« Ensemble, plus libre, plus loin », cette phrase représente l’infini du champ des possibles de Mélissa Plaza. Symbole de la renaissance et de la résilience, la jeune femme avait déjà un ballon dans les pieds à l’âge de trois ans. C’était son moteur et son vecteur de salvation. Rencontre.
« Le foot a été un vecteur d’émancipation pour fuir la cellule familiale qui était absolument toxique. J’ai été inscrite dans un club de Haute-Savoie à 8 ans. À ma grande surprise, il possédait déjà une section fille, ce qui était assez rare à l’époque. » Au club de la Roche-sur-Yon, durant ses années lycéennes et universitaires, Mélissa évolue pendant trois ans au sport-études. À l’issue de ses dernières saisons Ornaysiennes, elle connaît ses premières sélections jeunes puisqu’elle participe au Mondial des moins de 20 ans au Chili.
« Faire l’expérience de ces injustices et de ces violences dans sa chair m’a mis le pied à l’étrier. C’est ainsi que je suis devenue féministe. »
Ainsi, ces premières sélections en bleuette la propulsent vers le haut niveau, à Montpellier, l’un des clubs phares de D1. Lors de ces quatre saisons, le milieu de terrain apprend les bases de l’exigence, de la rigueur, en parallèle de ses études qu’elle effectue avant, après et entre les entraînements. « Continuer deux parcours d’excellence tels que le football et les études était un choix mûrement réfléchi. Je ne gagnais pas assez ma vie pour pouvoir compter financièrement sur le foot. On ne comprenait pas toujours pourquoi j’avais cet investissement et cette pratique intensive, pourquoi je perdais mon énergie pour autre chose que le football, car c’était des temps où je ne pouvais pas forcément me reposer ou prendre soin de moi », affirme celle qui fût appelée à l’Olympique Lyonnais. Pendant deux ans, Mélissa essuie les blessures au niveau des genoux et s’applique malgré cela à terminer son doctorat en psychologie du sport, « Stéréotypes sexués explicites et implicites en contexte sportif : réalité, évolution et lien avec les comportements d’engagement sportif ». « Lors des JO universitaires de 2015, à Gwandju, je rédigeais ma thèse pendant que les autres joueuses jouaient aux cartes ou faisaient la sieste. Il fallait avoir une volonté féroce pour ne rien lâcher. » En 2016, après un bref passage en D2 à Saint-Malo, elle met un terme à sa carrière afin de préserver son capital santé.
Lutter contre les violences sexistes et sexuelles
À nouveau, l’internationale était confrontée malgré elle aux violences et aux discriminations qu’elle a fui tout au long de son enfance. Les insatisfactions et la colère l’habitent. « Des discriminations de salaires, d’infrastructures, de déplacements, ainsi que les violences sexistes et sexuelles régnaient autour de nous. C’est faire l’expérience de ces injustices et de ces violences dans sa chair qui m’a mis le pied à l’étrier. C’est ainsi que je suis devenue féministe. Ça se caractérisait par « tu joues bien au foot pour une fille », « c’est bien en plus t’es féminine », sous-entendant que le plus important n’était pas que je sois performante au foot mais que je sois jolie, afin de répondre aux injonctions de la société patriarcale. Le genre est une construction sociale qui maintient la hiérarchie entre les sexes, donc tant qu’on pensera et qu’on n’abolira pas ce système du genre, et qu’on ne pensera pas être humain en tant que tel avec des droits inaliénables, on ne pourra pas avancer. Tout ce que je fais aujourd’hui, au regard de mon parcours, fait sens aujourd’hui. Soit on reste dans ce milieu-là rongée par la colère, résignée, ou en feignant la cécité. Soit on s’en émancipe, on s’écarte de ce milieu et on essaye de changer les choses de l’extérieur. »
Et même si à certains égards le football pratiqué par les femmes est en pleine progression en France, sur certains aspects, les concurrents mondiaux la devancent. « Quelques clubs font ce qu’il faut pour leurs joueuses, les autres c’est sauve-qui-peut. Il faut arrêter de se gargariser du peu d’avancée qu’on a fait, mais simplement regarder devant soi en se fixant des objectifs clairs, ambitieux et précis, à la fois de cooptation du nombre de licenciées, de l’accueil qui leur est octroyé, des moyens humains et financiers qui sont déployés, de la médiatisation, et puis dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles qui règnent sans vergogne dans ce milieu. Pour l’instant, on en est loin. » Avec plus de 200 conférences à son actif, Mélissa, la résistante, s’est pendant un temps demandé ce qu’elle allait faire de sa vie à la fin de sa carrière footballistique et de son doctorat. « Je n’étais pas complètement démunie, mais je n’étais pas non plus très bien entourée, car on est assez seule dans ce processus. Et puis au-delà du sentiment de solitude, celui-ci est doublé d’un sentiment de non-reconnaissance. Ma carrière s’est avérée étouffée pour qu’on ne sache ni les tenants et les aboutissants. »
Elle s’engage aujourd’hui pour faire bouger les mentalités en intervenant sur tous les terrains, dans les écoles, les clubs et en entreprises, pour continuer à combattre les clichés, s’en affranchir, et conquérir cette liberté qui lui est chère. Lorsque la jeune femme est montée sur scène, une vocation est née. La joueuse sentait qu’elle était capable de toucher les personnes par la parole à travers une histoire universelle, celle des femmes, sans prétention. Cette universalité des messages trouvait un écho assez impactant lors de ses interventions auprès d’athlètes, de dirigeant·e·s d’entreprises, mais aussi de personnes qui traversent des difficultés personnelles et qui ont besoin d’être aiguillées pour atteindre leurs objectifs.
Coaching et management
Mélissa Plaza offre régulièrement du coaching et en a même profité pour organiser des stages de football à visée éducative. Le Plaza Camp est un stage qu’elle a proposé l’été dernier. Il s’adresse aux filles de 12 à 16 ans et vise leur empowerment collectif et individuel. On y pratique du foot mais on se voit aussi dispenser des modules éducatifs sur des thèmes tels que le handicap, l’environnement, l’égalité filles-garçons… Cette première édition a eu un succès prometteur puisque de nombreuses personnalités étaient présentes. C’est le cas de l’internationale française et joueuse du PSG Ève Perisset.
« Le retour des filles était positif. C’était un sentiment partagé. Ces temps d’inspiration leur permettent de s’imprégner de messages clés, de faire le plein de confiance et de peut-être redorer leur estime d’elle-même mis à mal durant l’adolescence et qui sera mis à mal tout au long de leur vie de femmes, malheureusement. C’est aussi leur donner des forces et des arguments. » Ce stage s’est même clôturé par le spectacle « Conte à Rebours », joué par Tiphaine D, comédienne, autrice, metteuse en scène et féministe, de sorte à ce qu’on recrée des imaginaires collectifs égalitaires. « Je pense que c’est un spectacle qui clôt parfaitement le Plaza Camp, car il est à l’image de ce que l’on veut leur transmettre, c’est-à-dire des stratégies d’émancipation, des clés pour décrypter les réalités qui les entourent, parfois violentes, que l’on ne comprend pas toujours, et c’est normal que ça ne soit pas compréhensible, car ça ne devrait pas exister, assure la Rennaise. Cette année devrait marquer un tournant puisque je m’associe à une grande marque française pour la prochaine édition. C’est une fierté de toucher la diversité, en s’adressant aussi aux jeunes filles issues de quartiers défavorisés, de les faire se côtoyer avec des jeunes filles qui viennent d’autres milieux sociaux. Le but étant de jouer au foot, prendre du plaisir et surtout, s’émanciper toute ensemble collectivement. »
Écrire pour exister
Mélissa Plaza est l’auteure du livre Pas pour les filles aux éditions Robert Laffont. Un ouvrage publié en 2019, dans lequel elle revient sur son parcours personnel. « J’ai eu de très bons retours. Maintenant, je ne peux pas vous dire que je suis satisfaite de l’impact qu’il a eu. » Après avoir jeté ses forces et s’être ressourcée pendant le confinement, elle publiera un second ouvrage cette année pour dénoncer l’inceste et surtout les conséquences qu’il engendre chez les victimes. « Il traite de la mémoire traumatique, des conséquences des violences sexuelles sur les vies des femmes et surtout, les possibilités de thérapie pour retrouver une vie épanouie. Les femmes ne sont pas seules, il y a des possibilités de s’en sortir, même si c’est très compliqué. J’ai l’espoir qu’avec ce second livre, qui me semble bien plus fort et politisé, qu’il y ait un plus grand engouement médiatique. »
Cette crise sanitaire lui a donc permis d’écrire, de se retrouver et de prendre soin d’elle. Une période somme toute apaisante pour elle. Rendre justice aux femmes, éclairer les consciences, donner des clés de compréhension, ces missions la tire chaque jour vers le haut. Courageuse et déterminée, cette femme n’est pas seulement une héroïne survivante pour le moins singulière, mais une aide précieuse pour toutes les femmes qui aspirent à vivre dans une société plus égalitaire. « J’ai une certaine capacité à manier les mots à l’écrit et à l’oral. C’était important en termes d’accomplissement personnel d’être alignée avec ce que je suis et avec ce que sont mes valeurs, pour toucher les cœurs et les âmes. Je vois beaucoup de personnes malheureuses, car toute leur vie, elles marchent à côté de leurs baskets, elles font des métiers qu’elles ne rêvaient pas du tout de faire, et des vies qu’elles ne rêvaient pas du tout d’avoir. Ce sont des vies qui ont été dictées par les autres et par la société. On produit des gens malheureux et on produit une société toute entière malheureuse. Je leur donne l’envie de prendre en main leur vie, leurs responsabilités, afin que chacune et chacun puisse changer créer la société dans laquelle ils et elles souhaitent vivre. »
Solène Anson
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