Traitée de « sale arabe » et de « mouton frisé » dans sa jeunesse, Nicole Abar s’est forgée pour devenir une joueuse de football remarquable et une figure emblématique de l’engagement pour la mixité dans le football. À travers ses actes, l’ancienne internationale tricolore œuvre encore aujourd’hui pour accompagner toutes les femmes dans le monde du sport.
Entretien réalisé avec Nicole Abar le 15 mai 2023
Au cœur du centre-ville de Toulouse, dans une rue à sens unique, Nicole Abar grandit dans une fratrie de cinq frères et sœurs dont elle est la cadette. La jeune Occitane naît en 1959, de parents d’origine algérienne et italienne qui lui intiment de se faire discrète dans la société. Cette discrétion, elle la gardera jusqu’au jour où, alors qu’elle regardait s’entrainer une équipe de jeunes garçons, l’entraineur est venu lui demander d’intégrer le groupe. Avait-il cru que Nicole était un garçon pour faire une telle demande ? Malgré les refus répétés de la jeune femme pour qui voir une femme jouer au football est improbable, elle acceptera de rejoindre cette équipe, arrangeant bien le coach qui avait besoin d’une licence supplémentaire pour inscrire son équipe en compétition. Pour autant, il n’est pas possible pour une femme de prendre une licence de football en cette fin d’année 60. La solution fut trouvée rapidement. Sur le document officiel fut écrit le nom « Nicolas Abar », conversion de son prénom au masculin. Cette rencontre impromptue entre Nicole et le football fut plus que bénéfique. La Toulousaine est douée pour ce sport dans lequel elle court « super vite, avec et sans ballon » et possède le « sens du but ».
Le hasard s’est une nouvelle fois présentée à Nicole Abar lorsque le bibliobus, bibliothèque mobile passant près de chez elle, lui a permis d’emprunter Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Traitée de « sale arabe », de « sale mouton frisé », la jeune femme frisée ne s’identifiait alors à personne et encore moins aux autres filles de son âge. Elle comprend à travers ce livre que son authenticité et ses différences ne sont en rien anormales, bien au contraire. Ce sont les circonstances et son environnement qui font d’elle ce qu’elle est. Ses doutes et sa peur d’être « bizarre » vis-à-vis des autres s’estompent.
Une heureuse rencontre
En rentrant de l’école quelques années plus tard, elle découvre qu’une joueuse de l’équipe féminine voisine de Colomiers l’attend chez elle et lui propose de venir jouer avec son équipe. Si la Toulousaine refuse dans un premier temps l’offre, au motif qu’elle ne voulait pas jouer avec des filles, elle cède devant l’insistance de sa mère qui lui demande de prendre part à un entrainement. Sage décision, puisque la footballeuse est émerveillée par ce qu’elle voit et rejoint le club de Colomiers. La création du premier championnat de France féminin en 1974 va changer le destin de ce groupe, qui ne disputait jusque là que des matchs amicaux, parfois « à 500 km ».
Repérée par Pierre Geoffroy, alors sélectionneur d’une « fausse » équipe de France (puisque non reconnue par la fédération), elle suit ce dernier à Reims pour rejoindre l’équipe féminine locale en 1977. C’est également avec lui qu’elle accèdera à l’équipe de France, à l’occasion d’un France-Angleterre à Longjumeau la même année. Elle se souvient encore des médias qui ne « parlaient pas de nous », et qui se sont même trompés « sur un but que j’ai marqué et qui a été attribué à quelqu’un d’autre ». Membre des qualifications pour le premier euro féminin de 1984, elle restera une des pionnières du football féminin. « Pour le grand public à cette époque, on n’existe pas. »
Le football féminin n’est évidemment pas professionnel à ce moment, et la nouvelle Rémoise qui ne dispose pas d’une grande manne financière ne peut pas manger le soir, ce qu’elle cachera à ses parents. Elle arrêtera d’ailleurs ses études de sociologie pour réussir à vivre financièrement. À l’époque, « soit on était étudiante, soit on travaillait. On prenait même des congés pour venir en équipe de France. »
Malgré la difficulté d’exercer sa passion, Nicole Abar réalise une carrière remarquable sur des terrains corrects, parfois dans des petits « patelins ». Le Stade de Reims est à l’époque la grande équipe du football féminin et l’Occitane remporte huit titres de championne de France, ainsi que celui de meilleure buteuse en 1983. Une carrière qui restera tout de même dans l’ombre. La tricolore l’avoue, elle ne s’est « jamais vu jouer, il n’y avait pas de caméras comme aujourd’hui ». Et si Pierre Geoffroy n’était pas journaliste sportif à L’Union, peut-être qu’il n’y « aurait pas d’images de moi ».
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Une après carrière tout de suite engagée
En fin de carrière, l’ancienne internationale française s’engage au Plessis-Robinson dans les Hauts-de-Seine. Alors que l’équipe féminine du club construit un projet d’accession pour passer de l’échelon régional au national, le budget du club est consacré aux garçons jouant deux divisions en dessous. Pour maximiser l’apport financier de cette équipe masculine, le club décide même de supprimer la section féminine et de reverser les profits aux hommes. Situation insupportable pour Nicole Abar, qui engage une procédure en justice. Il lui était impossible de revoir cette situation, où des rêves de femmes sont brisés, encore une fois au bénéfice du sexe opposé. La décision finale en 2002 lui donnera raison dans un arrêt qui fait encore jurisprudence aujourd’hui.
En dehors de cette affaire, la féministe Toulousaine créée dès 1996 l’association Liberté aux joueuses, pour renforcer un travail d’égalité entre hommes et femmes dans le sport, en luttant contre les stéréotypes et en développant la motricité des jeunes femmes. Avec son association, elle sortira le documentaire « Passe la balle » en 2000, inculquant les valeurs de mixité auprès d’élèves de primaire dans un établissement scolaire de Bagneux (Hauts-de-Seine). Une seconde version dénommée « Passe la balle 20 ans après » sera d’ailleurs disponible en septembre 2023 sur la plateforme Sport en France, pour comparer les idées préconçues de la société entre 2002 et 2022. L’objectif étant de construire un véritable débat de société lors des JO 2024. En parallèle, Nicole Abar a aussi créé avec plusieurs femmes l’association Égal Sport, dont le but est de promouvoir et soutenir la places des femmes et des mixités dans le sport.
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Un passage institutionnel pour Nicole Abar
Toute son énergie investie dans cet engagement sera reconnue, puisque qu’elle deviendra chargée de mission de la Ministre des sports Marie-Georges Buffet en 2000, où elle se consacre à la problématique sur le développement du sport au féminin, l’accessibilité aux formations et la lutte contre les discriminations, ou encore la triade de l’athlète féminine. Le lien avec la politique, Nicole Abar le prolongera en 2013, lorsqu’elle est à l’initiative d’un projet éducatif dénommé « ABCD de l’égalité », déployée par Najat Vallaud-Belkacem alors Ministre des Droits des femmes, ainsi que Vincent Peillon, Ministre de l’éducation National. La Toulousaine ira même jusqu’à travailler avec la marque de baby-foot Bonzini, pour leur proposer de créer la figurine fille permettant ainsi de mettre en valeur la mixité dans le football avec 11 joueuses et 11 joueurs mélangés dans les 2 équipes.
Encore aujourd’hui consultante et conférencière, Nicole Abar n’a pas fini d’agir pour la mixité. Elle qui considère que le football « a sauvé sa vie », a bien rendu à ce sport ce qu’il lui a apporté.
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