Ysaora Thibus a déposé les armes, rangé fleuret et tenues d’escrime. La championne du monde les a troqués contre sa valise de vacances. Juste avant le départ pour sa Guadeloupe natale, l’escrimeuse de la FDJ Sport Factory a accepté de revenir avec nous sur ce titre mondial décroché au Caire le 19 juillet dernier, et sur d’autres combats, plus personnels, comme ceux qu’elle mène pour l’égalité femmes/hommes et contre la fatigue mentale.
Le programme des vacances est bien ficelé. Ysaora Thibus, fraîchement sacrée championne du monde de fleuret, va profiter d’un séjour de près d’un mois en Guadeloupe pour se ressourcer auprès de sa famille et prendre du repos. Pas question pour elle d’établir de planning, juste de profiter de ces moments avec ses proches. Et évidemment de célébrer avec eux la médaille d’or décrochée au Caire quelques jours plus tôt, après une année riche émotionnellement.
« En finale, je retrouve l’Italienne Ariana Errigo contre qui j’ai perdu en demi-finale aux championnats d’Europe trois semaines auparavant. C’était sympa de pouvoir tout de suite la rencontrer de nouveau pour voir ce que j’avais appris par rapport à notre confrontation précédente, se remémore la Française, replongée dans sa finale. Quand j’ai mis la dernière touche, j’ai été un peu choquée que ce soit la fin. Je me suis dit « ça y est, je suis championne du monde » et toutes les émotions sont remontées : fierté, soulagement, bonheur, nostalgie de tout ce que j’ai traversé pour en arriver là », raconte celle qui, sur le coup, a oublié le protocole et foncé dans les bras de son compagnon, Race Imboden, son entraîneur ce jour-là, au lieu d’aller serrer la main de son adversaire.
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« Cette année, mon défi a été de trouver un équilibre en tant que femme et athlète »
La déception aux Jeux olympiques de Tokyo l’an dernier a marqué Ysaora Thibus. Derrière cette élimination en huitièmes de finale, les doutes ont assailli la troisième mondiale d’alors. Touchée, la fleurettiste a même pensé mettre un terme à sa carrière : « Ça m’a fait du mal personnellement, on se demande si on a envie de revivre ces échecs, si on a envie de remettre l’énergie nécessaire dans ses objectifs, car c’est un engagement à 300 %, sachant qu’on n’a pas de garantie de résultats ». Finalement, en opérant de gros changements et se remettant au centre de son projet, la Française a pu se remettre en piste.
Et cette médaille décrochée en Égypte s’avère être presque aussi importante que le chemin parcouru pour se relever après tout cela. « Même si je n’avais pas eu cette médaille, le bilan de cette année aurait été le même. Je me connais très bien en tant qu’athlète de 30 ans, mature. Beaucoup de choses m’ont menée à cet endroit. Je suis arrivée plus sereine sur des questions comme « qui suis-je en tant que sportive ? », ce que j’ai envie de faire dans le monde du sport. Ça a matérialisé le travail fourni et l’énergie déployée », se livre la championne du monde. Elle va même plus loin : « Après les Jeux, j’ai connu un moment difficile, j’ai fait une longue pause pour soigner pas mal de blessures mentales. Je me suis reposée pour savoir si je continuais et dans quelles conditions. Les choix ont été difficiles mais payants. Ça montre que quand on s’écoute, qu’on est bien accompagnée, qu’on se fait confiance, qu’on se donne les moyens et qu’on nous les donne, ça paye et ça rend plus heureux en tant que personne. Cette année, mon défi a été de trouver un équilibre en tant que femme et en tant qu’athlète. »
« Essentielle stories », un projet pour mettre les sportives en avant
Dans cette recherche d’équilibre, Ysaora Thibus a par exemple pris le temps de développer un projet personnel. « J’ai créé une plateforme, Essentielle stories, pour mettre en avant les athlètes féminines. Le but est de donner la voix aux femmes, de mettre en avant des histoires inspirantes et de trouver d’autres angles pour parler de la place des féminines dans le sport », décrit l’escrimeuse, qui a choisi pour ce média digital « une esthétique moderne et cool qui fait que les sportives se sentent mises en valeur ». Le programme est en plein développement puisque dès son retour du Caire, la championne du monde a dû se plonger dans l’organisation de son premier événement fin juillet, composé d’ateliers, de discussions accompagnées d’une exposition créée par une femme photographe sur les sportives féminines. « Je reviens des mondiaux, une semaine après j’organise mon premier rendez-vous. Ça a été beaucoup de travail mais ça m’a permis de célébrer différemment, de partager des moments avec des personnes qui ont les mêmes valeurs. C’était important pour moi, ça me tenait à cœur. »
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La fatigue mentale, l’autre combat d’Ysaora Thibus
En plus de mener ce combat pour l’égalité femmes/hommes, Ysaora Thibus veut également lutter contre le fléau de la fatigue mentale. La Guadeloupéenne fait partie des personnalités qui se sont racontées pour aider à mieux cerner le phénomène. « Une carrière d’athlète est surtout faite d’échecs, d’obstacles et de moments difficiles », prévient la fleurettiste. Elle ajoute : « Même si c’est une passion, c’est notre travail et c’est intense, physiquement mais aussi mentalement. On oublie souvent cet aspect mais c’est une grosse dimension dans le sport. La résilience, l’adaptation, savoir se remettre en question, rebondir, faire face à la pression et à l’échec : ce sont des choses auxquelles on fait face très jeune et de façon régulière. » Pour contrer ses difficultés, Ysaora Thibus a décidé de travailler avec la psychologue Meriem Salmi depuis quatre ans.
Elle a pu constater les bénéfices d’une telle collaboration, dans un monde où consulter un psychologue peut encore parfois être tabou. « C’est dur pour nous quand il y a des phases de moins bien, de burn-out, de dépression, de contre-performance, etc. Il n’y a pas de système mis en place. Quand ça arrive, on est un peu livrées à nous-mêmes. On rentre chez nous. Les fédérations tirent un bilan sportif mais ne pensent pas au fait qu’on a donné notre vie avant chaque compétition. On retrouve nos familles qui sont nos pansements dans ces moments-là », déplore-t-elle. Elle souhaiterait que des outils fédéraux soient mis en place pour un meilleur suivi : « Rien n’est mis en place pour savoir si l’athlète va bien. En cas de pause, de grossesse, de coup de moins bien, est-ce qu’on prend des nouvelles ? Est-ce qu’on s’assure de sa santé mentale ? Est-ce que les entraîneurs sont formés pour réagir par rapport à ça ? Pas vraiment, car le sportif ou la sportive est perçu·e comme quelqu’un de fort qui doit toujours se dépasser. Ça peut détruire des gens. »
Attention avec Paris 2024
Avant de décoller pour la Guadeloupe, Ysaora Thibus a une dernière recommandation à faire lorsqu’on évoque le fait que Paris 2024 pourrait être une forme de pression pour les Français·e·s : « On pense souvent à la prochaine compétition en tant qu’athlète, et les autres nous le rappellent toujours également. Les succès sont éphémères et les échecs, on les porte plus longtemps sur nos épaules. Quand on réussit, les gens s’attendent toujours à ce qu’on fasse mieux ensuite. C’est de la pression qui n’est pas nécessaire. Bien sûr, les Jeux en France seront un bel événement et je souhaite y participer avec des objectifs élevés. » Alors elle prévient : « On sait que ça existe, mais il y a beaucoup d’étapes avant. Rappeler aux gens « Et Paris 2024 ? » sans arrêt, ça fait comme le bruit d’une bombe qui va exploser, alors que beaucoup de choses peuvent se dérouler et qu’on a énormément de choses à vivre d’ici là. »
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Crédit photo : Julien Crosnier / KMSP
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