Pourquoi la plus importante course cycliste de l’hexagone ne serait-elle qu’une affaire de profil type, d’entrejambe ? C’est la question que pose inlassablement Claire Floret. Professeur d’EPS en Ile de France, la jeune femme de 33 ans secoue l’ordre établi à grand coup de pédale.
Le Tour de France, ses échappées belles, ses chutes à l’arrière du peloton, ses cyclistes rivalisant au coeur de paysages magnifiques que l’on encourage sur place ou depuis son canapé… Et ces hommes, encore et toujours. Et pourtant, il fut un temps où les dames prenaient la ligne de départ. Dans les années 50, puis dans les années 80, des tentatives se succèdent s’appelant tantôt la Grande Boucle ou la Route de France. Mais à chaque fois, l’événement avorte et ne parvient pas à s’inscrire dans le temps. « L’histoire du cyclisme au féminin en France est récente », explique Claire Floret. « Il y a trente ans, l’ancienne formule était l’affaire d’une seule personne pleine de volonté qui n’a pas été reprise par la suite. Aujourd’hui, Amaury Sport Organisation (ASO), l’entreprise organisatrice du Tour, évoque des problèmes logistiques si l’on ajoutait des épreuves féminines. Mais je crois que le problème est ailleurs. »
Peu de grandes courses en France
« Notre revendication est d’autant plus capitale qu’aujourd’hui il n’y a pas de course par étape en France à destination des équipes UCI » (ndlr : le meilleur niveau international), regrette Claire Floret. « Il existe seulement trois courses : le Grand Prix de Plumelec, le Grand Prix de Plouay et La Course by le Tour, toutes sur une seule journée. »
Pour la sportive, il s’agit de donner un nouvel élan au cyclisme féminin tricolore. « Dans notre pays, nous n’avons qu’une seule équipe professionnelle avec la FDJ Nouvelle Aquitaine Futuroscope. En Italie, il doit y en avoir trois ou quatre, tout comme en Belgique. La France est un pays assez conservateur avec un machisme ambiant qui règne dans le cyclisme, créé par et pour les hommes. Les résistances sont d’autant plus fortes. Pour le Tour de Californie ou de Grande Bretagne, les organisateurs se posent moins de questions. »
Selon elle, le faible dynamisme français pousse les cyclistes à pratiquer dans d’autres contrées, mieux organisées. « Nos meilleures filles partent à l’étranger, comme Audrey Cordon-Ragot ou Pauline Ferrand-Prévost. De manière générale, nos structures ne sont pas assez nombreuses. Il n’y a pas de SMIC, pas de statut professionnel pour les féminines, donc chaque équipe fait selon ses moyens. Parfois c’est uniquement des primes de course. »
Un jour d’avance
Pour donner une actualité concrète à un grand événement féminin, Claire Floret est le fer de lance de l’opération « Donnons des Elles au vélo J-1 ». Un projet soutenu par la Française Des Jeux et la Fédération française de cyclisme qui ne compte que 10% de licenciées. Le principe ? Treize femmes ont pris le départ le 6 juillet dernier pour trois semaines de course. Elles ont emprunté exactement les mêmes routes que leurs homologues masculins, mais avec un jour d’avance.
Pas de trace de compétition, si ce n’est revendiquer le droit à être considérer. « Le but est que le peloton arrive ensemble », précise Claire. « Les femmes et les hommes qui portent les mêmes valeurs que nous peuvent nous rejoindre sur un tronçon. C’est une grande fête itinérante du cyclisme au féminin. »
Une initiative qui a connu sa quatrième édition cet été et rencontre de plus en plus son public. Une centaine de participants étaient au départ en 2014, 400 en 2017. « En rendant visible notre peloton, on espère que cela incite les femmes à se rendre compte qu’elles peuvent le faire », estime Claire Floret.
Les militants de la cause, qui rejoignent les treize pionnières, sont autant des hommes que des femmes. « L’accès au sport et aux droits de manière générale n’est pas que l’affaire des femmes. Le fait que des hommes portent le message avec nous le rend encore plus fort. »
D’autant que les conditions de la course démontrent toute la détermination des sportives. « Nous sommes toutes amatrices et nous nous appliquons à faire le même parcours, kilomètre par kilomètre », relate Claire Floret.
« On n’imagine pas Roland Garros sans les femmes »
« Souvent, les mairies nous organisent des réceptions les soirs où nous passons dans leur ville pour montrer qu’ils nous soutiennent. Mais on ne peut pas s’y attarder, car quand le peloton passe cinq heures sur le Tour, nous y passons sept ou huit heures. Les temps de récupération entre chaque étape sont donc très courts. »
Le peu de moyens réduit le staff au minimum et rend impossible un plus grand nombre de participantes. « C’est très lourd en terme de logistique », confie Claire Floret. « Il y a quatre véhicules en plus des treize cyclistes. Trouver de la place pour vingt personnes dans les hôtels au moment du Tour n’a rien de simple.»
Pour autant, la petite bande est soutenue, applaudie. « Surtout sur les étapes de montagne. Les gens nous attendent avec des banderoles, des messages écrits au sol. Ils se rappellent Jeannie Longo et sont nostalgiques. Ils ne savent pas que la course féminine n’existe plus, alors on fait un peu de pédagogie. On n’imagine pas Roland Garros ou les Jeux olympiques sans les femmes, on ne peut pas continuer ainsi pour le Tour. »
De par son existence, « Donnons des Elles » crédibilise une future course féminine. « Si des amatrices sont capables de courir sur de longues distances, alors des professionnelles pourraient très bien le faire », affirme Claire Floret. « Après, il faut qu’une compétition comme le Tour reste spectaculaire. Je ne crois pas que, dans un premier temps, il faille proposer un format de trois semaines avec 200 kilomètres de course par jour. Mais si on part sur une course un peu plus courte, cela attirerait les médias et l’on pourrait bénéficier du public et des infrastructures. »
Alors que manque-t-il finalement pour rendre ce Tour de France féminin définitivement réel ? « Pas grand-chose en réalité ! », s’exclame la jeune femme. « Les médias sont déjà convaincus, de plus en plus de personnes en parlent. Le président de l’UCI, le grand chef du cyclisme mondial, s’est déclaré partant. Il ne manque qu’à convaincre les organisateurs du Tour ! »
Quarante ans de retard sur le football ?
A l’image des footballeuses de Reims dont le parcours a récemment été mis à l’écran par le film « Comme des garçons » de Max Boublil, les femmes de « Donnons des Elles » sont des pionnières. « Dans le cyclisme, on a un train de retard », juge Claire Floret. « Ce que les footballeuses ont connu dans les années 70, on est en train de le vivre maintenant. Avec mon club de Courcouronnes, on est proche géographiquement de celui de Juvisy. Elles nous ont encouragé à aller au bout, nous disant qu’elles n’étaient rien non plus quand elles ont monté leur structure. »
Article extrait du numéro 9 Les Sportives
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