Portrait [1/11] : Emmanuelle Bonnet Oulaldj, présidente de la FSGT
Si les récents évènements de sport au féminin, notamment la Coupe du Monde de football, ont permis de mettre en exergue la tendance à une meilleure visibilité des sportives de haut-niveau, la féminisation des instances fédérales n’en reste pas moins en peine. L’accès aux postes à responsabilité est une problématique latente et cristallisée. Avec seulement 11 femmes présidentes de fédérations sportives dont une seule dirigeante d’un sport olympique, le mouvement sportif français reste dominé en grande majorité par les hommes. Découvrez les portraits de ces 11 femmes présidentes qui militent au quotidien pour la parité dans le sport.
Aujourd’hui nous rencontrons Emmanuelle Bonnet Oulaldj, présidente de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT).
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Pourriez-vous retracer depuis combien de temps vous êtes présidente ?
J’ai été élue en 2017 coprésidente de la FSGT avec Gérard Dizet. Depuis 2005, la FSGT s’est dotée d’une direction collégiale avec la particularité d’un binôme femme/homme comme représentants légaux de la fédération. C’est un dispositif unique dans le champ des fédérations sportives qui me semble t’il mérite davantage d’attention.
Ce partage des responsabilités permet d’appréhender autrement le rapport au pouvoir, souvent très “présidentialiste” dans les fédérations, et aux prises de décision. La mission de cette direction fédérale collégiale s’articule autour de deux axes principaux : animer le projet interne à la FSGT de développement d’activités physiques et sportives émancipatrices pour toutes et tous et contribuer à l’externe à la co-construction d’un service public du sport adapté aux besoins de la population.
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Avez-vous toujours eu un parcours de femme engagée et à responsabilités ?
A vrai dire, je dois à la FSGT une véritable transformation de ma vision du sport et de la société en général. J’ai un parcours atypique, car je suis rentrée par le bout professionnel en 2003 en tant que responsable des relations internationales. Très vite, les rencontres que j’ai pu faire et les projets exceptionnels sportifs et associatifs auxquels j’ai pu participer m’ont véritablement captivée.
Je suis très vite devenue une militante, et aujourd’hui je reste passionnée et admirative de cette fédération, de son histoire et de ses multiples réalités. J’ai compris grâce à la FSGT, que le sport n’était pas “apolitique” comme on le dit souvent, mais qu’il était au contraire un outil extraordinaire d’émancipation humaine, de réappropriation populaire et citoyenne des enjeux de société telle que la lutte contre les inégalités.
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Quelles sont les actions marquantes de ces dernières années/mois en temps que présidente de votre fédération ?
Trois dimensions me paraissent importantes à souligner et nous ont beaucoup mobilisés ces deux dernières années. La première concerne l’animation de la fédération et l’enjeu, avec l’expérimentation d’Espaces Fédéraux Territoriaux, de repenser une organisation permettant de mieux analyser les besoins de nos clubs, adhérent.e.s et de la population, et d’y apporter des réponses adaptées. La question d’une compétition adaptée à tous les niveaux et de la performance pour toutes et tous, par exemple, sont des attentes importantes de nos clubs.
La seconde porte sur la communication et la valorisation en interne et en externe de notre projet associatif : réalisation de clips vidéo (Le sport est un droit, pas une marchandise, #NousLeSport), harmonisation de la charte graphique fédérale, numérisation de la revue fédérale Sport et plein air avec des liens vers des vidéos de manifestations sportives, etc.
Enfin, depuis 2017 j’ai beaucoup été investie dans les débats sur la nouvelle gouvernance du sport. J’ai notamment animé un travail intense avec l’ensemble des fédérations affinitaires et multisports pour formaliser notre analyse et nos propositions en matière de sport pour toutes et tous. Tout en développant une analyse critique des conséquences de la nouvelle gouvernance sur le sport pour toutes et tous, nous nous sommes mobilisées pour ne pas être sur le banc de touche et valoriser notre rôle. C’est à ce titre que j’ai été proposée par mes collègues puis élue par le CNOSF pour siéger au Conseil d’Administration de l’Agence nationale du sport au titre des fédérations multisports non-olympiques.
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Que pensez-vous de la structuration actuelle du sport français?
La transformation du sport français est une nécessité. Il existe aujourd’hui trop de décalages entre les besoins profonds de la population, dont la moitié ne pratique aucune activité physique et sportive pourtant essentielle à l’être humain, et les politiques publiques proposées. La perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 aurait pu être une opportunité pour accroître les moyens accordés au sport pour toutes et tous, et co-construire un véritable service public du sport.
C’est tout le contraire, puisque le budget des sports, à périmètre constant, n’augmente pas et que le gouvernement garde le cap d’Action Publique 2022, c’est à dire d’une réduction des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires. Le sport n’est pas épargné avec à moyen terme la disparition des conseillers techniques sportifs, dont 1600 sont aujourd’hui placés auprès des fédérations. Autrement dit, la création de l’Agence nationale du sport se traduit, voire cautionne, un désengagement de l’Etat.
Au delà des moyens, il y a par ailleurs aujourd’hui un véritable enjeu de reconnaissance des acteurs associatifs du sport. C’est tout le sens selon moi d’une gouvernance partagée du sport qui s’appuierait sur des espaces locaux de définition des besoins et des répartition des moyens, aujourd’hui bien trop inégale et toujours au détriment des sports et fédérations non olympiques.
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Que vous inspire cette phrase « Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir. »?
Cette phrase est un peu trop caricaturale. Je pense que l’enjeu prioritaire est l’égalité entre les femmes et les hommes. Les inégalités sociales sont aujourd’hui le premier frein d’accès à une activité physique et sportive, et les femmes sont les premières victimes de la précarisation de la société et des violences, de tout type.
Les tâches domestiques sont toujours bien plus réservées aux filles et aux femmes, qui peuvent globalement dégager moins de temps que les hommes pour s’engager durablement et à tous les niveaux dans la vie associative et sportive. Mais pour revenir à la phrase proposée, les femmes sont peut-être davantage prêtes à engager des transformations sur le fonctionnement de la vie associative pour favoriser leur participation tout en veillant à un équilibre de la vie familiale.
Pour ma part, c’est une préoccupation essentielle pour continuer à m’épanouir et être heureuse dans mes responsabilités professionnelles, militantes comme dans ma vie privée.
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