, la radio correspond mieux à ma nature. La télévision est très formatée, on vous coupe en permanence, on est court-circuité par son image, on veut bien paraitre, être jeune et beau… J’ai 55 ans et on voit assez peu de femmes de ma génération à la télévision, notamment dans les émissions sportives. 

Votre activité d’écrivaine semble assez éloignée de votre activité radiophonique, notamment au Moscato show. Comment avez-vous trouvé votre place ?

Comme son nom l’indique, c’est une émission de divertissement sportif. Ce n’est pas le lieu du militantisme. Mon acte militant, c’est d’y être chaque jour et de faire face à une bande de machos assumés et qui aiment en jouer. Dans cette émission, je suis une femme qui tient tête à des hommes, je trouve cela plutôt sympa. 

 

Propos recueillis par Julien Legalle

Entretien paru dans le magazine Les Sportives n°14

Julien Legalle
05.04.2020

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