Melvine Deba : « Ma plume est née dans la douleur, comme une nécessité. Elle me donne des ailes et un goût de liberté ! »
Melvine Deba est joueuse professionnelle de handball et coach certifiée formée aux sciences humaines à SciencesPo Paris. Créative multidisciplinaire, elle créé des podcasts, confectionne des tapis, questionne l’intime de ses invités et des coaché.e.s qu’elle accompagne. Et aujourd’hui, Melvine Deba est également une autrice. Son ouvrage Un espace de vulnérabilité partagé sort en libraire en France, dans lequel elle nous donne à vivre un cheminement intérieur. Ses réflexions entrent en résonance avec celles de notre temps. À l’occasion de la parution de son ouvrage, Les Sportives Media est allé à sa rencontre.
Les Sportives : Racontez-nous la genèse de ce livre…
Melvine Deba : Pour la petite histoire, j’ai commencé à voir mon thérapeute en janvier 2021. Chaque séance me coûte 70€ l’heure. Alors, afin d’éviter que le contenu de ces échanges précieux ne se dissipe dans des limbes inaccessibles de ma mémoire – et pour en avoir pour mon argent – j’ai créé un document word intitulé « Conversations avec mon thérapeute ». Il est fait de textes, de tableaux, de dessins, c’est un labyrinthe de questionnements sens dessus dessous.
L’idée de transformer ce journal de bord pour écrire un livre m’est venue suite à un échange avec Aurélie Bresson, mon éditrice. Pendant les Jeux olympiques de Tokyo, faisant suite à la pandémie mondiale de Covid-19, nombreux.ses sont les athlètes qui ont soulevé l’enjeu de la santé mentale des sportif.ves, notamment Naomi Osaka et Simone Bills, entre autres. J’ai beaucoup apprécié leur courage, celui qui consiste à raconter les choses cachées, les burnout, les blessures intimes.
Il se trouve que j’aime montrer ces choses-là. Pour moi, elles sont un pont entre les cœurs et les êtres. Une trêve pacifiste où l’enjeu n’est pas de gagner mais de se lier, de chercher à se comprendre et à comprendre l’autre. L’occasion de réfléchir aux fragilités humaines, dans une arène – celle du haut niveau – où, la plupart du temps, nous nous appliquons à les transcender.
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Ces thématiques sont peu abordées dans les ouvrages, pourquoi est-ce important d’en parler ?
J’ignore si ces sujets (burnout, blessure, racisme, inceste) sont si peu abordés que cela. Par exemple, depuis sept ans et le mouvement #Metoo, le tabou sur les violences sexuelles s’amenuit (et sept ans, ce n’est pas beaucoup…). À ce sujet, quand je parle d’inceste dans le livre, je parle de vulnérabilité mal placée. Une de mes lectrices m’a, en miroir, écrit ces quelques lignes : « le silence, la honte qui vous agrippait par la gorge et vous empêchait de parler, nous conférait à nous, société, une immunité mal placée face au spectacle de la violence. » Une société, c’est les trois singes : ceux qui refusent de voir, de regarder et d’entendre…
Il y a autre chose. Moi, j’avais 6 ans quand ça m’est arrivé. Aujourd’hui, j’en ai 26. Vingt ans, c’est ce qu’il m’a fallu pour plonger dans cette mer de souvenirs. Parfois, une vie ne suffit pas.
Ce que je sais, c’est que pour moi, en ce qui concerne le burnout, il était extrêmement difficile d’écrire « ça ne va pas ». D’avouer « je suis en train de m’effondrer et en plus, je ne parviens pas à me débattre ». De décider de « m’abandonner au chagrin, à la création et à la longueur de temps pour guérir ». Ce mouvement était contre-intuitif dans mon esprit.
L’exercice littéraire, ce sont des heures passées à écrire et à réécrire.
Au départ, je voulais écrire un livre dans lequel je transmettrais les clés qui m’avait aidée à revenir plus forte de ma blessure et de mon burnout. Finalement, ce texte me rappelle que je dois me méfier des apparences. Non pas dans le sens où les autres me mentent mais dans le sens où je peux me mentir à moi-même pour coller à des images. Celle de la personne qui réussit, pour qui tout roule, celle de la bonne sportive de haut niveau courageuse, battante etc. Méfiance car la conséquence est, qu’à terme, je finissais par prendre davantage soin d’entretenir l’image que je renvoyais qu’à m’occuper de l’être que je suis. Je ne me blâme pas et je ne blâme personne. Dans un monde où nous sommes en permanence abreuvé.es d’images retouchées, idéalisées, dans un monde qui valorisent un certain type de réussite, nous dit « venez comme vous êtes » tout en nous poussant à consommer les mêmes choses… Le « paraître » heureux est une préoccupation bien partagée.
Le défi que représente l’écriture d’un texte sur les choses cachées derrière nos masques est colossal : oser rencontrer ce que nous sommes tels que nous sommes pour réparer (ce que l’on peut de) l’humanité.
En quoi cet ouvrage est lui fruit d’un travail intime et personnel ?
Cet ouvrage est le fruit d’un travail intime, de rencontres et d’un exercice littéraire. Le travail intime c’est la thérapie qui a précédé l’écriture, et, surtout, les 26 ans d’existence. Les rencontres ce sont mon thérapeute, mes ami.e.s, ma sœur, ma maman, ma coach littéraire, mon illustratrice, mes lectures… J’ai échangé avec les chercheuses Samah Karaki et Juliana Antero, j’ai rencontré la maitresse de conférence Maboula Soumahoro, j’ai passé des heures au téléphone avec mes amies. J’ai lu La discrétion de Faïza Guene, Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks, j’ai relu Si c’est un homme de Primo Levi. L’exercice littéraire ce sont des heures passées à écrire et à réécrire. J’ai été accompagnée par Pauline pendant près de neuf mois pour donner à voir ce cheminement. Je crois que toute création est l’amalgame de vies qui se rencontrent. J’ai adoré apprendre à écrire. Travailler mon style, tailler ma plume. Je sais qu’elle va continuer à grandir. Elle est née dans la douleur, comme une nécessité. Elle me donne des ailes et un goût de liberté !
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