Véronique Lebar « Le gouvernement doit à présent montrer une véritable volonté de lutter contre les violences sexuelles »
Un an après les révélations de l’affaire Weinstein, la présidente du Comité Ethique et Sport Véronique Lebar attend de la nouvelle ministre des Sports Roxana Maracineanu des actions concrètes pour lutter contre les violences sexuelles dans le milieu du sport.
Quels sont les objectifs du Comité Ethique et Sport ?
Le comité est né en 2013 et nos 73 membres sont des psychologues, des avocats, des médecins, des sportifs de tous niveaux ou encore des représentants du monde privé et publique. Nous sommes des professionnels du sport ou des passionnés car il est indispensable de connaître ce milieu pour agir de manière efficace. Notre comité travaille sur quatre thématiques : le sponsoring responsable, les mixités, la prévention et la lutte contre le dopage et toutes les formes de maltraitances, parmi lesquelles les violences sexuelles, psychologiques, verbales, et bien d’autres.
Comment luttez-vous contre les violences sexuelles dans le sport ?
Les sportifs victimes ou les cadres sportifs témoins d’actes de maltraitances, peuvent nous contacter sur une ligne téléphonique dédiée. Nous avons également onze antennes régionales. On reçoit chaque mois une trentaine d’appels, un chiffre en constante augmentation, et 80% des appels ont trait aux violences ou harcèlements sexuels. Notre prise en charge est personnalisée. Certaines victimes souhaitent être accompagnées dans leur parcours de réparation et sont alors suivies par l’un de nos psychologues. D’autres appellent pour s’informer médicalement (suivi par un médecin) ou juridiquement (suivi par un avocat) et éventuellement porter plainte. Nous avons suivi une sportive agressée sexuellement par son entraîneur. Six mois après, lorsqu’elle a voulu le dénoncer, le président de son club défendait l’entraîneur. Il demandait à la sportive comment elle osait « proférer de telles accusations » au sujet de ce dernier, un « père de famille » et « papa d’un petit garçon ». Un mois après, cette sportive a reçu une plainte pour diffamation. Notre avocate a cassé cette diffamation et a accompagné la sportive au commissariat pour porter plainte. Régulièrement,dès qu’une victime commence à parler, son entourage sportif la désigne comme fautive. Ici, il fallait qu’elle ne soit plus accusée et qu’elle attaque.
« Dans certains cas, un jeune est fragile, en manque de reconnaissance, et se sent pris au piège. »
Quel est le profil des victimes de violences sexuelles ?
Le cas classique est la jeune fille de 13-14 ans, en début de puberté, qui est agressée sexuellement par son entraîneur. Parfois, elle est harcelée. D’autres fois, il y a un glissement dangereux entre l’entraîneur et sa sportive. On passe de la simple main bienveillante sur l’épaule, à la main qui dérape. On appelle ça le « grooming ». Dans certains cas, un jeune est fragile, en manque de reconnaissance, et se sent pris au piège. Il ne sait pas si une limite a été dépassée et a peur d’être montré du doigt pour avoir dénoncé son entraîneur. Et dans d’autres cas, cela peut aller jusqu’au viol.
Est-ce que le mouvement #MeToo a eu une répercussion sur les signalements ?
Il y a eu un très léger frémissement dans le monde du sport, mais deux obstacles inhérents à ce milieu, empêchent les victimes de parler. Un sportif a du mal à s’avouer « victime » : pour lui, cela veut dire qu’il ne mérite pas d’être sportif et de gagner. Ensuite, le sport est une deuxième famille, avec des règles à respecter, une hiérarchie, mais aussi un lien avec les autres sportifs et les entraîneurs. Il y a une proximité physique et psychologique dans le sport, on est copains, on part en stage ensemble. Selon le rapport du psychologue Greg Descamps, sorti en 2009, on a aussi deux fois plus de maltraitances dans le sport qu’en dehors du sport.
Comment peut-on armer les fédérations pour lutter contre les agressions sexuelles ?
Certaines fédérations veulent cacher des choses, mais il y a aussi beaucoup de responsables sportifs qui ne savent pas ce qu’il faut faire. D’après l’article 40 du code de procédure pénale, un fonctionnaire d’état est au fait d’un acte de maltraitance doit remplir un formulaire dédié et l’envoyer au procureur de la République. De plus en plus de fédérations nous contactent pour qu’on leur explique comment prendre en charge une victime au niveau psychologique et social voire juridique.
Au moment de l’affaire Giscard Samba, l’ancienne ministre Laura Flessel, avait déclaré qu’il n’y avait « pas de loi du silence » dans le sport. Comment aviez-vous accueilli ces propos ?
Pour Laura Flessel, tout avait été mis en place au plus haut-niveau de l’Etat pour que les victimes soient suivies. A l’époque, ses propos en décalage avec la réalité du terrain, avaient heurté les victimes que l’on suivait. Certaines voulaient même mettre fin à cette prise en charge. Pour elles, si au plus haut degré de l’Etat, il y avait un déni de ce qu’elles vivaient, si l’Etat disait qu’elles étaient coupables de ne pas parler, alors tout était perdu d’avance.
Pour la ministre des Sports Roxana Maracineanu, il y a bien une omerta sur les violences sexuelles dans ce milieu. Cette prise de position vous rend-elle optimiste ?
Nous sommes sur la bonne voie, mais il faut voir ce qu’elle entend par là. Parle t-on uniquement, de mettre des affiches sur les murs des clubs ou fédérations ? Où va t-on mettre en place un véritable réseau de prévention sur le sujet, une action coordonnée au sein des directions départementales et régionales jeunesse et sport, des CDOS et CROS, avec des moyens suffisants et des personnes compétentes ? Le gouvernement et le CNOSF, doivent montrer une véritable volonté concrète et concrétisée de lutter contre ces maltraitances.
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Assia Hamdi – publié le 26 octobre 2018
Pour contacter le Comité Ethique et Sport : 01 45 33 85 62
http://www.ethiqueetsport.com/
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