Stella Akakpo, quand performances et engagements font la paire
Stella Akakpo sera présente dimanche à la Journée olympique organisée à Paris, deux ans avant les JO 2024. Quand la sprinteuse, championne de France du 100 m en 2016, ne performe pas sur la piste, elle a à cœur de s’engager. En témoigne son dernier projet : la création du média We Are Greaat.
Les Sportives : Vous participez ce dimanche à la journée olympique organisée à Paris. C’est important pour vous ?
Stella Akakpo : On a été sollicités par le comité Paris 2024, qui met beaucoup d’actions en place à l’approche des Jeux olympiques de Paris, qui sont dans un peu moins de deux ans. Ça va arriver très vite. Jeudi c’était la journée olympique dans le monde. Mais depuis deux ans, elle est organisée le dimanche pour que la population puisse plus facilement venir à la rencontre des athlètes. Je trouve ça vraiment bien parce que ça nous met déjà dans l’ambiance des Jeux olympiques. En tant qu’athlète, c’est important d’aller à la rencontre de la population, de transmettre et de pouvoir échanger avec les jeunes et avec les moins jeunes. Ils sont nos futurs supporters !
Votre objectif est-il d’y participer en individuel et en relai ?
Oui. Je prépare mes derniers Jeux olympiques. Après ça je compte tirer ma révérence et faire une pause. Ça fait plus de 15 ans que je suis dans le haut niveau. Terminer à Paris, à la maison, serait vraiment l’apothéose pour moi. Mes premiers championnats internationaux étaient aussi en France, à Lille.
Votre préparation a-t-elle déjà commencé ?
Les Jeux olympiques se préparent sur quatre ans, ce qu’on appelle l’olympiade. Bien évidemment, l’objectif cette année ce ne sont pas les Jeux olympiques mais dans un coin de la tête on y pense, on travaille pour cet objectif final. Avant ça il y a des objectifs intermédiaires, des championnats du monde, d’Europe, de France…
Comment se passe votre préparation ?
J’ai retrouvé mon ancien coach, mon tout premier coach de l’Inse, avec qui je m’entraînais de 2013 à 2019. J’avais à cœur de revenir avec lui pour finir ma carrière. Je suis partie aux États-Unis, je suis revenue en France, j’ai eu un nouveau coach. C’était important pour moi de revenir aux sources, parce qu’on a une relation forte et qui fonctionne, surtout. On est dans une phase de réadaptation, de transition. Cette année c’est assez compliqué, j’ai eu quelques petits problèmes de blessure au pied. Ce n’est rien de grave mais j’ai été arrêtée. Cette année c’est vraiment de l’adaptation et l’objectif c’est Paris 2024.
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En dehors des pistes, vous menez différents projets, le plus récent étant la création du média We Are Greeat. Pourquoi cette idée ?
Ça m’a toujours tenu à cœur de m’engager dans des causes autres que le sport ou qui gravitent autour du sport. J’ai d’abord créé l’évènement We Are Greaat en 2020 après la mort de George Floyd, qui m’a assez traumatisée. J’avais envie de mettre en lumière les femmes noires et créer un événement positif. À la suite de ça, pendant deux ans, j’ai eu énormément de sollicitations. Je me suis dit que je n’avais pas forcément envie d’organiser une nouvelle édition en ne représentant que les femmes noires. Alors j’ai eu l’idée de créer un média qui s’adresse aux femmes et qui leur donne la parole sur différents sujets, notamment sur des sujets tabous ou peu abordés, et sur la déconstruction de stéréotypes auxquels on est confrontée en tant que femme et sportive. Le but est aussi d’intervenir aussi dans les écoles. C’est un mix de tout.
Que vous apporte ce projet personnellement ?
Aujourd’hui je suis sur la fin de ma carrière et ces dernières années ont été parfois un peu compliquées au niveau des blessures et des performances, alors le fait d’avoir ce média me permet de venir sur la piste avec l’esprit plus détendu et relâché. Je relativise beaucoup. Ce média m’aide énormément en tant qu’une femme. J’entends des histoires qui ne sont pas anodines et très fortes. Il ne faut pas délégitimer les souffrances de chacun, mais si je fais un mauvais chrono je me dis que la vie continue, je vais continuer à m’entraîner et ça va aller pour le mieux comme je l’ai toujours fait.
Est-ce que vous pensez que la situation des sportives s’est améliorée depuis que vous courez ?
Il y a eu des évolutions, notamment auprès des marques. Mais je dirais qu’il y a parfois une forme d’hypocrisie. Il a fallu attendre que le féminisme soit un peu « à la mode » pour qu’on commence à s’intéresser à nous. Après tous les mouvements, on s’est rendu compte des problématiques liées aux femmes dans le sport, comme les menstruations, alors que les femmes n’ont pas leurs règles depuis cinq ans mais depuis la nuit des temps. Depuis deux, trois ans seulement on en parle, c’est moins tabou. Pourtant c’est un sujet qui a toujours été au centre de notre carrière sportive et avec lequel on a toujours dû composer de façon assez intime, tabou. Il y a des progrès mais il reste encore énormément d’efforts à faire, surtout au niveau médiatique. C’est aussi pour ça que j’ai voulu me lancer, pour casser ces codes.
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Briser les tabous, autour des menstruations par exemple, profite-t-il aux sportives ?
Je pense que ce n’est pas encore un sujet très libre, ce serait mentir de le dire mais je pense que petit à petit les choses s’améliorent et les sujets deviennent de moins en moins tabou. Comme la maternité. Décider de faire une pause dans sa carrière sportive a longtemps été mal vu. C’était possible de perdre son contrat pour ça. Mais ça a changé, les marques aujourd’hui font même de la publicité autour de ça. Récemment, les footballeuses étasuniennes ont obtenu l’égalité salariale. Je me dis, enfin ! Mais c’est aberrant qu’elles aient dû attendre 2022. Filles et garçons fournissent le même travail, alors pourquoi les femmes devraient être moins rémunérées ? On sait que le sport au masculin est moins regardé que le sport au féminin, mais pourquoi ? Parce qu’à la télévision il y a peu d’accès au sport au féminin. Les représentations sont aussi importantes. Quand une petite fille voit à la télévision des femmes qui accomplissent ses rêves, ça aura un impact sur sa vie. Moi je veux pousser à ce que tout le monde soit représenté. Pour qu’enfin on puisse être libre en étant homme, femme, lesbienne, gay, transsexuel…
Votre engagement a-t-il parfois été compliqué ?
Oui. Encore une fois c’est une question de stéréotype. Souvent on pense qu’une sportive reste dans sa case de sportive. Surtout en France. J’ai l’impression que c’est différent dans la culture anglo-saxonne, aux États-Unis. Quand les sportives s’engagent c’est toujours à double tranchant. Certains pensent qu’une sportive ne peut faire que du sport. Quand je dis que je suis en master, certains s’étonnent. Pour moi le sport c’est un cheminement, une école de vie. Quand on s’engage on peut craindre le regard des autres. Moi j’ai grandi et avec le recul je n’ai plus peur de dire ce que je pense. On est suivi par des centaines et des milliers de personnes, et notamment par la jeune génération. Je pense qu’on peut montrer la voie pour que les choses changent et que les jeunes se sentent représentés.
Un modèle de sportive qui vous inspire ?
Je n’ai pas forcément de sportive modèle. Mais je me souviens que petite j’ai fait de l’athlétisme, du cross… et j’étais devant ma télévision, devant les championnats d’Europe de Barcelone où la France a fait le record de médaille. Je regardais Myriam Soumaré faire son 200 m, être championne d’Europe… Voir une femme noire, femme voilée, femme de banlieue, qui sortait de toutes les cases dans lesquelles on veut parfois nous mettre, ça m’a donné envie de faire du haut niveau. Je suis aussi très respectueuse des parcours de Christine Aron et de Marie-Josée Pérec.
Vous avez une belle carrière sportive, menez plusieurs projets, étudiez. N’est-ce pas difficile de tout gérer ?
Ce n’est pas facile d’être sur tous les fronts en même temps mais ça me permet d’être stimulée émotionnellement. Quand je m’enferme dans une seule case, je ne me sens pas épanouie entièrement. Évidemment, chaque chose en son temps. Il faut savoir prioriser chaque chose au bon moment, mais il faut aussi se faire plaisir. Après, j’ai 28 ans et je suis en dernière année de master. Si je n’étais pas dans le sport j’aurais eu mon master il y a cinq ans.
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Vos réussites en dehors des stades vous motivent-elles une fois sur la piste ?
Quand j’arrive sur la piste après avoir échangé avec des femmes que j’interview pour We Are Greaat, ça me permet de prendre du recul. Aujourd’hui, il y a beaucoup de sportives engagées mais chacune doit faire comme elle le sent. Moi je le fais parce que j’en ai envie. Si quelqu’un veut faire des études en même temps que sa carrière elle ne doit pas s’en empêcher. C’est possible en trouvant la bonne solution. Il faut aussi savoir faire les bons choix selon le moment. L’après-carrière par exemple ça se prépare. Il faut utiliser l’athlétisme comme tremplin. L’arrêt serait plus dur si on n’y pensait pas.
Vous prévoyez d’arrêter votre carrière après les JO 2024. Vos projets personnels et professionnels vous aident-ils à préparer l’après ?
Ces projets je les ai menés parce que j’en avais envie, mais ils sont dans la continuité de mes études en communication et marketing. Le média We Are Greaat est vraiment lié avec ce que j’apprends à l’école. Forcément, ce sont des choses que j’aimerais continuer. Aujourd’hui j’hésite entre me lancer dans l’entrepreneuriat de mon média, ouvrir une entreprise de communication ou de marketing. Une fois que j’arrêterai c’est sûr que je ne serai pas les bras ballants en me disant que je n’avais que le sport. Même si le sport a été une grosse priorité dans ma vie, et que ça l’est toujours : je m’entraîne deux fois par jours.
Le palmarès de Stella Akakpo est disponible sur le Wiki des Sportives.
Propos recueillis par Enora Quellec
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