Affaire Caster Semenya
“JUSQU’OÙ SOMMES NOUS CAPABLES D’ALLER POUR PERPÉTRER L’INFÉRIORITÉ PHYSIQUE DES FEMMES“
Tribune. Anais Bohuon. En 2009, lors de la finale du 800 mètres des championnats du monde d’athlétisme à Berlin, Caster Semenya est alors une jeune athlète sud-africaine, peu connue du grand public. Son incroyable victoire va marquer les esprits. Elle est très vite éclipsée par une déferlante de commentaires qui, au lieu de saluer sa performance sportive, s’en prennent à son apparence physique, la soupçonnent même d’être un homme et de l’avoir dissimulé. Finalement, l’athlète présenterait une hyperandrogénie, c’est-à-dire une production jugée excessive d’hormones androgènes (en particulier la testostérone), censée lui procurer un « avantage » sur ses autres concurrentes, selon les instances dirigeantes sportives.
Suite à cette polémique, ce seront alors les hormones sexuelles qui seront retenues comme le critère permettant de distinguer de façon pragmatique les deux sexes juridiquement reconnus, comme en ont témoigné en 2011 les règlementations des Fédérations Internationales d’athlétisme (IAAF), de Football (FIFA) et du Comité International Olympique (CIO), en 2012. Ces nouvelles règles imposent à ces sportives de corriger leur production d’androgènes, en en réduisant artificiellement les taux, sauf si elles présentent une insensibilité aux androgènes et n’en retireraient alors aucun « avantage ». Ces athlètes pourront désormais être qualifiées à condition que leurs taux d’androgènes restent inférieurs aux normes masculines, 10 nmol/litre de sang.
Lors des Jeux du Commonwealth de 2014, Dutee Chand une jeune sprinteuse indienne, s’est vu, elle aussi, interdite de compétition, en raison d’une hyperandrogénie. Cependant, elle a contesté publiquement le règlement de l’IAAF et a déposé une plainte auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). L’athlète a refusé de se soumettre au règlement, ne comprenant pas pourquoi elle devrait subir une hormonothérapie, ou plus encore, des opérations, alors qu’elle n’a pas triché et que ces avantages « estimés » sont le fait d’une production naturelle de son corps. Par cette réaction et sa plainte posée auprès du TAS, largement relayé dans la presse internationale, Dutee Chand a entamé une nouvelle page de l’histoire de la fabrique des sportives que poursuit aujourd’hui Caster Semenya, en refusant elle aussi de se soumettre à ce règlement : celles-ci pourraient s’affranchir des entraves pesant encore sur leur émancipation sportive.
Le TAS avait tranché le 27 juillet 2015 en décidant de suspendre pendant 2 ans le règlement émis par l’IAAF. Or, l’IAAF s’est trouvé sommée par le TAS dans son verdict du 27 juillet 2015 de suspendre pendant deux ans son règlement et de fournir, pendant cette période, la preuve que le taux de testostérone de ces athlètes leur procure un avantage « injuste » vis-à-vis des autres concurrentes.
Le tribunal, autorisant Dutee Chand à concourir de nouveau, a estimé qu’il manquait « d’évidence scientifique » qui attesterait l’impact du taux de testostérone naturel sur la performance sportive. En réponse, l’étude de l’IAAF, rendue en juillet 2017 à partir de plus de 2000 données associant meilleures performances d’athlètes hommes et femmes et leurs taux de testostérone conclut que les femmes aux plus hauts taux de testostérone ont de meilleures performances que celles qui affichent un taux moindre, dans certaines disciplines, soit le lancer du marteau (4,53 %), le saut à la perche (2,94 %), le 400 m. haies (2,78 %), le 400 m. (2,73 %) et le 800 m. (1,78 %). L’étude ne parvient toutefois pas à démontrer que ces athlètes ont un niveau de performance qui se rapproche de celui des athlètes masculins, ce qui leur permettrait de justifier leur exclusion de la catégorie « dames » pour des impératifs de fair-play.
Or, il est fondamental de rappeler à quel point cette corrélation est loin d’être évidente et non fondée scientifiquement… La testostérone est l’un des marqueurs les plus insaisissables que les autorités sportives aient choisis jusqu’alors. Les taux moyens de testostérone sont certes nettement différents chez l’homme et la femme. Cependant, d’une part, ces taux varient largement selon les jours, la période de la vie, et, surtout selon l’intensité de la pratique sportive de chacun(e).
Ainsi, la réponse demandée et attendue fin mars 2019 par le TAS pour Caster Semenya laisse à nouveau de nombreuses questions et de nombreux présupposés idéologiques en suspens.
A-t-on jamais envisagé qu’un homme qui produirait « trop » de testostérone naturellement, ou plus que ses concurrents, devrait être interdit de compétition tant qu’il n’a pas suivi un traitement visant à ramener ses taux à un niveau moyen, jugé acceptable ?
Cette « inégalité », cette production n’est-elle pas aussi « naturelle », par exemple, que le rythme cardiaque plus lent de bien des athlètes d’exception ou la taille de nombreux athlètes ?
Aujourd’hui, à nouveau avec Semenya, c’est donc aux hormones androgènes que le TAS et les scientifiques attribuent encore un « genre », considérant que s’il y a un impact du taux de testostérone sur la performance sportive, ces hormones doivent rester l’apanage exclusif des hommes.
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