À la rencontre des sportives

Muriel Salle : « Ce sang pourrait avoir des vertus thérapeutiques »

Julien Legalle
24.11.2024

Généralement dans le sport, lorsque l’on évoque les règles, c’est pour évoquer les lois du jeu. Car le sujet des menstruations reste un tabou, un sujet que l’on a tendance à esquiver ou passer sous silence. Pourquoi cette occultation persiste-t-elle ? Que nous dit-elle de la gestion du corps des femmes dans le microcosme sportif ? Rencontre avec une spécialiste de la question, Muriel Salle, maîtresse de conférences à l’Université Lyon 1, sur l’histoire des femmes, du genre et des humanités médicales, autrice du livre Règles et sport : un sujet qui fait tache ? (Ed. Les Sportives).

Considérez-vous les règles des sportives comme le dernier grand tabou du milieu ?

Muriel Salle : Chronologiquement, le sujet des violences sexistes et sexuelles émerge après celui des règles. Le dernier tabou, c’était donc plutôt celui des violences. Mais l’irruption de la question des règles dans le monde sportif a fait moins de bruit. On mesure sans doute moins ce que pourrait changer sa prise en compte par le monde sportif.

La parole des sportives à ce propos se libère, ne trouvez-vous pas ?

Effectivement, les femmes évoquent les règles de manière plus décomplexée, et pas seulement dans le monde sportif. Il est question d’adapter les entraînements, les équipements, les tenues. Mais il y a encore une belle marge de progression. Pour l’instant, les règles sont évoquées pour expliquer les contre-performances de sportives en compétition. Il faut se garder d’un discours qui visibilise un phénomène physiologique seulement quand il peut être considéré comme disqualifiant pour les femmes.

À quel moment le monde sportif s’est enfin intéressé au cycle menstruel ?

Le monde sportif découvre véritablement le sujet en 2021, lorsque l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) met en place le programme de recherche « Empow’her » pour « Exploring Menstrual Periods Of Women athletes to Escalate Ranking »*. Le constat est que la plupart des protocoles médicaux, nutritionnels et d’entraînement sont androcentrés, d’abord développés pour les athlètes masculins. Les femmes ne représentent que 35 % des participantes aux études dans les sciences du sport.

Ensuite, il faut attendre 2023 pour constater des changements dans la tenue des athlètes. C’est le cas du tournoi de tennis de Wimbledon qui autorise aujourd’hui les joueuses à délaisser le blanc imposé depuis sa création en 1877. Plusieurs équipes nationales et clubs de football, dont les Etats-Unis, Manchester City et West Bromwich Albion en Angleterre, ont également fait le choix de renoncer au short blanc pour ces mêmes raisons. Ceci pour ne parler que du foot d’ailleurs…

Il y a donc une évolution à noter…

L’adaptation du vêtement sportif est un signe fort de la part des clubs et des fédérations. Mais le progrès suivant serait que les enseignant.e.s d’EPS soient véritablement formé.e.s alors que le cycle menstruel n’est pas abordé pendant leur formation. D’ailleurs, les manuels de physiologie du sport, qu’ils pourraient utiliser pour leur cours ou la préparation du concours, ne l’évoquent pas ! Ceci dit, pour bien les former, il faudrait davantage de connaissances scientifiques et comme nous l’avons vu, on manque encore d’études…

L’absence de prise en compte des règles des sportives démontre une nouvelle fois que le sport a été pensé par les hommes pour les hommes ?

Oui, car on utilise les mêmes équipements pour les hommes que pour les femmes, les mêmes méthodes d’entraînement. Il peut s’avérer que ce ne soit ni adapté ni recommandé.

Même si aujourd’hui, on met en avant la parité au sein de la délégation française aux Jeux Olympiques, on voit encore des équipes féminines privées de financement au bénéfice de l’équipe masculine. Dans de nombreux cas, les filles ne sont pas prioritaires pour les créneaux d’entraînement. Au-delà des athlètes, et de la question du sport de haut niveau, l’absence de pratique sportive pour les filles et les femmes est et sera un problème majeur de santé publique. Seuls 16% des filles de 15 à 17 ans atteignent les recommandations d’activité physique quotidienne, soit 60 minutes d’activité modérée. Soit 84% qui sont bien trop sédentaires !

On l’a vu, il y a peu de livres et peu de recherches scientifiques sur la sportive à tel point que la composition du sang des règles n’est connue que depuis 2007 !

Il a toujours été considéré comme un sang ignoble, impur. Pourquoi voulez-vous que l’on s’intéresse à quelque chose que l’on considère comme honteux et dégoûtant ? Pourtant, les premiers résultats des travaux sur le sujet laissent penser que ce sang pourrait avoir des vertus thérapeutiques. On a ainsi découvert qu’il contient des cellules souches mésenchymateuses, comme le cordon ombilical, le placenta ou la moelle osseuse, et pourrait avoir de multiples usages thérapeutiques :  insuffisance hépatique, AVC, myopathie de Duchenne, infarctus du myocarde, maladie d’Alzheimer, endométriose, etc. De honteux et impur, le fluide menstruel deviendrait presque un filtre de jouvence… Que de temps perdu pour des a priori et des stéréotypes !

Propos recueillis par Julien Legalle

 

*Explorer les périodes menstruelles des athlètes féminines pour améliorer leur classem

Julien Legalle
24.11.2024

Vous avez relevé une coquille ou une inexactitude dans ce papier ?
Proposez une correction à notre rédaction.