Nicolas Bach « Il ne faudrait pas que le foot féminin soit sacrifié sur l’autel du Covid »
En mars dernier, la Fédération Française de Football annonçait avoir franchi le cap des 200 000 licenciées. Pour nourrir cet enthousiasme, des sections féminines se créent un peu partout dans l’hexagone. Mettre les femmes au coeur de la pratique, c’est justement la volonté du Grenoble Université Club (GUC). A l’été 2019, une section football a été lancée au sein du club omnisports, spécifiquement pour les femmes, sous l’impulsion de bénévoles ultra motivés, dont Nicolas Bach. Pour Les Sportives, l’ex-entraîneur du Grenoble Foot 38 (D2) évoque cette première saison et les défis à venir du GUC, lauréat de l’appel à projet « Buts pour Elles » de la Française des Jeux (FDJ).
Comment est née l’équipe féminine de football du GUC ?
Nicolas Bach : C’est en partie lié à mon histoire personnelle. Depuis 2010, je m’occupe de l’élite grenobloise du foot féminin. J’ai constaté qu’il manquait une structure pour accueillir massivement les jeunes filles. Il n’y avait rien pour toutes celles souhaitant débuter ou pratiquer à un niveau modeste. Souvent, dans les clubs, elles étaient la troisième roue du carrosse avec le dernier encadrant disponible et des créneaux d’entraînements très tardifs. Suite à mon licenciement du GF38 et pendant la Coupe du Monde féminine, le projet s’est précisé. On cherchait une structure prête à défendre nos valeurs, celles d’un sport populaire qui appartient à tout le monde. C’était l’état d’esprit du GUC. Le 30 juillet 2019, les statuts étaient finalisés.
Le succès a été immédiat. Comment avez-vous résolu la problématique concernant les lieux d’entraînement ?
N.B : Effectivement ! Alors qu’on tablait sur 60 jeunes filles pour une première année, elles étaient 120 à se présenter. C’est une lutte de chaque instant pour trouver un lieu où s’entraîner. Comme nous sommes rattachés au GUC, nous pouvons louer en tant que partenaire privilégié leurs infrastructures. Ce qui est d’une grande aide, car la ville de Grenoble ne mets aucun stage à notre disposition, tous les créneaux étant déjà pris. En complément, nous louons aussi des espaces à l’Urban Soccer. Tout cela nous coûte beaucoup d’argent pour répondre à une demande plus importante qu’envisagée.
« Une fille qui voit sa famille vibrer devant la télévision pourra être tentée par le football. »
Attribuez-vous votre réussite à un effet Coupe de Monde?
N.B : C’est dur à mesurer, mais je crois que cet effet a été minime. La demande existait avant cet événement. On a beaucoup communiqué sur nos valeurs, cela a plu. Je crois que c’est plutôt la victoire de l’équipe de France masculine lors de la dernière Coupe du Monde (2018) qui a vraiment pesée car il y a eu une immense ferveur dans tout le pays… Une fille qui voit sa famille vibrer devant la télévision pourra être tentée par le football.
Avez-vous priorisé certaines catégories ? Quelle place occupe les femmes parmi vos encadrants ?
N.B : On a tout fait d’entrée ! La demande la plus forte est chez les seniors. Il y a beaucoup de débutantes entre 20 et 25 ans. Nous avons même accueilli une débutante de 41 ans ! Dès notre première année, nous avions sept équipes pour des filles de 6 ans jusqu’aux séniors. Chaque catégorie était représentée. L’idée était de tout faire au service de la pratiquante et de la formation. Nous avons cherché des éducateurs. Nous remarquons que ce sont souvent des hommes qui entraînent les équipes séniors contrairement aux équipes plus jeunes très souvent encadrées par des éducatrices, généralement des joueuses à qui l’on propose un double projet.
Comment voyez-vous l’avenir au GUC ?
N.B : Nous espérons atteindre les 140 licenciées cette saison. Mais si nous n’avons pas d’appuis financiers et le soutien de communes, nous allons vite atteindre nos limites. Au niveau économique et structurel, il y a un réel point d’interrogation. Nous percevons 420 euros du Département et nous venons de recevoir 1800 euros de la FDJ. Autrement nous fonctionnons avec des mécènes, des dons et grâce aux cotisations. Toutes les personnes impliquées sont bénévoles mais pour nous développer, nous devons nous professionnaliser. Sans aide, tous ces effets d’annonce sur la féminisation du sport seront de la belle hypocrisie…
« Je suis un homme, je suis passionné, et je trouve ça surprenant d’être confronté à des freins qui viennent souvent des femmes. »
Le sport au féminin semble pourtant être davantage au coeur des préoccupations…
N.B : C’est un réel sujet de société et malgré tout, il faut se battre pour exister. Tomber sur une structure comme la nôtre, cela devrait être une mine d’or pour les institutionnels ! Ce qui est dingue c’est qu’on a souvent des femmes en face de nous comme interlocutrices. Je suis un homme, je suis passionné, et je trouve ça surprenant d’être confronté à des freins qui viennent souvent des femmes.
Vous venez de décrocher l’appel à projet « Buts pour Elles » de FDJ qui soutient huit clubs actifs quant à la féminisation du football. Comment allez-vous utiliser cette subvention ?
N. B : Elle va être utilisée dans la location de terrain pour proposer des stages et un créneau supplémentaire pour nos jeunes. 1800 euros ça nous fait une quarantaine d’heures sur le terrain.
Craignez-vous que la crise sanitaire ne freine votre essor ?
N.B : Quand on a peu de partenaires, on ne peut pas avoir moins que zéro… Je suis plutôt inquiet pour l’élite féminine. Le partenariat et la médiatisation ne sont pas encore au rendez-vous pour rendre rentable ces structures. En ce moment, il y a un risque pour ce qui n’est pas une source de profit. Il ne faudrait pas que le foot féminin soit sacrifié sur l’autel du Covid.
Etes-vous serein quant aux mois à venir ?
N. B : Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste. Je suis motivé, déterminé. Je prends du plaisir dans ce que je fais. Je veux mener ce projet le plus loin possible. Nous allons proposer des rencontres aux élus de l’agglomération pour impulser une dynamique collective. Nous devons passer à l’étape deux de notre développement. Le jour où les bonnes volontés disparaissent, des structures trop fragiles peuvent se dissoudre. Cela arrive souvent dans le foot féminin.
Propos recueillis par Mejdaline Mhiri.
Dans le cadre de son programme d’actions Sport Pour Elles, FDJ soutient et encourage les championnes, et agit pour donner envie à toutes les femmes de pratiquer une activité sportiveet faire évoluer les mentalités. Et cela passe aussi par les encadrants.
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